09 / 1997
JEAN-YVES GERARD est conseiller municipal à Rennes. La mise en place de correspondants de nuit répond selon lui, à une faiblesse des services publics, et met en jeu un nouveau service pour une bonne gestion du territoire.
Chaque nuit, à Rennes, de 22 heures à 5 heures, deux équipes de deux correspondants de nuit interviennent chacune sur un quartier de 1 400 logements. Elles tiennent un carnet de bord minutant les tournées, apportant des notes d’ambiance et expliquant les interventions réalisées. Un fax adressé le lendemain au bailleur social décrit les problèmes techniques rencontrés. Les sociétés de maintenance et la société gestionnaire de l’éclairage public sont appelées la nuit pour intervention immédiate si possible.
LA MISE EN PLACE CONCERTÉE D’UN SERVICE ADAPTÉ APRES EXPÉRIMENTATION
La vie des locataires est perturbée par des faits, des événements qui ne relèvent pas de catégories juridiques ou techniques susceptibles de mobiliser l’intervention des services publics (attroupement de jeunes, ivrognes). La nuit voit se creuser les contradictions, s’alourdir les solitudes, s’affirmer les oppositions culturelles : 63 % des faits de délinquance interviennent la nuit. La sécurité et la tranquillité ne peuvent être octroyées, décidées pour les habitants. Elles ne peuvent être que construites et produites avec eux. Les habitants ont donc vocation à devenir cofinanceurs du service, donc coproducteurs de sa forme et de ses modalités pratiques, <copropriétaires>de sa réalité. La mise en place du service des correspondants de nuit a ainsi suivi le vote des habitants après une étape expérimentale en 1994/1995.
En 1994, les bailleurs sociaux ont expérimenté gratuitement le service, avec la perspective en cas de vote favorable d’avoir à prendre en charge un quart du prix. Mais 32 % seulement de votes exprimés par les habitants, c’était insuffisant pour continuer. Le débat a été dur. Les habitants ont interrogé les <services publics>sur leur présence et exprimé leurs crainte que l’habitat social soit trop marqué, ils ont proposé de transformer ce service en service urbain et, tout au long de 1995, l’expérience a continué avec le débat en cours à la lumière des questions des fédérations de locataires. Six mois de campagne cage d’escalier par cage d’escalier avec les correspondants de nuit ont amené à un renversement de position de la part des habitants. Jamais le terme <sécurité>n’a été employé. L’accent a été mis sur les représentations, les vécus, les phobies, les parcours qui expliquent qu’on se sente bien dans son quartier, qu’on trouve du confort social dans son immeuble. On parle de veille, d’écoute, de médiation.
UN DISPOSITIF DE SOUTIEN AUX CORRESPONDANTS ET DE SUIVI DE L’ACTION
Six personnes ont été embauchées dont un jeune, deux femmes pour des salaires de 6 000 francs net par mois. Le recrutement a été effectué hors quartier selon un profil d’ambulancier, de pompier bénévole. Ils ont eu une formation initiale de six semaines avec la police, les pompiers, le SAMU et les associations puis ont bénéficié d’une formation continue d’octobre à mai sur une approche des violences urbaines que nous ouvrons aussi aux agents de terrain des bailleurs sociaux et aux conducteurs et vérificateurs de la société des transports urbains. La coordination avec la police et les services publics est satisfaisante. Après une période de doute ou de réserve, les travailleurs sociaux échangent des informations, la police répond aux appels et adapte ses moyens à la nature des signalements opérés.
Le suivi de cette expérience est effectué par un groupe technique comprenant un psychologue, un psychosociologue, un ergonome, les bailleurs sociaux, des enseignants, un retraité de la police, un médecin. Une psychologue travaille à la cohésion du groupe. Une septième personne fait des remplacements, anime le service, valide des interventions, renvoie de l’information. Un compte rendu est fait aux habitants et au conseil communal de prévention de la délinquance.
DES ENSEIGNEMENTS MAIS AUSSI DES INTERROGATIONS
Il faut être modeste. On a tout à apprendre des phénomènes nocturnes, mais le profil de la fonction se dessine. Le correspondant de nuit garantit la sécurité morale, la médiation sociale en cas de troubles et de conflits de voisinage, l’assistance à des personnes isolées ou en difficulté, la veille dans les parties collectives des immeubles, la prévention sociale à l’égard des biens, du patrimoine résidentiel et la prévention à l’égard des personnes et des biens (parking). Il joue l’interface entre des personnes, des situations, des événements et des services publics. Il met en évidence des anomalies qui méritent attention et alerte sur des dysfonctionnements techniques dangereux (gaz...).
On peut retenir deux grands axes. L’importance à accorder au temps. Le temps est un objet social construit, le produit de l’échange entre individus. La nuit, l’organisation du temps n’obéit plus à aucune règle et les troubles peuvent survenir n’importe quand. Il faut du temps pour que la personne se raconte, que le couple dévide ses oppositions ; pour capter la confiance d’un groupe de jeunes, nouer des relations avec les plus réceptifs d’entre eux qui pourront après servir de vecteur à une pédagogie, à des conseils.
L’intervention des correspondants de nuit prend naissance au plus intime des processus sociaux, des drames personnels pour découvrir entre l’appartement et la rue une série d’espaces publics où se jouent des fonctions de débat, où les capacités de négociation se mesurent, où les habitants vérifient les tenants et aboutissants de leur statut social. Un lieu étant défini par ses limites, on peut se demander si dans certaines tours, l’appartement et les espaces publics intermédiaires ne se fondent pas en un tout indifférencié ; ce qui rend complexe et difficile les interventions. Les médiations réalisées au domicile de couples en crise posent la question d’espace de médiation et de sécurité.
mediación, formación, regulación social, barrio urbano, inseguridad, servicio de proximidad
, Francia, Rennes
Les questions posées par la mise en place du service sont vastes : financement, questions juridiques liées aux limites de la sphère privée, de l’interventions des correspondants de nuit, la compréhension des faits sociaux nocturnes. Nous travaillons donc l’idée d’un réseau national : pour assurer les bases du service, être un réseau de recherche partagée.
Article écrit à partir de l’intervention de JY Gerard à l’atelier "Gestion de proximité, gestion territorialisée" (14 avril 1997, à Vénissieux - Rhône, France), organisé par le CR-DSU.
Jean-Yves GÉRARD, conseiller municipal à Rennes. Régie de quartier OPTIMA, Square S. Bernahardt 35200 Rennes. Tél : 02 99 50 61 14
Persona recursiva ; Artículos y dossiers
GÉRARD, Jean Yves, CR-DSU=CENTRE DE RESSOURCES SUR LE DEVELOPPEMENT SOCIAL URBAIN, Gestion de proximité, gestion territorialisée in. les Cahiers du CR-DSU, 1997/10 (France), n°16
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