Tobéré TESSOUGUE, Marie Laure DE NORAY
08 / 1995
Le « Alamodjou » (littéralement : groupe de vilains), est une organisation traditionnelle qui se retrouve dans chaque village du pays dogon, au Mali. Ce groupe est chargé de la protection des ressources naturelles renouvelables.
Le terme « Alamodjou » signifie, en dogon, vilaine physionomie. L’organisation traditionnelle en question doit ce nom aux traits physiques, à l’accoutrement, au comportement et à l’alimentation de ses membres le jour de leur fête. En effet, ce jour-là, le « Alamodjou » ressemble à un bouffon, il s’habille en guenilles, se couvre le visage de cendres, enfourche une tige de mil pour imiter le cavalier. Il se nourrit de déchets (notamment d’excréments !) dilués dans la bière de mil. Il parle un langage contraire au langage normal : pour dire « viens », par exemple, il dit « va ».
Certaines versions de la tradition orale dogon attestent que l’organisation Alamodjou aurait ses origines en Pays manding (partie Sud du Mali) et que les dogon l’auraient importée avec eux lors de leur migration vers les falaises de Bandiagara (actuel pays dogon) au 14ème siècle. Quelques soient les sources d’information, tous affirment que c’est une institution héritée des ancêtres depuis des siècles. En ces temps lointains, les guerres tribales étaient très fréquentes et les razzias battaient leur plein. Pour fuir cela, les tribus les plus faibles cherchaient refuge dans la brousse, très riche en végétation. Mais les destructions abusives d’arbres, les nombreux feux de brousse utilisés pour déloger les animaux sauvages et les tribus les plus faibles ont contribué à affaiblir la forêt et à clairsemer la brousse. Peu à peu, la population se sentit menacée par la sécheresse et les grandes calamités naturelles. Il fallait trouver une solution à cette destruction abusive, sinon, ce serait toute la population, souveraine aussi bien que vassale, qui serait menacée de disette. C’est ainsi qu’est née l’idée de créer une structure chargée de protéger la flore. Pour ce faire, les villageois, avec, à leur tête, le Hogon (chef traditionnel du village), décidèrent de créer un organe chargé de la protection de l’environnement. Cette institution villageoise prit pour fétiche une « grande queue de vache ». Tous les villages du pays dogon adoptèrent ce système qui s’ancra très vite dans les pratiques traditionnelles.
L’Alamodjou a donc pour mission la protection des arbres (gestion de leurs ressources, mobilisation des jeunes contre les incendies,…) ainsi que la gestion des points d’eau (aménagement et protection des sources, marigots, puits). Pour ce faire, elle exécute les décisions du Hogon, mais a le champ libre pour le choix des moyens. Personne n’entrave son travail car, doté de pouvoir occulte, elle inspire le respect et la crainte de tous, y compris du Hogon.
L’Alamodjou a à sa tête un « Seri » (littéralement :« chef de guerre »), secondé par un « Saga ». Le reste de l’organisation est constitué de « Soroman » (« brigadiers de patrouille ») hommes, femmes, ou même enfants. Leur nombre varie selon l’effectif du village. Par exemple, le village de Tawambara, qui compte environ 700 âmes, a un Alamodjou de 60 membres.
On naît Alamodjou (le mot signifie aussi bien l’institution que le membre), par voie héréditaire ou congénitale (en cas d’anomalie ou disgrâce physique) ou bien on le devient, par volonté personnelle. Dans ce cas, on peut quitter l’Alamodjou.
Parmi ses diverses activités, le « Alamodjou » a la charge d’annoncer les textes législatifs concernant la protection des ressources naturelles. Un crieur public membre de l’Alamodjou diffuse les communiqués lors de foires ou autres rassemblements populaires. Il n’existe aucun acte écrit. Le « vilain » jette l’anathème en ces termes : « Quiconque enfreindra aux règlements sus-édictés, sera vu et puni par le fétiche ». Effrayés à l’idée d’être châtiés par le fétiche, les gens obtempèrent. En fait, il n’y a pas que le fétiche qui veille. Secrètement, et sous les ordres du Séri, les membres organisent des patrouilles de répression. Lorsqu’un contrevenant est surpris en flagrant délit, on lui confisque son outil, et on saisit les produits de la cueillette ou de la coupe illicite. Puis, l’institution décide de la sanction, en fonction de la gravité de la faute et de la fonction du fauteur. En général, l’amende est double lorsque le contrevenant est un responsable politique ou administratif, ou membre Alamodjou. Les amendes vont de 5 mesures de mil au paiement d’une chèvre. Mais en cas de récidive, les sanctions peuvent aller jusqu’à l’exclusion de la société, et même jusqu’à la mort.
L’Alamodjou a aussi le pouvoir de faire venir la pluie en cas de sécheresse, ceci grâce à des invocations magiques. Dans un registre plus pragmatique, il est chargé de l’entretien de la flore sauvage et de l’introduction de nouvelles variétés. Il invite les villageois à planter des arbres. Il interdit formellement de cueillir des fruits comestibles non mûrs, de couper tout arbre jeune, ainsi que tout arbre donnant des fruits, des fleurs ou des feuilles comestibles utiles à la pharmacopée traditionnelle.
Les actions des Alamodjou sont concrètes et efficaces et garantissent la sauvegarde de l’environnement au pays dogon. Néanmoins l’organisation traditionnelle s’est vu affaiblie par l’islamisation des Dogons, la politique coloniale française, puis la politique d’administration centralisée du Mali.
Aujourd’hui, dans le cadre d’une meilleure politique de gestion des ressources naturelles, certaines ONG appuient les villageois à redynamiser cette institution coutumière. Au départ, cette étroite collaboration entre les ONG et les villageois a été vue d’un mauvais oeil par les services de l’Etat. Actuellement, le courant change et les autorités administratives se rendent compte de l’intérêt d’intégrer les villageois à la gestion des ressources naturelles de leurs terroirs. Pour cela, la reconnaissance de l’Alamodjou s’avère indispensable.
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, Mali, Pays Dogon
Biodiversité : le vivant en mouvement
Nous avons développé ci-dessus le rôle de l’Alamodjou dans la protection de l’environnement, car il s’agit de la fonction essentielle de l’institution. C’est aussi par cette fonction que l’Alamodjou a sa place parmi les acteurs potentiels de développement, et peut donc être pris en considération dans la mise en place des institutions communales à venir (à l’issue du processus de décentralisation administrative et politique). Mais l’Alamodjou a aussi d’autres prérogatives dans la société des Dogons. Ses membres sont investis du pouvoir surnaturel de remédier à la stérilité des femmes. Ils contribuent, en outre, à sauvegarder l’harmonie sociale dans les villages puisqu’ils ont un rôle de médiateur lors de conflits au sein du village ou même entre plusieurs villages. Nous voyons donc que l’Alamodjou est une institution clé dans le village qui a aussi une place à prendre au sein du dispositif dont se doteront les collectivités décentralisées. Pourquoi ne pas instituer un Alamodjou, organe exécutif des affaires liées à l’environnement au sein de chaque future commune du pays dogon, et même d’autres régions ? Souhaitons, en tout cas, que cette dynamique régénérée par quelques ONG ne retombe pas après leur départ. Les élus prendront-ils le relais ?
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