En Uruguay, selon les statistiques officielles, 70 % d’une population de près de trois millions d’habitants possèdent leur maison. Le déficit en logements serait de 100 000 et devrait atteindre 120 000 au début du siècle prochain. Le gouvernement n’arrive pas à faire face et les occupations de terres se multiplient. A Montevideo, la capitale, où se concentre la moitié de la population, le nombre de personnes ne pouvant plus payer leurs loyers augmente (les loyers sont d’au moins 200 dollars par mois alors que le salaire minimum tourne autour de 100 dollars). Les investissements logements de l’administration municipale (25 millions de dollars tous les cinq ans depuis 1990)ne permettront pas d’éviter qu’en l’an 2000, 50 000 personnes vivent aux environs de la capitale dans des conditions difficiles, et c’est déjà le cas de 30 000 Uruguayens qui occupent des habitats irréguliers à la périphérie. Pour beaucoup de ces familles, l’exode vers la périphérie urbaine signifie une dégradation importante des conditions de vie. Dans le même temps, les quartiers centraux connaissent des processus de "bidonvillisation".
Selon les études du bureau national des statistiques, 26 % des ménages urbains ont des femmes pour chefs de famille. Le pourcentage des ménages pauvres ayant une femme à leur tête est presque trois fois plus élevé que pour les ménages qui ont un homme à leur tête. Les Uruguayennes continuent à s’intégrer massivement au marché du travail, constituant 40 % de la population active. De plus, en moyenne, deux Uruguayennes par mois meurent du fait de la violence domestique. Ainsi, l’accès de la femme au logement et la promotion d’une meilleure qualité de vie représentent des éléments fondamentaux de la relation de la femme et de sa famille au logement dans son sens le plus large.
La coalition de gauche a conquis pour la première fois la mairie de Montevideo, en 1990. Elle a tenté de présenter une nouvelle politique du logement en vue de bloquer l’exode vers la périphérie et a mis en place un plan de conversion en appartements de vieilles maisons qui allaient être abandonnées par leurs héritiers. L’expérience de MUJEFA est née de cette politique.
L’expérience a commencé dans des garderies d’enfants où des concertations entre assistantes sociales, psychologues et mères ont identifié le problème du logement comme étant un élément essentiel dans la vie des familles. Des soixante familles présentes, vingt-trois se sont intéressées au projet et, finalement, il en est resté douze qui, toutes, avaient une femme à leur tête. C’est pourquoi le projet s’est appelé MUJEFA (Mujeres Jefas de Familia, Femmes chefs de famille).
Conçu en 1990, les femmes ont engagé les travaux de construction en 1994 et, en 1996, ces douze femmes et leurs trente-deux enfants emménageaient dans leur nouvelle maison, avec 50m² pour chaque famille. Les femmes -et leurs enfants- ont chacune leur propre espace. D’autres structures pourront être ajoutées ultérieurement. Le projet a été financé par la municipalité de Montevideo qui a acheté la maison (avec trois grandes cours intérieures et des terrasses, au coeur de la vieille ville), payé les matériaux et le personnel. Chaque femme a consacré seize heures par semaine au travail coopératif : en tant que femmes seules ayant des enfants et devant travailler, elles ne pouvaient faire plus.
Le relogement dans le centre ville comporte beaucoup d’avantages pour les femmes par rapport aux projets antérieurs où des modules évolutifs consistaient à construire une habitation unique, avec salle de bain et cuisine, pour une superficie de 30m², chaque famille pouvant ajouter des pièces et améliorer la qualité des finitions. Construits sur des terrains libres de la périphérie urbaine, ils ne disposaient pas de garderies, écoles, centres de santé, réseau de transport, voirie, éclairage. Or, pour les femmes, ces services sont essentiels. De plus, comme chefs de familles pauvres, elles ne pouvaient pas améliorer leur logement car elles gagnaient moitié moins que les hommes et n’avaient ni la formation ni le savoir-faire nécessaires pour le faire par leurs propres moyens.
Le livre "MUJEFA : un projet pilote et ses impacts en Uruguay" revient sur les leçons de cette expérience qui a mis en lumière l’ensemble des problèmes que rencontrent les femmes dans la recherche d’un logement. La Fédération uruguayenne des coopératives de logement par aide mutuelle, aujourd’hui bien implantée dans le pays, reconnaît l’existence de problèmes. Même si les femmes travaillent dans les coopératives, elles ne sont pas titulaires du logement. Ce sont les hommes qui sont titulaires et, d’ailleurs, ils occupent aussi les postes de décision dans la coopérative. Aussi, en cas de divorce (fréquents en Uruguay), la femme perd la maison et se retrouve à la porte avec ses enfants.
L’expérience a également montré que, si les femmes peuvent construire leur propre maison, elles peuvent aussi travailler dans l’industrie du bâtiment qui, jusqu’à maintenant, était réservée aux hommes. L’Université commence même à se poser des questions relatives au "genre", aux relations hommes-femmes. Plus de la moitié des étudiants en architecture sont des femmes, alors que dans l’exercice de la profession, elles sont confinées dans des tâches secondaires.
Enfin, cette expérience a impulsé une nouvelle ligne de recherche sur le logement et le troisième âge. L’immense majorité des personnes du troisième âge qui ont des problèmes de logement sont des femmes seules et ne disposant que de faibles revenus. Une ONG a vu le jour, l’Institut du logement pour la femme, qui vise à promouvoir le rôle de protagoniste des femmes dans la problématique du logement.
MUJEFA a été une expérience épanouissante pour les femmes concernées. Simples mères au foyer, employées de maison ou de commerce, peu instruites, elles ont réalisé leur propre projet économique. Quelques-unes se préparent à créer une entreprise de travaux sanitaires et de réparations. Une autre a écrit un livre de poèmes,"Bâtisseurs de ville", publié au Venezuela et en Allemagne. Elles manifestent un intérêt nouveau pour le travail communautaire. Au début, elles ne voulaient pas partager les terrasses pour laver et étendre leur linge. Aujourd’hui, elles recherchent la meilleure façon d’utiliser ensemble les deux grandes pièces communes. Et surtout, elles donnent désormais au concept de logement un sens plus large qui intègre les problèmes du quartier, des services, de la sécurité et du nettoiement et la participation aux commissions de quartier et aux organes locaux du gouvernement. Elles apprennent ainsi à occuper les espaces de pouvoir qu’elles ont désormais en main.
Utilisant les leçons de cette expérience pilote, trois nouveaux projets sont maintenant engagés dans le centre ville de Montevideo.
mujer, acceso a la vivienda, medio urbano, rehabilitación del medio, participación de los habitantes, cambio social
, Uruguay, Montevideo
Quand les femmes se mobilisent pour la paix, la citoyenneté, l’égalité des droits
Artículos y dossiers
GOBBI, Carina, Casa de Mujefas : Un proyecto de vivienda unico en Uruguay in. Mujer Fempress, 1996/06 (CHILI), N°176
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