Après l’Etat… le ton !
Amadou Baba DIARRA, Marie Laure DE NORAY
08 / 1995
Dougouninkoro est un village situé à 48 km au nord-est de Ségou (2ème ville du Mali), en plein coeur de la zone rizicole Office Riz (O.R). Il y a une dizaine d’années, ses 1334 habitants constitués en un « Ton » villageois (terme bambara désignant une association ou un regroupement) se sont lancés dans une politique d’autodéveloppement efficace qui, depuis, ne cesse de porter ses fruits.
Jusqu’au milieu des années 80, les jeunes du village avaient pour habitude de se regrouper spontanément et proposaient leurs bras aux paysans moyennant finances. « L’argent obtenu était dilapidé dans des manifestations et des cérémonies grandioses. Il n’y avait pas de destination utile à cet argent… » raconte N’Thi Coulibaly, membre du Ton. Inquiet d’un tel gaspillage, l’O.R., structure publique d’encadrement de la zone, a suggéré aux villageois de s’organiser en association formelle pour, d’une part, préserver leurs revenus des mauvais emplois, et d’autre part, pouvoir prétendre à l’acquisition des crédits agricoles que l’O.R. conditionnait à l’existence d’une union crédible. « Il n’est plus question d’obtenir de l’Office ou par son intermédiaire des crédits individuels agricoles » avait-on alors annoncé du côté de l’O.R.
Le Ton villageois fut donc créé en 1985 et acquît sa reconnaissance juridique en 1986. Son objectif est d’assurer le développement du village sur le plan de la production et des résultats agricoles ainsi qu’une meilleure prise en charge des affaires locales par les populations elles-mêmes. Pour ce faire, Le Ton s’est fixé 3 axes prioritaires : la commercialisation du riz, la recherche de crédits agricoles et l’alphabétisation.
Les villageois de Dougouninkoro sont d’office membres du Ton. L’Assemblée Générale se réunit une fois par an. Le Ton s’est doté d’un Conseil d’Administration et d’un Comité de Surveillance.
En ce qui concerne la commercialisation du riz, le Ton ne fait que combler un vide laissé par le retrait de l’O.R. du circuit de commercialisation de ce produit. « Il était indispensable, explique N’Thi Coulibaly, que nous nous organisions en une structure coopérative pour prévenir une éventuelle mévente du riz due au désengagement de l’O.R. »
Après chaque campagne agricole, les productions individuelles sont conservées dans un magasin du Ton jusqu’à ce que les prix soient profitables aux paysans. De plus, le Ton aide les paysans endettés auprès de la BNDA (Banque nationale de développement agricole) à gérer leurs remboursements en effectuant un prélèvement systématique sur les récoltes.
Les résultats dans ce domaine sont loin d’être négligeables et témoignent de l’ingéniosité des paysans quant à la prise en charge et la gestion de leurs propres affaires. Même si c’est l’O.R. qui a poussé les villageois à créer une telle structure afin de se dégager progressivement de ses charges, l’idée s’est avérée opportune pour les populations qui l’ont fort bien accueillie. Notons que, contrairement à beaucoup d’autres villages, tous les habitants de Dougouninkoro sont membres du Ton (soit 1334 membres) et bénéficient d’une façon ou d’une autre de ses services.
Concernant le volet alphabétisation, le Ton développe depuis 1986, avec l’aide de l’O.R., un programme visant à alphabétiser le maximum de gens car « sans lettrés, pas de maîtrise du circuit de la commercialisation du riz, pas d’esprit de créativité, et encore moins d’initiative de regroupement » constate un agent de l’Action Coopérative de l’arrondissement. L’O.R. a ainsi aidé les villageois à prendre conscience de leurs capacités de gestion directe. L’alphabétisation provoque l’autonomisation des villageois par rapport aux structures d’encadrement : alphabétisés, les paysans sont à même de peser le riz, d’enregistrer les opérations financières. Ayant joué un grand rôle dans le démarrage du programme d’alphabétisation de Dougouninkoro, l’O.R. a aujourd’hui un représentant permanent dans le village chargé de cette question. Le bilan est globalement positif : les 4 centres d’alphabétisation tournent bien, et 160 villageois ont pu être alphabétisés de 1986 à ce jour.
Quant à la recherche de crédits agricoles, troisième domaine d’intervention du Ton, la tâche s’est avérée difficile et ingrate. Elle a néanmoins permis aux paysans de constater, à travers des péripéties houleuses, que les pratiques bancaires étaient incompatibles avec les desiderata des membres du Ton et les poussent à envisager un système plus adapté.
Le Ton de Dougouninkoro n’a pas seulement un rôle économique ; il est aussi un instrument de concorde et de solidarité villageoise, comme le montre les activités des jeunes du village ou encore le jardinage des femmes. Les jeunes ont développé leurs prestations agricoles qui étaient d’ailleurs à l’origine même du Ton. La rémunération est fixée à 10 000Fcfa par opération (labour, cerclage, récolte) chez un villageois et à 12 000Fcfa à l’extérieur du village. On constate que le changement de mentalité est notoire, et le comportement méritoire : plus question de dilapider les revenus, ils sont désormais versés dans la caisse commune pour servir l’intérêt général. L’initiative, au-delà de ses aspects lucratifs, donne l’avantage d’offrir au village une véritable main-d’oeuvre disponible, capable de faire face promptement à n’importe quelle demande agricole. La solidarité entre les jeunes s’en est vue renforcée. De plus, ces travaux champêtres freinent progressivement l’exode rural.
Pour le jardinage, les femmes de Dougouninkoro ont aménagé des terrains avec l’aide de l’ONG Africare. 300 femmes y occupent déjà des lopins, payant chacune au Ton 1500 Fcfa par an pour 100 m2. Les femmes peuvent ainsi prendre en charge une partie des dépenses familiales. Il en résulte un équilibre social favorisant l’émancipation des femmes, plus conscientes de leur force dans la société.
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, Mali
La mise en place du Ton villageois a provoqué une véritable révolution des mentalités, et ceci en quelques années seulement. Le travail d’équipe, la solidarité entre les différentes couches de la société, la foi commune dans un développement rural harmonieux, ont vraiment changé la vie du village de Dougouninkoro !
Dougouninkoro a désormais une population agissante, une force disponible qu’il faudra entretenir et stimuler. Sur la vingtaine de villages encadrés par l’O.R dans l’arrondissement, Dougouninkoro fait bel et bien figure de proue. C’est une référence dont parlent fièrement aussi bien les responsables de l’Action Coopérative (service public) que ceux de l’O.R. Mais tous les Tons villageois créés depuis dix ans ne sont pas aussi dynamiques et productifs. On peut néanmoins rester optimiste quant à leur évolution sur le modèle de Dougouninkoro.
Notons pour finir que, contrairement à bon nombre d’organisations sociales, le Ton de Dougouninkoro ne conditionne pas sa réussite à la présence d’un leader mais à la volonté commune de résoudre un problème nouveau : celui du désengagement progressif de l’Etat.
Cette fiche a été réalisée sur la base d’une enquête effectuée en 1995. L’ensemble dans lequel elle s’inscrit a fait l’objet par la suite d’une publication séparée, sous le titre : On ne ramasse pas une pierre avec un seul doigt : organisations sociales au Mali, un apport pour la décentralisation, FPH; Centre Djoliba, juillet 1996. S’adresser à la Librairie Fph, 38 rue Saint-Sabin, 75011 Paris.
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