Avec les cartels de trafiquants de drogue, les commandos de la guérilla, les escadrons de la mort et les tueurs à gages qui négocient leurs services dans les rues de Medellín ou de Cali, la Colombie est connue comme un des pays les plus violents du monde. On sait moins qu’elle est une vivante interpellation à ceux qui croient que démocratie, indépendance et développement suffisent à construire la paix. La Colombie est en effet, en Amérique latine, le pays le plus anciennement indépendant, le plus constamment démocratique, et n’est pas, tant s’en faut, le plus pauvre et le plus inégalitaire. D’où l’importance de l’effort de longue haleine entrepris, avec entre autres appuis celui du CCFD et de la FPH, par le Centre de recherche et d’éducation populaire (CINEP)pour comprendre et décrire les fondements de la violence en Colombie et pour dégager des stratégies de construction d’une paix durable.
Fernán Gonzáles et Fabio Zambrano, qui ont synthétisé dans ce dossier les nombreux documents de recherche issus de ce travail, montrent bien que si la violence fait désormais partie de la culture collective des Colombiens, c’est parce qu’elle constitue un lourd héritage historique. Elle s’alimente de transitions mal négociées entre tradition et modernité, de rivalités de pouvoir, de l’écartèlement de la société, du divorce existant entre les citoyens et les gouvernants.
Tout a commencé par la violence politique, dès la période coloniale. Est-ce l’héritage de la géographie qui laissa des villes en compétition pour s’imposer en tant que capitale du pays, ou plutôt l’opposition de ces compagnons d’armes et rivaux politiques que furent Bolivar et Santander, ou encore le caractère parachuté du régime démocratique adopté lors de l’indépendance, sans rapport avec la réalité sociale du pays ? Sans doute est-ce tout cela à la fois. Toujours est-il que les luttes politiques ont toujours été sanglantes en Colombie. La corruption de la police par les grands propriétaires, la constitution de groupes paramilitaires et l’organisation de guérillas ajoutent encore à la violence et finissent par déborder les espaces urbains pour gagner les hameaux les plus reculés du pays. Les disfonctionnements de la justice mènent à l’impunité, qui conduit rapidement à la justice privée. "L’Etat défend ses privilèges - déclare ainsi un "honnête citoyen" pour justifier l’assassinat de petits délinquants, de gamins de la rue ou d’homosexuels - mais qui défend la société ? " Le trafic de drogue ou l’extraction des émeraudes créent dans la société des espaces de droit privé, desquels la police est exclue ou contrôlée, et dans lesquels règnent les milices à la solde des mafiosis. Peu à peu, la violence se banalise, elle devient une pratique quotidienne, socialement légitimée par l’inefficacité des services publics et la précarité de l’Etat.
La violence est donc l’expression d’une rupture entre l’Etat et la société. "Si la violence est considérée comme un mode normal de résolution des conflits qui naissent de la vie en société, c’est parce qu’aux yeux des Colombiens, il n’existe pas d’autre moyens légitimes et efficaces de le faire. Cela revient à dire que l’Etat, à qui incombe généralement cette tâche dans les sociétés démocratiques, ne fournit pas un espace à la mesure des besoins".
Tenter de juguler la violence en Colombie, ce n’est pas réclamer un Etat omnipotent ou autoritaire, mais appeler de ses voeux un Etat plus présent dans la vie économique et sociale du pays. Cela passe par un débat social, donc la mobilisation des autorités locales et des organisations de population. Il est urgent de faire de la paix civile une priorité nationale.
A tous ceux qui s’intéressent à la construction de la paix, Fernan Gonzalez et Fabio Zambrano proposent une réflexion nouvelle sur l’État et la société.
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, Colombia
Libro
GONZALEZ, Fernan, ZAMBRANO, Fabio, L'Etat inachevé. Les racines de la violence en Colombie, FPH in. Dossier pour un débat, 1995 (France), n° 42
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