04 / 1996
"Allô, le service de Médiation ? Voilà c’est une situation un peu particulière ..."
C’est généralement sous cette forme que nous arrivent les demandes de médiation.
Deux premières remarques s’imposent : le contact est téléphonique et donc uniquement verbal ; chacun croit que son "cas" est vraiment un problème complexe.
Le travail est alors d’entendre la demande et de la clarifier sans entrer dans les détails. A partir de là, deux possibilités : soit il s’agit d’un problème très spécifique à la personne ou à la situation, et il faudra orienter notre interlocuteur vers un avocat, un conseiller conjugal, une administration, un psychothérapeute,...; soit la situation semble être du ressort de la médiation et peut éventuellement être prise en charge : deux parties au moins sont en conflit et ont du mal à communiquer. Il s’agit de voir jusqu’où la communication n’est pas rompue.
Si c’est possible, notre interlocuteur pourra proposer de "venir en médiation" à l’autre partie. Sinon, nous nous chargerons de le faire par une lettre engageante. Très souvent, cette démarche restera sans suite ; pour entamer une médiation valable, les deux parties doivent y venir volontairement.
En fait, on constate que la seule prise en compte, la seule écoute du problème vécu par la partie contractante est en soi d’un grand effet apaisant.
"Allô ?... Je suis le président du Conseil d’Administration d’une association et nous avons un problème dans notre équipe : les travailleurs sont en conflit et cela perturbe gravement le fonctionnement du travail".
Ici, il y a trois parties, les protagonistes directs du conflit et les autres, plus extérieurs mais concernés.
"Je suis le représentant d’un Comité de quartier et nous souhaitons qu’un conflit de voisinage qui empoisonne la vie de tous puisse trouver une issue".
Dans ces deux cas, une pression pourra exister pour que les parties en conflit acceptent de venir en médiation.
A ce stade préliminaire, les conditions de la médiation sont précises : choix d’un lieu neutre, date et heure, modalités financières.
Ces conditions précisées par téléphone et/ou par écrit seront confirmées au début de la première séance.
Qui paie, par exemple, et combien ? Les parties, en principe, de manière égale. Mais le Conseil d’Administration ou le Comité de quartier évoqué plus haut pourra intervenir.
Le temps consacré à la médiation pourra être pris sur le temps libre de chacun, ou, dans le cas d’un conflit professionnel, sur le temps de travail.
Le premier rendez-vous fixé, les parties en conflit se présentent. Le principe général est que ce qui pourrait se dire avant ou après la séance sera ramené en séance.
Il ne faudra pas accepter les confidences unilatérales.
Le rappel des règles en début de séance est primordial : chacune parle à son tour, la violence est prohibée, la séance dure autant de temps, le prix est fixé.
"Oui, mais il gagne plus que moi, il n’est pas normal qu’il paye la même chose", dira ce monsieur de son voisin. Il faudra préciser que la question de l’argent est à régler avec le service de médiation et est une des conditions strictes.
Le médiateur sera aussi attentif à créer un climat de sécurité : "ce qui se dit ici reste ici", refusera de faire rapport à qui que ce soit, sauf si les parties le souhaitent, insistera sur la liberté de chacun, et sur le rythme de la séance : chacun peut demander à interrompre, à souffler; il remerciera les parties de leur sens social en venant en médiation.
"Qui commence, vous Monsieur ?" "Madame, votre tour viendra après. Notez, si vous voulez bien sur ce papier vos remarques, s’il y en a".
La première partie sera certainement consacrée à vider l’abcès, chacun met sur la table ses griefs, ses ressentiments, ses colères, ses peurs, et cela suscite des réactions souvent émotionnées chez l’autre : "Je vois bien Monsieur que vous n’êtes pas d’accord, nous allons en parler tout de suite".
Cette première partie sera relativement longue.
Dans un conflit qui oppose deux étudiants, Jean et Pierre, logeant dans le même bâtiment communautaire, Jean reprochait à Pierre de faire trop de bruit. Pierre n’admettait pas que Jean pénètre chez lui sans permission et ait un jour cassé par inadvertance une petite statuette en terre. C’est cet objet qui va être d’un grand enjeu symbolique, car s’il est sans valeur "marchande", l’on s’apercevra que pour Pierre cette statuette a une importance sentimentale énorme. A comprendre et faire comprendre, donc.
Après avoir joué le rôle de modérateur de discussion, le médiateur s’attachera à reformuler les propos des parties
IL s’agira de procéder par petites étapes, sur le mode de la supposition et d’éviter les jugements. Une place sera donnée à la reformulation des sentiments : "Je vous sens en colère ?". Autant que possible, au terme du récit, le médiateur posera des questions nécessaires à la clarification des points de vue. Les questions directes sont à éviter, surtout en début de médiation où il s’agit de construire la confiance. Les questions seront le plus "ouvertes" possible. Par exemple : "Pourriez-vous nous parler un peu plus de Madame Dubois ?". Autrement dit, il faut "inviter" les parties à parler.
Le médiateur sera le garant des règles, encouragera les interlocuteurs à être précis, à donner des exemples, il aidera à éviter les généralisations et sera attentif à "laver" les remarques trop acerbes faites par une partie à l’autre en paraphrasant de manière moins incisive. Cette phase de récit sera plus ou moins longue, plusieurs séances pourront être nécessaires. L’écoute emphatique est ici une pratique continue. Le médiateur sera partial avec l’un puis avec l’autre, pas impartial, c’est à dire détaché.
Au terme de cette phase de récit, il s’agit d’aider les parties à passer à l’étape de résolution du conflit. Les points communs sont relevés. Leur volonté de justice, de garder de bons rapports,...les points positifs seront soulignés. Les divers aspects du conflit sont listés : "Il me semble que nous devrions discuter maintenant des problèmes suivants ... Le dialogue sera encouragé, l’intérêt à long terme mis en avant.
Pour susciter les solutions, le médiateur présentera des hypothèses : "Et si...?" Avec prudence, le médiateur fera des suppositions, en évitant de favoriser ses propres idées. Il ne faut jamais perdre de vue que le conflit en cours appartient aux parties présentes et que le médiateur n’est qu’un"facilitateur".
L’accord sera rédigé le plus clairement possible, dans des termes positifs et précis. Il envisage les circonstances futures. Il sera daté et signé. Même s’il n’a qu’une valeur juridique très relative, cet accord revêt une signification morale forte qui engage les parties. Bien sûr, cette issue est l’aboutissement "idéal" d’une médiation. A tout moment, chacune des parties peut l’interrompre. Le médiateur doit accepter la possibilité permanente d’un échec, c’est la condition de la réussite de la médiation.
Se pose ici la question essentielle de ce qu’est une médiation réussie ou plutôt de savoir quand il y a échec. Car le conflit n’est-il pas une situation à gérer, à franchir, plutôt qu’à résoudre une fois pour toutes?
François BAZIER TRAVAILLE à l’Université de paix de Namur.
Libro
BAZIER, François, La médiation, Non violence actualité, 1993 (France)
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