Les paysans togolais s’appauvrissent parce que leurs sols se dégradent
05 / 1997
Dans la région tropicale de l’Afrique, le monde paysan s’appauvrit de jour en jour. Cet appauvrissement est lié à la baisse des rendements des cultures suite à une baisse progressive de la fertilité des sols et à leur dégradation. Au Togo, 75 % des sols cultivables sont actuellement considérés comme pauvres. La dégradation des sols est considérée comme une cause principale et première du non développement actuel du pays et de la pauvreté qui s’étend. Le système tropical de production de biomasse végétale est pourtant l’un des plus performants au monde.
Comme dans toute la zone tropicale africaine, l’agriculture que pratiquaient les ancêtres, au Togo, était vivrière et le système de production agricole reposait sur l’itinérance. Cela consistait à défricher, un endroit de la forêt, à le cultiver pendant 3 années puis à le laisser en jachère pendant 25 à 30 années. Durant cette période la végétation naturelle se réinstallait, la forêt se reformait : c’est la jachère forestière. Dans la pratique, les arbres étaient coupés à hauteur d’homme, le semis se faisait directement sans travail du sol qui était intentionnellement gardé couvert parfois en faisant chevaucher les cultures. A la dernière saison, on mettait en place une culture de sécurité : le manioc, culture qu’on ne récoltait qu’en cas de besoin, et on abandonnait le champ à la végétation naturelle. On ouvrait un nouveau champ ailleurs et ainsi de suite.
Ainsi, dans ce système de culture, c’est la jachère forestière, autrement dit l’arbre, qui restaurait la fertilité du sol que l’homme exploitait ou cueillait, pour reprendre la terminologie de l’auteur. L’homme ne gérait pas directement la fertilité du sol ; la durabilité de cette agriculture dépendait donc de la jachère forestière, de l’arbre.
Cette agriculture a duré des siècles. Il y a un peu plus de 100 ans, à l’arrivée des allemands, une majestueuse forêt noire couvrait encore le Togo. Cela avait fait rêver les colons allemands qui avaient conçu le principe de"la colonie modèle"non pas pour développer le pays, mais pour y produire toutes les matières premières tropicales dont l’Allemagne avait besoin. La colonisation française a supplanté la colonisation allemande et le mythe de la fertilité illimitée des terres tropicales allait encore durer, après l’indépendance du pays, jusque dans les années 1980.
Avec l’apparition de surfaces réservées aux cultures de rente et d’exportation, l’augmentation de la population,... les difficultés d’accès à la ressource sol sont devenues de plus en plus grandes et l’itinérance est devenue pratiquement impossible. Les temps de jachère ont alors diminué jusqu’à s’annuler. Ainsi, l’arbre a été chasé des champs des paysans ; les cultures sont devenues permanentes sans que la fertilité du sol soit gérée. D’un autre coté, l’agriculture dite moderne qui a été mise en place et qui est inspirée du modèle européen n’a été que la modernisation, l’intensification et la pérennisation de la cueillette !
De la majestueuse forêt noire qui couvrait le pays à l’arrivée des allemands, il ne reste aujourd’hui que quelques milliers d’ha. La majorité des sols cultivés ont été pratiquement vidés de leur potentiel productif ; les paysans cultivent pratiquement dans des quasi-déserts. De plus, l’appauvrissement biologique et organique des sols est suivi d’un tassement des horizons supérieurs. L’absence de couverture rend le sol plus vulnérable à l’agressivité des événements pluvieux. Les eaux de pluies ruissellement et l’érosion est très importante. Le régime hydrologique est perturbé.
Cette dégradation des sols qui appauvri le paysan et le pays s’est pratiquement banalisée. Elle est entrée dans les habitudes de penser et de faire des citoyens. Les villageois ramassent le sable dans les fossés pour construire maisons, écoles, dispensaires et églises... sans se poser la question de la provenance de ce sable toujours renouvelé. Interrogés sur cette provenance, beaucoup de paysans, même lettrés, disent que c’est ...Dieu.
L’auteur reste cependant optimiste. La fertilité de ces sols tropicaux peut être restaurée et renouvelée à condition que les togolais veuillent et sachent tirer les leçons de leurs échecs. Une véritable agriculture tropicale qui gère la fertilité du sol et l’environnement est à créer. Ce sera une agriculture qui mettra en application les trois principes de la fertilité du système tropical : l’arbre, la litière et le non travail du sol. Principes sur lesquels s’est fondée l’agriculture itinérante des ancêtres.
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, Togo
Des sols et des hommes : récits authentiques de gestion de la ressource sol
Dans une série d’articles publiés récemment dans un quotidien togolais, André MATHIS tente d’attirer l’attention de ses compatriotes sur la dégradation des sols qui à ses yeux est devenue très importante et risque de constituer une sérieuse entrave au développement du pays. Sans avoir à aligner des chiffres ou des statistiques, l’auteur, qui vu naître et grandir le Togo et qui a été un acteur actif du développement agricole, lie l’appauvrissement croissant des populations rurales au déclin de la fertilité des sols qu’elles cultivent et à leur dégradation.
L’exploitation, pratiquement minière, de sols qui naturellement sont déjà pauvres ou disposés à s’appauvrir très vite (roches acides : granite et gneiss ; climat humide : forte et profonde altération, lixiviation et lessivage forts, argiles à faible capacité d’échange ...), les a peu à peu vidés de toute vie biologique et de leur stock organique qui constitue, dans ce type de sols, le principal garde-manger pour les plantes cultivées. Ces sols sont, dans certaines situations, complètement " stérilisés " au point où ils ne produisent rien, même avec des apports massifs engrais.
C’est là le cas de dire que la richesse d’une société dépend non seulement de la fertilité de ses sols mais surtout de la façon dont cette fertilité est gérée. Jean Paul HARROY, dans " Afrique terre qui meurt, 1949 " soulignait déjà à propos des sols tropicaux, et c’est valable pour tous les sols cultivés, que " la fertilité est un capital que l’on gère, mais que l’on ne consomme pas ".
Contact : André MATHIS, 118, rue Fazao Cité de l’Union. BP 20336 Lomé, TOGO.
Entretien avec MATHIS, André
Entrevista
(France); Du même auteur :; * <Pour une agriculture sans cueillette>, Togo-presse n° 4842 du 23-08-1996>; * <L'agroforesterie : rêve ou réalité>, Togo-presse n° 4862 du 20-09-1996>; * <De l'agriculture sans sarclage>, Togo-presse n° 4867 du 27-09-1996; * <Le zéro labour>, Togo-presse n° 4872 du 04-10-1996; * <Comment refertiliser les sols cultivables au Togo>, Togo-presse n° 4887 du 25-10-1996>; * <Pas de développement sans protection de l'environnement>, Togo-presse n° 4921 du 23-08-1996>