Peut-on concilier éthique et affaires ? L’éthique ne satisfait-elle de l’application du droit ?
08 / 1998
Bernard Bougon, jésuite et consultant d’entreprise, distingue trois niveaux dans ce que recouvre le terme d’" éthique " : la morale individuelle, que chacun met en pratique dans sa vie quotidienne ; l’éthique des groupes et des sociétés, qu’il s’agisse de lois, de codes ou de rituels (chaque individu pouvant appartenir à plusieurs groupes, dont chacun aura son " éthique " propre); l’éthique de l’universel, idéal jamais atteint et toujours recherché, qui fixe les droits auxquels tout homme, au simple titre d’être humain, peut prétendre, et les devoirs qui en découlent.
C’est de l’articulation entre ces trois niveaux que proviennent la plupart des problèmes d’éthique.
Un exemple souvent cité est celui des PDG qui cherchent à excuser leurs pratiques frauduleuses au nom de leur souci de préserver l’entreprise et les emplois, argument qui, dans la situation actuelle, fait parfois hésiter les juges. Selon B. Bougon, ce problème rejoint la question classique : " si je meurs de faim, ai-je le droit de voler ? ", question à laquelle est généralement apportée la réponse : " est-il sûr que tu n’aies pas d’autre moyen de te nourrir ? ". Dans le cas des entreprises, certains estiment qu’il existe " d’autres moyens ", et que ce chantage traduit souvent un simple manque d’imagination ou de courage.
Autre exemple, dans certaines cultures, les commissions et pots-de-vin sont des pratiques jugées normales et légitimes, certains chefs d’Etat considérant qu’il s’agit d’une façon comme une autre d’alimenter leurs caisses. Les entreprises concernées doivent-elles s’interdire ces marchés ? Certaines constituent des caisses noires dont elles confient la gestion à des " fusibles ", les plus hauts dirigeants n’étant officiellement - ou réellement - au courant de rien.
D’autres sociétés ont le courage d’affirmer qu’elles s’intéressent autant à la manière d’obtenir un résultat qu’à ce résultat lui-même, établissent des contrôles sévères et soutiennent les agents qui renoncent à des marchés qu’ils n’auraient pu obtenir qu’en transgressant les standards éthiques.
La question se pose par ailleurs de savoir quelles relations exactes entretiennent le droit et l’éthique ; l’éthique d’une société est pour l’essentiel fixée par le droit, mais il arrive que celui-ci soit en contradiction avec une forme " supérieure " d’éthique. Le redressement judiciaire a comme premier objectif de sauvegarder l’activité et les emplois, en gelant jusqu’à 50
des créances ; mais que deviennent les créanciers qui seraient eux-mêmes en difficulté ? Le droit doit-il s’exercer au détriment d’un tiers dont il menace l’existence ? Dans certains cas, l’éthique peut consister à renoncer à une partie des ressources qu’offre le droit.
Un intervenant souligne les tares de tout système juridique : le droit est habituellement, selon lui, le droit du plus fort ; la loi est toujours en retard sur l’évolution des techniques et des sciences ; elle est inséparable de son interprétation, qui est subjective - pour le meilleur et pour le pire ; elle est toujours nécessairement assortie de dérogations, ce qui montre bien la différence qui existe entre éthique et droit.
Un autre intervenant fait remarquer qu’entre le fait d’utiliser le téléphone professionnel pour appeler un membre de sa famille ou le fait de donner ou d’accepter une enveloppe pour conclure un marché, les frontières de l’abus de bien social sont incertaines. La mauvaise définition des limites de l’application d’une règle peut conduire insensiblement à des comportements répréhensibles.
Ceci ne supprime pourtant pas la nécessité du droit, et selon un autre intervenant, ce n’est que par une évolution du droit international que certains comportements scandaleux pourront être réprimés : on ne peut pas se mettre individuellement en situation d’infériorité, sous prétexte de respecter des règles morales qui n’existent que pour soi. Le devoir de chacun est plutôt de poser ouvertement les problèmes et de contribuer à développer le rôle d’instances internationales comme l’Organisation Mondiale du Commerce, qui doivent peu à peu " civiliser " les rapports économiques.
En conclusion, B. Bougon estime que le vrai problème est qu’en matière d’éthique, personne ne peut dire à la place d’autrui ce qu’il faut faire, car ce qu’il convient de faire est sans cesse à réinventer. Chacun doit toujours prendre une décision nouvelle, à nouveaux frais.
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, Europa,
C’est toujours avec un certain malaise qu’on rapproche les termes d’" entreprise " et d’" éthique " : " L’entreprise n’a pas été créée pour des raisons éthiques ", souligne un intervenant ; " Mercure était le dieu des marchands et celui des voleurs ; à vouloir rapprocher la conduite efficace marchande et la conduite morale, n’est-on pas en train de vouloir marier l’eau et le feu ? " B. Bougon souligne que le profit n’est pas le but ultime de l’entreprise, et que celle-ci est à la fois une société qui cherche le profit et une communauté humaine qui ne peut être fondée uniquement sur cette notion de profit. L’exemple qu’il propose à ce sujet paraît cependant inadéquat : des sociétés de cristallerie qui avaient impitoyablement licencié des maîtres-verriers avec plus de 30 ans d’expérience se sont rendu compte, un peu tard, qu’elles s’étaient séparées d’un capital précieux. Mais si l’entreprise avait gardé ses vieux ouvriers, aurait-elle agi par sens éthique ou seulement selon son intérêt bien compris ?
Cela dit, le fait que l’on parle tellement, à l’heure actuelle, de " l’éthique dans les affaires " est sans doute lié à la mondialisation de l’économie et à la suprématie qu’ont acquise le discours et la pratique économique par rapport au politique ; c’est à cause du " silence " d’instances internationales politiques à vrai dire encore à peu près inexistantes que le problème de l’éthique se pose au niveau des entreprises, tant il est vrai qu’il faut bien, dans les affaires humaines, que la question de la morale et du sens s’exprime à un moment ou à un autre.
Actas de coloquio, encuentro, seminario,…
BOUGON, Bernard, LEFEBVRE, Pascal, Ecole de Paris de Management, L'éthique en théorie et en pratique, Association des Amis de l in. Les Annales de l'Ecole de Paris, 1996 (France), II
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