04 / 1996
Parmi les populations défavorisées, les personnes "sans domicile fixe" (SDF)ont la particularité d’être désignées par leur principal manque. Elles attirent l’attention des média et de la population durant l’hiver, quand le froid met en péril leur vie.
La municipalité de Lyon et la DDASS élaborent chaque année, en liaison avec les associations compétentes, un "plan froid". Constatant que des personnes SDF ne profitaient pas des accueils mis en place, les associations Habitat et Humanisme et le Secours Catholique ont choisi d’élaborer ensemble un projet, complémentaire des structures existantes.
Dès l’origine, l’accueil de nuit (appelé "Train de Nuit")a donc été conçu pour être un lieu convivial (d’où le choix d’une petite structure)où le passager peut dialoguer s’il le désire avec des interlocuteurs professionnels (animateur, conseillère en économie sociale et familiale)ou bénévoles (habitants du quartier, membres de l’une des deux organisations fondatrices).
Sur le quai Rambaud, des bungalows ont été disposés comme les maisons d’un village autour d’une place. Le bungalow situé à l’entrée est réservé à l’accueil. Il est occupé par l’animateur et la conseillère. D’autres bungalows servent de cuisine, de salle de bains, de salle à manger, de salle de loisirs. Enfin, huit bungalows de quatre lits peuvent recevoir une trentaine de personnes pour la nuit.
Quand il arrive, le passager est étonné par l’accueil fait par l’animateur. La conseillère en ESF tient un rôle très important. Elle est aussi présente à l’accueil et à d’autres moments de convivialité, elle est un référent auprès de qui le passager peut s’adresser.
Les passagers sont des hommes, surtout des jeunes ou des plus de soixante ans. Leur situation et leur histoire de vie sont très variées : certains vivent dans la rue depuis très longtemps, pour d’autres, c’est une situation nouvelle. Certains ont des ressources régulières, d’autres se sont retrouvés à la rue suite à une rupture familiale. Selon l’animateur, "ce sont des personnes qui, de déboires en déboires, se sont déshumanisées : leurs désirs n’ayant pas été satisfaits, ils n’ont plus de désirs, plus de perspectives de vie. Ils n’attendent rien d’un dialogue avec les autres".
Ils apprécient de pouvoir "se poser quelque part", note la conseillère, cela permet de pouvoir réfléchir sur sa vie. "Lorsque nous commençons un dialogue avec une personne, celle-ci connait le discours attendu : "je veux me réinsérer, chercher un logement, un travail", il faut lui montrer qu’elle a le droit d’avoir un autre discours, qu’elle a des ressources et qu’elle peut les mettre en oeuvre. On s’aperçoit vite qu’elle a donné une réponse convenue. Le deuxième niveau de réponse manifeste le désir d’être fixe un moment, de s’interroger sur ce qui l’a conduit à vivre la réalité de la rue. Se poser, c’est accepter de regarder cette souffrance et peut-être avoir alors le courage de s’en sortir."
Les passagers du "Train de nuit" sont très attachés à la liberté de la rue. Il est important que l’accueil et l’organisation de ce lieu de vie respectent cela, tout en proposant un échange avec le milieu environnant. Dans le dialogue, même fragile, les passagers et les bénévoles apprennent à se connaître. Les attitudes des uns et des autres évoluent; ainsi du soin apporté par des passagers à leur présentation après être entrés en relation.
Retrouver confiance en soi et dans les autres, renouer les fils de la communication demandent des efforts très importants. Proposer un toit est nécessaire pour permettre à ces hommes de survivre; mais cela ne suffit pas à provoquer le désir de reprendre une place d’acteur dans la société. Il faudrait un accompagnement de longue durée que le dispositif du "Plan froid" ne prévoit pas, en se limitant aux mois d’hiver.
Malgré tout, en 1996, une dizaine de passagers (sur trois cents)auront réussi à acquérir un logement autonome. Pour ceux là, les bénévoles sont encore présents, afin de leur permettre de s’intégrer dans le quartier où ils résident. Ils les aident dans leurs démarches, facilitent les relations avec les voisins, accompagnent la découverte du quartier. Il sont aussi présents pour les écouter, les soutenir au moment où ils quittent le milieu de la rue où malgré l’extrême précarité, ils se sont construits un certain équilibre de vie.
Cette action menée auprès de populations encore trop mal connues nécessite des temps de formation pour les bénévoles, des temps d’analyse de la pratique pour les salariés, des temps de concertation pour les équipes d’intervenants. Ces temps n’étant pas financés, les rencontres avec tous les partenaires ne sont pas assez fréquentes. De plus les salariés ont un statut précaire (contrat à durée déterminée de gardien limité à la durée du Plan Froid). Il y a donc un problème de reconnaissance des fonctions et de continuité dans l’action.
Le train de nuit a trois ans d’existence. Pour atteindre les objectifs fixés, des évaluations sont faites chaque année, et permettent d’adapter la structure aux besoins. Mais, il n’est pas évident d’avoir un consensus entre tous les intervenants y compris sur l’impossibilité de trouver un langage commun pour nommer cette population : les uns disent "les usagers", les autres parlent des "passagers".
Pour les responsables de l’action, l’évolution de l’action montre qu’une réflexion en profondeur a été engagée par les associations à l’origine du projet et les partenaires financeurs. Le point de vue des passagers a été pris en compte dans l’organisation du lieu de vie. Les horaires d’ouverture ont été améliorés : de 16 heures à 10 heures le lendemain matin. La durée maximum du séjour a été renégociée l’année dernière: quinze jours maximum, renouvelables si la personne a enclenché une démarche, de relogement par exemple.
Dans l’avenir,les associations souhaitent mieux entendre et prendre en compte la parole des passagers. Le projet prévoit de leur demander de participer au fonctionnement de la structure. Certains partenaires proposent qu’ils soient invités à toutes les réunions où un bilan sera mené et où seront dégagées des perspectives.
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, Francia, Rhône-Alpes, Lyon
Aujourd’hui où les "sans domicile fixe" ont tendance à être rejetés des centres ville ,lieux privilégiés de rencontres, le "train de nuit" montre qu’il ne suffit pas d’offrir un toit aux sans-logis. La création d’espaces de convivialité où des échanges peuvent naître permet à ceux qui sont à la marge de la société de se voir autrement et d’être regardés différemment.
M.Badarelli, Secours Catholique Rhône, tél. 72 33 38 38; Claude Labbe, Habitat et Humanisme, tél. 04 72 71 16 00; Mme Guttin est bénévole au "Train de nuit".
Texte mis en fiche et diffusé par le CR-DSU=CENTRE DE RESSOURCES SUR LE DEVELOPPEMENT SOCIAL URBAIN, 4 rue de Narvik, BP 8054, 69351 Lyon cedex 08, FRANCE. Tel 78 77 01 43. Fax 78 77 51 79
Entretien avec BADARELLI, Monique; LABBE, Claude GUTTIN
Documento interno ; Entrevista
MRIE RHONE ALPES=Mission régionale d'information sur l'exclusion, Agir avec les plus défavorisés, MRIE RHONE ALPES, 1996 (France)
MRIE RHONE ALPES (Mission Régionale d'Information sur l'Exclusion) - 14 rue Passet, 69007 Lyon, FRANCE - Tél. 33 (0)4 37 65 01 93 - Fax 33 (0)4 37 65 01 94 - Francia - www.mrie.org - mrie (@) mrie.org