La mise en oeuvre de politiques libérales par les dictatures militaires d’Argentine, de l’Uruguay et du Chili, et la crise économique des années 80 ont été un choc pour le continent. La répression et la crise ayant marginalisé les anciennes élites politiques et intellectuelles, des nouveaux acteurs sociaux émergent, avec un discours et une pratique de type communautariste. Dans ce cadre, des mouvements communautaires qui présentent une forte connotation ethnique et une spécificité indienne se sont développés, surtout en Amérique centrale et en Amérique andine. Un tableau de la question indienne dans les pays avec les plus fortes concentrations de population autochtone permet de mieux saisir chaque situation nationale.
La deuxième partie a pour objet les mouvements indiens, en particulier le zapatisme au Mexique et le katarisme en Bolivie. Ces mouvements paysans indiens ne sont pas de copies des grands mouvements paysans du passé, pas plus qu’ils ne sont de simples résistances à la pénétration du capitalisme et moins encore une rupture avec le capitalisme. Autant que l’accès à la terre, leur objectif était la modernisation de la production et la transformation du mode de vie dans une perspective de consolidation ou de reconstruction de la communauté, dans le cadre d’une démocratisation de la société.
La troisième partie aborde le contexte dans lequel ont évolué ou évoluent certains des mouvement indiens, caractérisé par des situations d’une violence extrême. C’est le cas en Colombie, avec la prise en tenailles du mouvement paysan indien par la violence des guerrillas, des trafiquants et de l’État ; cela a été le cas également au Nicaragua, avec le conflit entre les sandinistes et les Miskitos de la côte Atlantique ; c’est encore le cas au Pérou, avec un Sentier lumineux qui se greffe sur les conflits entre communautés paysannes et les exacerbe. Dans ce contexte, des groupes indiens ont fini par être entraînés dans la lutte armée, notamment au Guatemala, en Colombie et au Pérou.
La dernière partie est consacrée au rapport entre identité et religion. Au Pérou et en Bolivie, plus que la résurgence d’un millénarisme andin, c’est à l’émergence d’une idéologie "indianiste" que l’on assiste. Ce fondamentalisme identitaire est aussi radical que déconnecté de la réalité sociale. L’expansion évangélique constitue cependant le phénomène socio-religieux le plus marquant en Amérique latine dans les dernières décennies : on estime qu’environ 10% de la population totale est aujourd’hui protestante ou évangélique.
Les mouvements indigènes ont donné lieu à des expériences encourageantes. Mais, aussi bien pour les indigènes que pour le reste des sociétés latino-américaines, la modernisation n’a bénéficié, jusqu’ici, qu’à une petite fraction de la population, ce qui a accentué les inégalités. C’est dans cette contradiction entre modernisation et développement que s’est engouffrée une violence où délinquants et maffieux prennent de plus en plus le pas sur les acteurs politiques quand ils n’ont pas partie liée ou ne se confondent pas avec eux.Commentaires : Les mouvements indigènes contemporains ne se limitent pas à des luttes revendicatives socio-économiques, mais ils tentent de combiner le développement et l’intégration dans la société nationale avec une reconstruction communautaire et une affirmation d’identité. Sont-ils pour autant de mouvements identitaires ? L’auteur considère que le thème ethnique reste souvent implicite ou subsidiaire, et lorsqu’il est explicite, il est surtout le fait d’une élite acculturée. En réalité, les processus d’élaboration d’un discours politique faisant appel à la culture propre et à l’identité ethnique du groupe sont extrêmement variés selon les pays et les situations. D’autre part, les situations sont très changeantes, comme le montre la rébellion zapatiste dans le Chiapas.
L’auteur a raison lorsqu’il souligne que ces mouvements aspirent à moderniser la communauté, et non pas à indianiser la société. Dans ce sens, ils portent plutôt des aspirations à l’intégration au modèle culturel dominant qu’une vision de la modernité alternative à la vision dominante. Il convient, toutefois, de relativiser ce point de vue. L’émergence dans certains pays de nouvelles élites indiennes, et la participation dans le mouvement des secteurs urbains, surtout jeunes, ont facilité l’élaboration de projets politiques qui font référence non pas à une indianité fumeuse, mais à l’histoire et à la culture du groupe ethnique particulier.
reivindicación étnica, acceso a la tierra, organización comunitaria, violencia, cambio social
, América Latina
C.Cratchley est un sociologue chilien, spécialiste des questions touchant les minorités ethniques.
Libro
LE BOT, Yvon, Violence de la modernité en Amérique latine : indianité, société et pouvoir, Karthala, 1994 (France)