Il existe une dérive langagière qui part du "malaise lycéen" et qui attribue indistinctement à l’ensemble d’une catégorie extrêmement diversifiée et dispersée : les lycéens, un "état de santé ou d’esprit mal identifié". En effet, quel est le lien entre des établissements de fortune que l’on a multipliés à la hâte dans des banlieues défavorisés et les établissements hautements fermés, où les lycéens de bonne famille mènent une vie scolaire tranquille?
Les auteurs rapellent à juste titre que jusqu’à la fin des années 50, la sélection à base sociale qui s’opérait ainsi était assez largement acceptée par les enfants qui en étaient les victimes et par leur familles car elle paraissait reposer exclusivement sur les dons et les mérites des élus et que ceux que l’école ne voulait pas étaient convaincus (notamment par l’école)qu’ils ne voulaient pas de l’école. A partir des années 50, le système scolaire français a connu l’entrée dans le jeu scolaire de catégories sociales qui en étaient pratiquement exclues. Après une période d’illusion et d’euphorie, les nouveaux élus ont progressivement compris non seulement qu’il ne suffit pas d’accéder à l’enseignement secondaire pour y réussir, mais également qu’y réussir ne signifiait pas accéder aux positions sociales auxquelles les titres scolaires comme le baccalauréat donnaient accès en d’autres périodes. Ce changement de perspective amenait un discours dominant nouveau sur l’école: l’échec scolaire n’est plus, ou seulement plus, imputable aux déficiences personnelles, c’est à dire "naturelles" des exclus; de nouvelles grilles d’analyse "sociologisantes" apparaîssent: handicaps sociaux, obstacles culturels, insuffisances pédagogiques. Actuellement, le processus d’élimination des élèves de catégories sociales défavorisées a été différé et étendu dans le temps: " L’institution est habitée durablement par des exclus en puissance, qui y importent les contradictions et les conflits associés à une scolarité sans autre fin qu’elle même...En étalant le processus dans le temps, elle offre à ceux qui le vivent la possibilité de s’en dissimuler la vérité ou du moins, de se livrer à soi même à propos de ce que l’on fait"
Les élèves "bien nés" qui ont reçu de leur famille un sens de placement bien affûté, et aussi les exemples ou les conseils capables de les soutenir en cas d’incertitude, sont en mesure de placer leur investissements au bon moment et au bon endroit, c’est à dire dans les bonnes filières, les bons établissements, les bonnes sections; au contraire , ceux qui sont issus des familles les plus démunies, et en particulier les enfants d’immigrés, souvent livrés complètement à eux-mêmes, dès la fin des études primaires sont contraints de s’en remettre aux injonctions de l’institution scolaire ou au hasard pour trouver leur voie dans un univers de plus en plus complexe et sont ainsi voués à placer à contre temps un capital culturel au demeurant extrêmement réduit. Les auteurs dénoncent le système d’enseignement français largement ouvert à tous et pourtant strictement réservé à quelques-uns et qui réussit le tour de force de réunir les apparences de la "démocratisation" et la réalité de la reproduction, qui s’accomplit à un degré supérieur de dissimulation, donc avec un effet accru de légitimation sociale. Ainsi, l’école exclut comme toujours, mais elle exclut désormais de manière continue, à tous les niveaux du cursus, et elle garde en son sein ceux qu’elle exclut, se contentant de les reléguer dans des filières plus ou moins défavorisées. Il s’ensuit que ces exclus de l’intérieur sont voués à balancer, en fonction sans doute des fluctuations et des oscillations de ses sanctions, entre l’adhésion émerveillée à l’illusion qu’elle propose et la résignation à ses verdicts, entre la soumission anxieuse et la révolte impuissante.
Certains, par goût de la dramatisation et recherche de sensationnel, parlent du malaise lycéen, en le ramenant au malaise des banlieues, lui même contaminé par le fantasme des immigrés inassimilables.
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, Francia
Cet article explique comment de moyen potentiel de mobilité sociale, l’école s’est progressivement transformée en machine d’exclusion sociale en douceur. Certes, par l’allongement de la durée de scolarité, elle accorde un sursis aux exclus de l’intérieur en les maintenant le plus longtemps possible dans l’illusion. Mais au prix d’un rude réveil sur les chemins de la délinquance et de la contestation sociale.
Artículos y dossiers
BOURDIEU, Pierre; CHAMPAGNE, Patrick in. ACTES DE RECHERCHES EN SCIENCES SOCIALES, 1992 (France), N° 91-92
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