Jean Gabriel SENI, Benoît LECOMTE, Brigitte REY
08 / 1995
Jean-Gabriel Seni, fondateur de la Fédération des Groupements de Ouarkoye (Burkina Faso)raconte son histoire.
"Mon père était un paysan qui m’a refusé l’école de la mission catholique en disant : "Tu ne feras pas un bon paysan si je t’envoie à l’école". Alors, il m’a tout montré pour être un bon paysan. Il voulait me faire savoir d’où chaque chose provenait. Il me faisait cultiver. Mon père m’a condamné en même temps qu’il m’a béni. Béni parce qu’il a refusé de m’envoyer à l’école pour que je sois un bon paysan. Condamné parce que je suis resté attaché à la terre pour toujours. Je vivrai toujours pauvre paysan. Grâce à la bénédiction de mon père et à son exemple, j’ai pu être un peu utile à la société moderne. Grâce également à des conseils extérieurs qui m’ont fait supporter et vaincre beaucoup de difficultés. Malgré ma timidité, beaucoup de gens de l’extérieur sont venus me solliciter, ils étaient confiants en ma personne, ce qui m’a beaucoup aidé.
En 1957, j’ai été élu le premier président de la jeunesse de mon village et en 1958, nous avons construit la première maison des jeunes de la région. Puis je suis allé en formation dans un centre agricole pour pratiquer la nouvelle méthode de la culture attelée que j’ai lancée, à Fakéna, en 1964. Elle est maintenant très répandue. En 1966, j’ai fait une formation au CESAO (Centre d’Etudes Economiques et Sociales d’Afrique de l’Ouest, Bobo Dioulasso, Burkina Faso)pour les paysans sur les thèmes de l’animation, la production, l’épargne et le crédit, la santé et tout ce qui peut aider les gens à mieux vivre au village. En 1968, j’ai créé, avec les paysans de mon village, la première caisse populaire d’épargne et de crédit agricole. En 1975, je suis retourné au CESAO avec d’autres paysans africains pour une rencontre de deux semaines. Nous avons alors trouvé que nos problèmes étaient les mêmes et avons créé l’Association pour la Formation des Paysans Africains (AFPA)regroupant plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest. J’en ai été le président pendant 10 ans.
En 1976 a eu lieu la première rencontre nationale des paysans de Haute-Volta.
Comment cela est-il arrivé ? Comme j’aimais beaucoup la terre, je voulais avoir du savoir et du pouvoir, ce que je ne pouvais pas trouver au village. Je suis allé en formation pour la culture attelée, mais les gens de mon village m’ont critiqué; ils ont dit que j’étais bête, que ce n’était pas la peine d’aller apprendre ces méthodes de culture de Blancs. De même pour la caisse populaire (d’épargne et de crédit)cela s’est passé de la même façon : certains disaient que j’allais partir avec l’argent. En fait, nous sommes tous de petits Saint Thomas : il faut voir pour croire. Lorsque mes résultats agricoles ont été meilleurs avec cette méthode de culture attelée, cette méthode des "Blancs", les gens ont vu que c’était possible chez nous. C’était en 1964/65, mais ils ne voulaient pas venir et dire : "Tu as raison". J’ai eu beaucoup de difficultés, j’ai même été condamné à six mois de prison parce que j’organisais les paysans. Mon coton, qui était le plus blanc du village, a été classé en 3ème catégorie par les contrôleurs de la Société. Ceci dans les années 1970.
Prendre des responsabilités est très difficile. Parce qu’il faut être serviteur de tous les paysans; alors, souvent, tu es absent de ton propre champ et personne ne t’aide; tu fais des dépenses pour le groupement qui sont mal vues par les non-membres; tu es critiqué par les hommes politiques, les hommes de pouvoir; mais aussi par les commerçants qui exploitent l’individualité des paysans car - quand ces derniers se regroupent - ils voient qu’ils ne pourront plus les exploiter. Ils sont donc contre toi. J’ai pu, moi-même, dépasser tout cela grâce aux formations que j’ai reçues. Mes amis les formateurs du CESAO m’ont beaucoup aidé. Ils m’ont donné de nombreux conseils. Il fallait convaincre tous ceux qui disaient que je faisais l’entente avec les Blancs de l’extérieur pour les tromper. Ensuite, en voyant les résultats, ils ont compris. Le chef du village, qui avait été le principal frein du développement, est même parti en formation au CESAO. Mes détracteurs ont alors saisi que mes amis et moi-même étions là pour les aider à développer le village et même la région toute entière.
Enfin, je vais te dire quelque chose de très important : quand tu es responsable, en plus de tous ces problèmes, tu as des conflits avec ta famille et tes enfants. Car tu les laisses seuls, tu vas voir bénévolement ce que les autres font, au lieu de t’occuper d’eux. Alors, même tes parents sont contre toi".
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, Burkina Faso, Fakena, Ouarkoye
Bien avant (1959-1976)que la démocratisation devienne un mot d’ordre mondial (1995)! Un paysan analphabète organise, pas à pas, et non sans difficultés, son village, sa petite région, les début du mouvement national de son pays devenu le Burkina Faso. Et ceci sans bruit, avec l’aide de la rigueur paternelle et de la confiance de quelques étrangers.
Interview de Jean Gabriel Seni, président de l’Union des Groupements de Fakena, Ouarkoye par Benoît Lecomte.
Entretien avec SENI, Jean Gabriel
Entrevista ; Relato de experiencia
1989
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