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Rwanda : les mots, les rires et les larmes

Florence DA SILVA

01 / 1996

Rwanda, 6 janvier 1996. Demain cela fera cinq mois que je parcours les rues alternativement poussiéreuses et boueuses de Kigali. Après deux mois exploratoires passés dans les associations de femmes, les sièges des ONG travaillant de près ou de loin sur le traumatisme de l’enfant et les orphelinats, je suis revenue pour occuper le poste de coordinatrice de l’association Enfants Réfugiés du Monde.

Autant durant ces deux premiers mois ma plume a traversé abondamment mes carnets de route, autant les tâches liées à mon nouveau poste ont mis fin à ce flux d encre. Pourtant, j’ai continué de les rencontrer ces enfants aux grands yeux dans la rue, ils m ont toujours provoqué dans le ventre cette vague chaude, émouvante, triste et tellement gaie à la fois. Après avoir dansé avec les jeunes filles orphelines de l’association Benimpuhwe, j’ai multiplié à mon retour sur les collines de Kigali et d ailleurs les occasions de vivre encore et de partager cette joie des spectateurs chaque fois ébahis face à la légèreté des danseuses et le ressort des Intore.

Que dire aussi du frisson qui traverse l’audience émue à l’écoute des chansons traditionnelles et plus encore des chansons récentes qui racontent la guerre, le génocide, les pertes, les orphelins, la douleur en un mot. C’est parfois dans des larmes discrètes que coule la joie de pouvoir écouter des mélodies qui rappellent "l’avant" mais qui sont désormais illustrées de paroles qui décrivent les événements tragiques qu’a connu le Rwanda en 1994 et le déchirement qui a suivi.

Comment expliquer que même sans comprendre les paroles de ces chansons on doive lutter contre les perles humides qui naissent au bord des yeux, sinon par le fait que le génocide dont ont été victimes les Rwandais est un crime contre l’Humanité et touche donc à l’essence de l’Homme, quelle que soit sa nationalité. J’aimerais vraiment partager avec ceux qui sont loin d’ici la kyrielle d’émotions qui m’envahit chaque jour. C’est presque impossible. Ecrire fait perdre une partie essentielle de la substance de ce qui a été vécu et lire l’événement n’est jamais tout à fait le vivre.

Mais je ne voudrais pas faire passer l’idée fausse que le Rwanda n’est que larmes au quotidien. L’émotion suppose ici un large spectre de sentiments. Ce n’est pas non plus de pitié dont je vous parle. La pitié ne sert à rien. Je vous parle du partage d’un épisode de l’histoire de ce pays avec ses survivants.

Aujourd’hui je reprends l’écriture. Peut-être que ce temps de latence m’aura aidé à mieux synthétiser toutes ces images, ces sons et ces paroles du Rwanda pour mieux les partager.

Mes souvenirs les plus déchirants côtoient les plus heureux quand je repense à mes visites dans les orphelinats, ou plutôt les "centres d’enfants non- accompagnés". Il a été tellement difficile de devoir repousser les grappes d’enfants qui se formaient au bout de mes bras avec toute la violence du désir d’affection non satisfait; tellement drôle aussi de dessiner maisons, voitures et fleurs avec ces petits hommes dont les éclats de rire inattendus vous transpercent agréablement; tellement rafraîchissant enfin de les voir jouer et chanter, ensemble. Ça me faisait oublier un instant les pieds coupés de la petite en bleu, les jambes absentes d’une autre, le crâne déchiré d’une troisième. Celle-ci va mourir bientôt : un éclat d’obus est resté à l intérieur de sa tête. Je me souviens aussi d’une gamine avec laquelle j’avais joué à nommer les parties du corps dans plusieurs langues. Celle-là aussi sera morte bientôt, elle est atteinte du SIDA, autre fléau de ce pays.

Maintenant que je travaille au Rwanda, je dois essayer de ne pas penser à l’ensemble des problèmes qu il doit affronter : justice, reconstruction, santé mentale, veufs, orphelins... Sinon c est trop déprimant, on se demande en quoi notre petite action peut soulager les gens. Pourtant il faut aussi avoir en tête ce contexte socio-historique pour comprendre certains comportements et adapter nos objectifs.

Rwanda, 6 janvier 1996. Nous sommes au coeur de l’Humanité, dans ce qu’elle a de plus écoeurant et de plus beau à la fois.

Palabras claves

conflicto étnico, transición de la guerra a la paz, víctima de guerra, niño


, Ruanda

Notas

Contact personnel: Florence DA SILVA, 89-91 rue Pelleport 75020 Paris, France.

Ce texte a fait l’objet d’un article dans la revue de l’association DATAFRO" Alternatives Africaines", 180 avenue Henri Ravera, boîte N°8, 92220 Bagneux-France.

Fuente

Texto original ; Documento de trabajo

ERM (Enfants Réfugiés du Monde) - 34 rue Gaston Lauriau, 93512 Montreuil cedex, FRANCE - Tél. : 33 (0)1 48 59 60 29 - Francia - erm (@) erm.asso.fr

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