Le cas de la Fédération des CLCAM au Bénin
1996
La Fédération des Caisses d’épargne et de crédit agricole mutuel (FECECAM) illustre les évolutions complexes des dynamiques entre micro et macro. En 1988, le réseau, constitué de Caisses locales de crédit agricole mutuel (CLCAM), de Caisses régionales de crédit agricole mutuel (CRCAM) et, au sommet, d’une Caisse nationale de crédit agricole (CNCA), était en crise financière grave (illiquidité partielle des dépôts, faible activité de crédit au niveau local) et la CNCA était mise en liquidation. Ceci dans un environnement difficile, tant politique (fin de régime marxiste) que économique (salaires de la fonction publique non payés depuis cinq mois, crise du secteur bancaire qui devait conduire à son renouvellement total).
L’IRAM était amené, à la demande de l’administration béninoise et des bailleurs de fonds, à réaliser une étude de faisabilité de la réhabilitation du réseau CLCAM-CRCAM, puis à mettre en oeuvre en tant qu’opérateur la proposition de réhabilitation fondée sur une mutualisation (en recentrant l’activité financière d’épargne et de crédit au niveau des seules CLCAM, en redéfinissant le sociétariat et en donnant le pouvoir à la base au profit de ceux formant l’épargne) et la reconstitution des fonds propres et dépôts (1989-1993).
Après trois ans de réhabilitation, la confiance était revenue et le réseau était restructuré, avec les CLCAM à la base, les Unions régionales de CLCAM (URCLCAM remplaçant les CRCAM) au niveau départemental assurant des services aux CLCAM et la FECECAM (remplaçant l’ancienne CNCA) assurant à la fois des services au réseau et une fonction d’interface avec l’environnement institutionnel (administration, secteur bancaire, bailleurs de fonds, etc.).
En 1995, le réseau FECECAM représente 9 milliards de FCFA d’épargne collectée (1 FF = 100 FCFA), 4,5 milliards d’encours de crédits, 55 CLCAM, 7 URCLCAM, ce qui en fait le premier réseau de coopératives d’épargne et de crédit en Afrique de l’Ouest francophone. Il a désormais acquis un impact et une reconnaissance nationales et devient un interlocuteur des pouvoirs publics, du secteur bancaire et des bailleurs de fonds.
Le réseau développe maintenant des initiatives porteuses de changements en terme de développement avec, par exemple, le Tout petit crédit aux femmes (TPCF) qui a permis que, en deux ans, le sociétariat féminin, qui n’était antérieurement que de moins de 20 %, passe à 42 %, ces crédits ayant représenté 40 % du nombre total des crédits en 1995.
Il a été source de tensions, lors de la réhabilitation, avec une opposition de l’administration à cette réhabilitation en raison de la perte de pouvoir par rapport à la situation antérieure où la gestion était fonctionnarisée (représentation des fonctionnaires dans les instances chargées de l’octroi du crédit, salariés de l’ex-CNCA détachés de l’administration auprès de celle-ci), entraînant une critique de l’administration concernant les taux d’intérêt sur le crédit pratiqués par le réseau (24 % l’an) qualifiés d’usuraires alors que ces taux avaient été fixés par le sociétariat. Dans un contexte historique de remise en cause du pouvoir politique par le monde paysan avant la transition démocratique (1990), ces derniers ont défendu leur réseau, manifestant ainsi leur volonté de rester maîtres de sa gestion. L’une des conséquences de cet état de fait a été que le réseau, malgré son envergure nationale, n’a pu exercer son influence sur la définition d’une politique nationale en matière de crédit rural.
Il connaît aujourd’hui d’autres tensions résultant de l’exercice difficile des rapports de pouvoirs entre les élus - qui tiennent à exercer leurs prérogatives- et les salariés et cadres (FECECAM et URCLCAM) pas toujours attentifs à rendre compte aux élus de leur gestion, avec des conciliations parfois complexes. Mais ces rapports de pouvoir rendent compte aussi de la dynamique d’un réseau, à la différence d’autres du même type où le pouvoir reste concentré entre les mains des salariés et cadres.
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, Benín
Microfinances pour le développement : diversité et enjeux des crédits alternatifs
La réhabilitation du réseau FECECAM montre que, malgré une crise financière et de confiance profonde en 1988, il est possible de relancer un réseau avec une méthodologie adaptée, fondée d’abord sur la mutualisation, avec une redéfinition du sociétariat sur une base cohérente (formée des seuls paysans, éleveurs, pêcheurs, artisans, petits commerçants) à l’exclusion de catégories sociales extérieures au milieu et ayant souvent tendance à prendre le pouvoir dans les organes de gestion (salariés, fonctionnaires, gros commerçants). Redonner le pouvoir au sociétariat « naturel » formant l’épargne locale et le rendre maître de la gestion des CLCAM, c’était aussi redonner la confiance et permettre un développement ainsi qu’une dynamique réelle de passage du niveau micro au niveau macro.
D’une manière générale, la réhabilitation a été perçue comme exogène ou externe (surtout le fait des bailleurs de fonds). Elle est révélatrice des conflits entre ruraux et administration (sur les taux d’intérêt, mais aussi d’une rupture politique). Mais elle a permis aux paysans d’obtenir le pouvoir de gestion et de contrôle sur le réseau qu’ils revendiquaient depuis la mise en liquidation de l’ex-CNCA. Sans le pool des bailleurs de fonds exerçant une influence déterminante, l’évolution n’aurait pu conduire aux résultats positifs constatés. Elle montre aussi que la dynamique entre micro et macro passe, dans un environnement institutionnel hostile, par l’influence d’un facteur externe déterminant (bailleurs de fonds) comme levier du changement
Par contre, en raison des conflits cités, le réseau FECECAM n’a pas été en mesure d’avoir une influence sur la détermination d’une politique nationale du crédit rural. L’administration a suscité de nouveaux programmes de crédit et d’épargne dans un environnement déjà pourvu d’initiatives multiples en ce domaine, avec des effets de concurrence présentant parfois des impacts négatifs. Le rôle fédérateur du réseau FECECAM n’est donc que partiel en matière d’épargne et de crédit.
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