04 / 1998
Historiquement, le principe des nationalités ne doit être confondu avec le droit des peuples à l’autodétermination, même si, au fond, ils sont très proches. Ils ont été, simultanément, invoqués pour le règlement de la Première Guerre mondiale. Peu à peu, les deux termes ont été confondus pendant la guerre et, pour certains auteurs, il ne semble pas qu’il y ait de différences notables entre eux. Pourtant, le principe des nationalités repose sur une solidarité naturelle d’ethnie, religion, culture, langue, alors que le droit des peuples à l’autodétermination est fondé sur une solidarité consciente.
Le président Wilson avait des idées sur le droit à l’autodétermination qui étaient très proches de la doctrine française qui met l’accent sur la volonté libre des individus, mais il a été a tel point dépassé par les événements que finalement il donnait l’impression que pour lui la libération des peuples se confondait avec la libération des différentes nationalités de la domination étrangère. En réalité, elle ne constituait qu’une pièce dans sa stratégie mondiale d’après guerre : elle devait être subordonnée au nouvel ordre international qu’il désirait instaurer.
Avant tout arme de propagande contre les empires centraux, l’autodétermination est aussi utilisée contre l’influence bolchevique. En 1917 Trotsky lance un appel à tous les belligérants leur demandant d’accorder l’autodétermination aux peuples assujettis et aux colonies. À cette conception révolutionnaire de l’autodétermination, Wilson oppose la conception libérale et démocratique américaine, qui, à ses yeux, a l’avantage d’apporter une justice plus grande dans les relations entre les nationalités tout en préservant l’ordre libéral en Europe. Ainsi, jamais Wilson n’a préconisé l’indépendance pour les nationalités de l’Empire austro-hongrois ; il se contente de leur proposer un simple statut d’autonomie. Si l’indépendance est finalement reconnue aux différentes nationalités de l’Europe du Centre et de l’Est, ceci est moins le résultat de l’oeuvre de Wilson que de la lutte de ces nationalités elles-mêmes. D’où aussi le refus d’appliquer l’autodétermination aux pays colonisés.
Le principe de l’autodétermination subit finalement de nombreuses entorses à la conférence de paix : refus de l’Anschluss entre l’Allemagne et l’Autriche ; inclusion des minorités allemandes en Tchécoslovaquie, en Italie, en Pologne Si Wilson ne va pas plus loin en matière d’autodétermination, c’est qu’il tient absolument à que la S.D.N. voie le jour : cette institution doit être "la clé de tout règlement", une "partie intégrante du traité de paix". Pour s’assurer de la participation des puissances coloniales européennes et du Japon, il doit tenir compte de leurs revendications, même si celles-ci contredisent le principe dont il est le défenseur.
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La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et les nouveaux défis du XXIe siècle
Simple instrument pour l’instauration d’un ordre libéral dans le monde, l’autodétermination a, malgré tout, connu une importante évolution. Conçue au début dans le sens de l’autonomie interne, elle finit par dépasser le cadre de l’idéologie libérale pour devenir elle-même une nouvelle idéologie reposant sur l’aspiration à l’indépendance des pays colonisés et des nationalités opprimées. Mais les désaccords persistent à propos de la définition de la notion de "peuple". Il existe, bien sur, une définition officielle de l’ONU interprétant celle-ci dans le sens de peuple colonial. Ce qui exclut beaucoup de mouvements de libération nationale des bénéfices éventuels d’une application en leur faveur du principe de l’autodétermination des peuples.
La consécration en politique internationale de l’ambiguïté entre le principe des nationalités et le droit des peuples à l’autodétermination alimente aussi bien les projets de libération nationale et de démocratie que les politiques d’oppression. Et encore une fois, le fait précède le droit, comme dans le cas de l’Érythrée, non reconnue par l’ONU comme pays à décoloniser et qui a dû obtenir par les armes un droit d’autodétermination en tant que peuple qui, contre toute évidence, lui était refusé par la communauté internationale.
C.Cratchley est un sociologue chilien, spécialiste des questions touchant les minorités ethniques.
Libro
CAO HUY, Thuan, Droits de l'homme, droits des peuples, PUF, 1982 (France)