Ou le mieux-être par le jeu des enfants réfugiés guatémaltèques : de la pratique à l’évaluation
06 / 1996
La brume ne s’est pas encore levée sur las Violetas, lotissement de familles déplacées, au coeur indien du Guatemala, Marcos, tout juste 8 ans, trotte le long d’un sentier de terre. Il porte en bandoulière, son "morral", petite besace tissé où l’on peut reconnaître les motifs traditionnels de son village. Il porte aussi sur son dos un énorme fagot... Des histoires de vie du quotidien. Plusieurs fois par semaine, Marcos part en forêt, tout seul, couper le bois pour la cuisson des "tortillas" (galettes de maïs)avant d’accompagner son grand frère à la "milpa" (champ de maïs). D’ici un ou deux ans, il ira avec lui cueillir le coton ou le café, dans les grandes plantations de la côte sud. A la croisée des chemins, Marcos rencontre son amie, Maria, même âge, partie chercher de l’eau au ruisseau. On en profite alors pour sortir ses petits trésors du "morral", des cailloux en guise de billes, un bout de ficelle ou un rameau taillé, pour faire un dessin dans le sentier boueux... On s’accorde un espace de liberté, pendant cinq minutes, on joue loin du regard des adultes et on repart.
Le poids du passé. Au cours de la dernière decennie, tous ont considérablement souffert du conflit armé, interne. C’est là en pays ixil, que dès 1981, l’armée a massacré les populations indigènes suspectes d’être la base économique et sociale de la guerilla et qu’elle a pratiqué une politique de terre brûlée. La plus grande partie de ces communautés paysannes ont dû se réfugier pendant plusieurs années dans les montagnes proches, où elles ont été pourchassées et bombardées, avant d’être réinstallées de gré ou de force dans des "villages modèles" où l’armée est restée présente et oppressante pendant de longues années...
Aujourd’hui, les Ixils vivent dans des conditions particulièrement difficiles : manque de terres, d’infrastructures (centres de santé, éducation...). La pauvreté, le faible niveau de scolarisation et les traumatismes psychologiques restent le lot quotidien de tous ces enfants. Corvée de bois, d’eau, cuisine, lessive surveillance des frères et soeurs cadets, récoltes, gardes des animaux... autant de tâches qui ne laisse pour le jeu que des moments volés au temps. Le temps de jouer tout simplement.
Lundi, 15 heures, sur la place centrale de Las Violetas, des enfants se retrouvent. Des enfants qui crient, qui jouent, qui rient et courent vers le Centre Juvénile (centre d’animation). Ils se retrouvent aujourd’hui pour ranger leur centre après le charivari de la dernière journée portes ouvertes. Les enfants commentent bruyamment entre eux les meilleurs moments de la fêtes tout en balayant le local, accrochant les grosses marionnettes et les dessins qui servent de décor à leur pièce de théatre. Ce jour les enfants ont présenté à leurs parents les différents coins du Centre : l’atelier de dessins, la menuiserie, où ils fabriquent des jouets, les masques, les cerfs-volant, les bacs d’argile, le coin musique et la ludothèque. La fête a culminé par la présentation d’un spectacle, moment valorisant pour ces enfants qui devenaient acteurs d’une pièce créée et montée par eux. Quand le rideau s’est levé, une marionnette géante est apparue, personnage insolite, fait de bois, fibre végétale et de matériel de récupération, portant le costume ixil des jours de fête, veste rouge brodée de noir et pantalon blanc. Les mères se sont impliquées dans l’évènement en participant à la préparation du goûter. Une fois le local rangé, les petits acteurs réintègrent les ateliers animés par des adolescents, leurs voisins ou grands frères. Les uns sortent la "marimba" qui retrouvent la place d’honneur devant le centre, les autres rejoignent Juan, l’animateur, assis sur une natte, qui va leur raconter l’histoire des premiers hommes de maïs, récit du "Pop-Vuj", histoire de la création du monde selon les Indiens maya-quiches. D’autres préfèrent la poterie, l’atelier "tissage" ou le dessin. Les dessins d’hélicoptères et de maisons en flammes d’il y a cinq ans se sont au fil du temps transformés en dessins sur la vie quotidienne : la corvée d’eau, l’ébriété du père mais aussi les montagnes, les animaux et les fleurs sont désormais beaucoup plus présents. Un pari qui n’est pas totalement gagné. Le temps d’un après-midi, les enfants ont pris une distance par rapport à la réalité du quotidien et sont redevenus... des enfants.
Mais le pari est loin d’être gagné : pourront-ils venir jouer mercredi prochain où devront-ils aller travailler aux champs ? Au Guatemala, s’accorder cet espace de liberté habité par le jeu est loin d’être une évidence. Les parents attendent des enfants une activité productive réelle mais non une activité "gratuite" puisque telle est leur représentation du jeu. Un long chemin à parcourir pour convaincre les parents que le jeu contribue également au bien-être présent et futur des enfants. Cet instant de vie que nous venons d’évoquer est un témoignage : le jeu permet d’expérimenter des émotions, d’apprendre à entrer en relation avec les autres, avec soi-même, permet de traiter les conflits sur un mode ludique et est de toute évidence un formidable outil pour aider les enfants en souffrance. Si de très nombreux signes singuliers nous amènent à penser que ce programme a certainement contribué au mieux-être de ces enfants, il n’en demeure pas moins que la problématique de l’impact immédiat visible et objectif des activités développées en faveur de la restructuration affective et sociale de ces enfants reste difficile à mesurer. Evaluer quantitativement un projet du secteur social ou socioculturel ne suffit pas. Le principal objectif est d’empoyer les outils méthodologiques adaptés à une évaluation incorporant des critères de qualités et de pertinences. En effet, comment évaluer un programme où le diagnostic de départ ne pouvait être que partiel dans la mesure où les premières années d’intervention, parler des effets de la violence était un sujet trop délicat. Dans le contexte de l’époque, évoquer les causes revenait à désigner les coupables. La prudence étant de rigueur ce n’est que quelques années plus tard que l’on peut se permettre d’évoquer ouvertement ces années.
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Quelle est la stratégie la plus adaptée pour évaluer le bien-fondé de ces activités auprès des enfants ? Les appréhensions de l’évaluation dans ce secteur sont aussi diverses que les activités des programmes qui essayent d’apporter une réponse aux besoins psychosociaux des enfants. A l’heure où partout dans le monde on admet enfin la prise en compte non seulement de la santé physique des enfants ayant souffert de la guerre et de la violence mais également de la santé mentale, force est de constater qu’il n’existe pas de méthodologie d’évaluation modèle et que seul l’échage d’expériences entre les organismes travaillent dans ce sens pourra amener cohérence et complémentarité.
A.ORTLIEB est responsable du programme "medianos" d’ERM de 1993 à 1995.
Texto original
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