Après avoir décrit la composition, l’organisation économique et sociale de l’empire Inca, Luc Terras va montrer les conséquences néfastes de la conquête par Pizarro (massacres), mais surtout les modifications que celle-ci entraîne au sein de la société andine.
Au XVème siècle, les Incas, originaires de Cuzco, s’étendirent sur l’ensemble de la cordillière des Andes. Au départ, les Incas augmentèrent leur territoire par des relations amicales avec des tribus locales (mariages, échanges de territoire). Les véritables conquêtes ne commencèrent que vers 1445, avec l’occupation de Trahyanaca et de la région de Titicaca. Elles ne furent interrompues que par l’arrivée des Espagnols. La logique guerrière n’était pas systématiquement employée. Il arrivait que les campagnes de propagande suffisent.
C’est l’Inca qui domine cet empire (qui couvre 4.000 km). Il est à la fois le chef civil, religieus, militaire de l’Etat et l’incarnation du Dieu Soleil sur terre.
Au niveau administratif, l’empire est divisé en quatre provinces (suyu), reliées à Cuzco par quatre grandes routes. Elles sont surtout utilisées par les messagers pour transmettre les messages administratifs, une sorte de poste ultrapide : il fallait moins de 2 jours pour relier Cuzco à la côte. Les provinces sont dirigées par un gouverneur (coâc), choisi obligatoirement parmi les parents immédiats de l’Inca. A l’échelon local, la population était répartie entre de nombreuses tribus, chacun comprenant plusieurs clans (ayllu), gérés par un curaco (juge suprême et chef militaire).
Devant une telle organisation, il est surprenant de constater que ce système ne connaît pas la monnaie : les échanges se font par l’intermédiaire du troc et surtout du tribut, assuré essentiellment par les paysans de trois façons :
- Le travail collectif de la terre : les membres de l’ayllu se rendent ensemble sur les terres de l’Inca pour les cultiver en commun. Le produit des champs est emmagasiné dans des greniers locaux ou provinciaux.
- La mita : c’est un tribut qui est dû à l’armée (grands travaux)mais aussi au curaco (culture de leurs champs, garde de leurs troupeaux).
- Le tribut textile : tissus et vêtments jouent un rôle particulier dans l’Etat Inca (ont à la fois une valeur économique, mais aussi religieuse et magique). Chaque famille file et tisse pour l’Inca, le montant du tribut.
Somme toute, le tribut s’intègre dans un système de réciprocité. Les paysans cultivent la terre de l’Inca en échange du droit d’utiliser la terre communautaire. De plus, la générosité de l’Inca permet notamment l’entretien des paysans vieux ou malades.
C’est dans ce contexte politico-administratif que Pizarro se lance en 1532 à la conquête du Pérou. Il peut en plus compter sur la division qui règne à la tête de l’empire entre les deux fils de Huayne Copac, Guascar (le fils légitime)et Atahualpa (le bâtard). En novembre 1532, Pizarro s’empare de Atahualpa et le fait exécuter alors qu’il a reçu beaucoup d’or pour sa libération. Son frère Manco, après avoir été mis sur le trône par les Espagnols, prend le chemin de la résistance, suivi ensuite par ses deux fils : Titu Cusi et Tupac Amaru. La mort de ce dernier sonne la fin des espoirs indiens. Cela va avoir de sérieuses répercussions sur la société Inca. Même si l’ayllu reste la cellule de base de la société péruvienne (malgré de grandes altérations), la désintégration du régime traditionnel est en marche autant par la base qu’au sommet :
- la disparition de l’Inca a renforcé dans un premier temps, la puissance des chefs locaux, même s’ils ont été relayés à un rang inférieur par l’administration espagnole. Leur autorité reste assez puissante pour leur permettre de faire exécuter par les Indiens des travaux qui n’entrent pas dans le cercle traditionnel de la réciprocité. Ils vont perdre leur prestige en travaillant avec les Espagnols.
- En bas de l’échelle, on note une multiplication des yanas (des Indiens détachés des liens communautaires traditionnels), due aux déplacements lors des conquêtes et à la guerre entre pizarristes et Almagristes (les Indiens recrutés dans les armées vont être entraînés loin de leur communauté). Avec ce statut, les Indiens peuvent échapper au tribut et à la mita et s’adonner au commerce.
Au niveau économique, de profonds bouleversements s’opèrent :
- Cuzco perd son rôle privilégié dans la distribution des richesses : Lima devient la nouvelle capitale et Potosi constitue l’autre aire d’attraction économique. De plus, la complémentarité verticale qui associait des cultures étagées au niveau de la mer à une altitude de plus de 4.000 m. est mise à mal.
- La monnaie fait son apparition : du temps de l’Inca, l’or et l’argent étaient des objets précieux, mais ne servaient pas à mesurer la valeur des produits. Les Indiens eurent par ailleurs beaucoup de mal à assimiler le système de crédit. Ce phénomène sera renforcé autour des années 1560-1570, quand les propriétaires des grandes exploitations exigèrent des Indiens un tribut en argent, qui obligera ceux-ci à adopter des activités nouvelles (exploitation de mines)au détriment de leur actvité traditionnelle. L’économie indigène va se détruire au lieu de se monétariser.
historia, política cultural, economía
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Artículos y dossiers
TERRAS, Luc, CEDAL FRANCE=CENTRE D'ETUDE DU DEVELOPPEMENT EN AMERIQUE LATINE, Le destin brisé des Incas, peuple du Soleil in. Golias, 1992/09 (France), n°31
CEDAL FRANCE (Centre d’Etude du Développement en Amérique Latine) - Francia - cedal (@) globenet.org