Des claviers et des puces, la traversée du siècle entre innovations techniques et mutations sociales
10 / 1995
En février 1973, deux hommes originaires de l’ouest des Etats-Unis se rendent dans l’Etat de New York rencontrer les dirigeants de la firme Remington, de fameux fabricants d’armes. Il portent une curieuse petite boîte de bois renfermant des touches de porcelaine sur lesquelles figurent les lettres de l’alphabet... Ainsi commence la saga de la machine à écrire et sa conquête des continents.
Cette petite machine nous ouvre bien des portes. La première d’entre elles est celle de l’innovation technologique. Sommaire à ses début, la machine à écrire se perfectionne rapidement, malgré quelques aventures sans lendemain (on essaie par exemple d’y adjoindre une pédale : chez Remington, qui fabriquait aussi des machines à coudre, c’était quasiment devenu un réflexe...). A la fin du XIXe siècle, tout est inventé, mais sur des machines différentes. Progressivement, l’usage la façonne, mais parfois aussi - curieusement - bloque l’innovation : ainsi, le clavier AZERTY, inventé dès l’origine pour éviter que les touches ne s’entrechoquent lors d’une frappe trop rapide, se révèle inadapté aux besoins de vitesse des dactylos. Des claviers plus performants sont mis au point mais, devant la masse des usagers déjà habitués au nouvel alphabet, les constructeurs ne veulent pas prendre le risque d’une innovation mal acceptée. Tant pis pour ceux qui continuent de penser que le clavier est ergonomique...
Ouvrons la seconde porte, celle des relations sociales qui s’organisent autour du secrétariat et de la dactylographie. Sténo-dactylo, ce n’est pas seulement un métier inventé grâce à la petite machine à touches, cela a aussi été, on l’oublie parfois aujourd’hui, un formidable moyen d’ascension sociale pour un nombre incalculable d’employées. Il ne faudrait pas en déduire trop vite que la machine à écrire fut par là même un moyen d’émancipation ! Entre la professionnelle respectée et la manoeuvre de la "frappe au kilomètre", les trajectoires sont parfois fort différentes. Mais la machine à écrire est impliquée d’une façon ou d’une autre dans de profondes transformations qui ont agité le monde des bureaux, en particulier dans l’entre-deux-guerres : l’accès des femmes à l’entreprise, la spécialisation et la hiérarchisation des tâches.
Troisième porte : celle de l’objet en lui-même. C’est celle que choisissent les collectionneurs, chineurs et autres amateurs de marchés aux puces. C’est celle également qu’empruntent ceux qui nous invitent à une réflexion sur l’écriture, au travers de ses outils : de la plume des romantiques (mais pourquoi n’écrit-on pas des lettres d’amour par clavier interposé ? )au micro-ordinateur qui éclate la dactylographie (entre le clavier et l’imprimante, on garde en mémoire), ces indispensables artefacts entre la pensée et les mots, de plus en plus sophistiqués, nous épargnent les ratures mais ne laissent pas tous sur le papier... la même émotion.
tecnología de la información y de la comunicación, modernización de las técnicas, cultura y técnica
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Libro
PEYRIERE, Monique, Machines à écrire. Des claviers et des puces, la traversée du siècle, Autrement, 1994 (France)
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