Articuler les formes de solidarité traditionnelles de la société khmer avec celles des ONG
Rose Anne PAPAVERO, Mireille SZATAN
09 / 1997
La province de Battambang se situe à l’ouest du Cambodge, c’est le grenier à riz du pays. Les terres y sont les plus fertiles et permettent un meilleur rendement. Province frontalière avec la Thaïlande, elle est une porte ouverte à tous les trafics, drogue, pierres précieuses, mais aussi femmes et enfants pour alimenter les réseaux de prostitution. Les enjeux économiques sont nombreux. Nous avons là une des clés de la compréhension des problèmes que connait encore aujourd’hui la province.
La province de Battambang a été choisie parce qu’elle détient le pourcentage le plus élevé de réfugiés pour y être rapatriés. Ils n’en sont pas forcément originaires. Ils n’avaient simplement pas de famille à rejoindre dans leur province d’origine, qui leur permettrait de reconstruire leur vie dans des conditions matérielles favorables. Malheureusement, la plupart du temps l’avenir est loin d’avoir comblé toutes leurs attentes. Ils se sont vu attribuer des terrains encore minés, éloignés de leurs villages, trop petits, parfois même ils n’ont jamais pu prendre possession de leurs nouvelles terres. Ajoutée à cela l’insécurité persistante de la zone, une partie de ces rapatriés sont devenus des populations déplacées.
Les conflits armés se sont perpétués. Les Khmers rouges ont gardé la main mise sur toute une partie de la zone, en particulier la ville de Pailin réputée pour ses pierres précieuses. Les pillages dans les villages de la zone ont entraîné un nouvel exil, au sein même du territoire national cette fois. De nombreux déplacés, en particulier les anciens réfugiés, sans terres cultivables ou sans terre du tout, n’ayant nulle part où aller, sont simplement restés là où ils étaient. Concentrés sur des sites le long des routes, où éparpillés dans la ville de Battambang, ils vivent encore et encore les dures règles de la survie. La sécurité de la province reste précaire. Il s’agit cette fois-ci de la lutte pour le pouvoir qui oppose les deux partis majoritaires cambodgiens : FUNCIPEC et P.P.C. Les conflits armés qui ont opposé les armées régulières des deux tendances au cours de l’année 1997 peuvent nous faire craindre de nouvelles vagues de violence meurtrière d’ici les élections de 98.
C’est dans ce contexte qu’Enfants Réfugiés de Monde débute un nouveau programme sur la province. Dans la lignée de sa philosophie et de ses priorités, un des objectifs est de développer les structures de loisirs. Lorsque je suis venue pour la première fois à Battambang en Avril dernier et que j’ai posé la question de la pertinence de développer ces types de structures, j’ai vraiment eu l’impression de "débarquer d’une autre planète". Mes interlocuteurs étaient plus préoccupés par les besoins de survies matérielles et sanitaires que par les besoins psychosociaux des enfants. S’il est vrai que la tendance actuelle des ONG est de se tourner vers les projets de développement et la "khmérisation" de leurs organisations, les habitudes de l’intervention d’urgence ou de post urgence sont encore très présentes. La transition s’annonce difficile mais elle est bel et bien amorcée.
La Mission exploratoire de septembre a réellement permis de poser les premiers jalons du programme et d’identifier les partenaires sensibilisés à la nécessité de développer des programmes en faveur des enfants. Puis à mon arrivée en mission, en janvier, de nouveaux contacts m’ont aidée à mieux comprendre la première réaction d’avril.
Il existe à Battambang un réseau d’acteurs, ONG ou institutions gouvernementales, qui oeuvrent en faveur de populations déplacées, de paysans ou citadins pauvres, de familles monoparentales. L’aide et le soutien qu’elles apportent sont d’abord matériels. Une fois encore, nous sommes dans la logique d’urgence. Ces acteurs ont conscience des limites de leurs interventions, simplement, ils ne savent pas réellement quoi ou comment faire autre chose.
Par ailleurs, le concept de solidarité a un sens totalement différent dans cette société encore fortement traditionnelle. Les relations des Khmers sont marquées par deux éléments centraux :
- la pratique du don et du "contre-don". Elle favorise le clientélisme et les réseaux d’entraide au sein de la famille
élargie. La guerre a décimé les familles et par conséquent une partie de la population ne bénéficie plus du soutien qu’apportait la famille élargie. Reste le clientélisme où rien n’est gratuit, les populations qui ont tout perdu ne peuvent bénéficier d’appui extérieur pour accéder à la propriété, aux postes de fonctionnaires, aux structures de santé, d’éducation, ou autre ...;
- la pagode. Traditionnellement, elle joue un grand rôle dans les relations sociales entre les villageois. Les jours de fête, c’est là que les familles se retrouvent pour pique-niquer, et faire des offrande aux bonzes. C’est en effet vers la pagode que se tournent spontanément tous les Khmers qui font traditionnellement des dons. Dans une grande majorité ils sont bouddhistes. Et c’est un moyen d’accumuler des mérites en espérant avoir un meilleur "karma"dans sa prochaine vie. La pagode est aussi un lieu très ouvert qui accueille les personnes âgées les enfants orphelins ou abandonnés ...
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, Camboya, Battambang
Aujourd’hui, certaines organisations internationales implantées au Cambodge voient l’émergence d’une Société
civile dans les activités des ONG qu’elles ont impulsées. Personnellement. je préfère rester plus prudente en
parlant du développement d’un tissu associatif hétérogène et insuffisamment coordonné. Ceci dit, la réalité est là, aux formes de solidarité traditionnelle khmer s’ajoutent de nouvelles formes importées par les ONG. Je pense personnellement que les deux sont complémentaires. Il nous faut réussir à composer avec les deux. Sinon, nous risquons de ne permettre l’appropriation du projet que pour une petite partie de la population : en premier lieu, le personnel khmer des ONG.
C’est pour cela que nous avons diversifié nos partenaires du département local des ministères de l’éducation et de la jeunesse et des sports aux ong locales (parfois émanation d’ong internationales), aux ong directement issues des pagodes comme Boudhist for development. Nous espérons ainsi pouvoir rassembler l’énorme puzzle que constitue la société cambodgienne.
Rose Anne Papavero est une ex-volontaire d’Enfants réfugiés du Monde à Gaza. Elle est l’actuelle coordinatrice du progamme Battambang au Cambodge.
Texto original
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