Le faux discours des experts européens dans les pays du Sud
02 / 1996
Alexis MAHEUT, ancien pêcheur, dirige la coopérative de pêche du Havre et le comité local des pêches. Il a effectué des missions à Madagascar et en Somalie pour le compte d’une ONG française.
"A Madagascar, je devais montrer de nouvelles techniques de pêche dans un village de pêcheurs. En fait, je n’ai pas montrer grand chose, j’ai surtout essayé d’améliorer l’organisation.
Le meilleur des pêcheurs de langoustes du village était parti pendant 15 jours en pleine saison pour aller chercher du riz à l’autre bout du pays, un peu moins cher qu’à la ville proche. Sachant ce qu’il pêchait, je lui ai fait comprendre qu’en achetant du riz plus cher et en travaillant pendant deux semaines, il aurait encore gagné de l’argent. En revenant du campement, comme la plupart des pêcheurs avaient le niveau bac, on s’est enfermé pendant deux jours dans une salle de classe et on a fait des calculs. C’était un peu une révolution sur place parce que les experts qui viennent là-bas leur racontent rarement la vérité, ils ne sont pas francs avec eux. Je leur ai dit : "je suis avec vous pendant cinq semaines, je ne suis pas là pour vous baratiner, j’ai été pêcheur en France comme vous sur un petit bateau qui était grand comme le votre, mais quand je vais revenir en France, je ne vais pas vous envoyer du matériel gratuitement, je ne vais pas vous écrire parce que je n’aurai pas le temps, je ne peux pas vous recevoir et je ne pense pas revenir, à moins qu’une autre ONG me paye le voyage. Ne comptez pas sur moi en France." On leur dit toujours : "Quand je reviendrai en France, je vous enverrai du matériel, des vêtements..." et en fait, il n’y a que 2% des gens qui le font vraiment et là-bas c’est très important parce qu’ils comptent sur les gens extérieurs.
Les coopérants promettent toujours monts et merveilles aux gens et je trouve cela lamentable. C’est évident que les Malgaches ont du mal à nous contacter en France. Certains m’ont demandé de l’argent. Je leur ai dit "non". J’aurais pu dire "oui" et pas le faire. Il y a plein de gens qui le font.
Je crois que ma franchise leur a beaucoup apporté parce que je leur disais que je n’avais pas d’intérêt chez eux et que si ce que je leur apportais ne les intéressait pas, je m’en fichais. Ca les a marqués. D’autres experts de différentes ONG m’ont succédé et je sais que les pêcheurs ont gardé de l’argent pour me faire revenir. C’est la première fois qu’ils faisaient cela.
En Somalie, quand les pêcheurs nous ont vu arriver, ils ont commencé par nous demander si on était en vacances. Ils avaient peut-être vu 25 ou 30 missions d’ONG dans leur village et tout le monde leur avait fait des promesses mais les actions n’avaient pas suivi. Là aussi, je leur ai dit : "Quand je vais revenir en France, je ne vous promets rien. D’abord parce que je ne suis qu’un participant à une mission, pas le directeur de l’ONG. Je vais lui donner mon avis, je ne sais pas s’il va le faire et si je vais revenir une deuxième fois vous voir". Ils ont été un peu surpris, personne ne leur avait parlé comme ça."
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, Madagascar, Somalia
La communication entre professionnels, d’égal à égal, passe sûrement mieux qu’entre un ingénieur agronome et un pêcheur. De la qualité de cette communication dépend en grande partie la réussite d’actions de développement.
Entretien réalisé par Sophie Nick au Havre dans le cadre de la capitalisation d’expérience du CEASM.
Entretien avec MAHEUT, Alexis
Entrevista
CEASM (Association pour le Développement des Activités Maritimes) - Le CEASM a arrêté ses activités en 2001. - Francia