L’odyssée de Roberto, 2ème partie
12 / 1994
Les projets de réinstallation du migrant n’ont pas du tout un caractère d’uniformité; comme pour les projets de départ, les projets de retour des Etats-Unis stigmatisent les différences sociales entre migrants. Ces projets peuvent aller de la dépense ostentatoire et généreuse de l’épargne accumulée au Nord à l’investissement dans la terre ou un commerce.
Comme la plupart des migrants, Roberto n’envisage pas d’investir son épargne dans un projet agricole, d’abord parce qu’il est difficile de trouver des parcelles à acheter; ensuite parce que la situation de paysan sur les hautes terres est tellement difficile que les jeunes s’en détournent, d’autant plus que la promotion par l’école et la migration leur a donné d’autres perspectives. Ce qui fait rêver Roberto, c’est la création ou l’achat d’un commerce à Tarecuato, à Zamora ou à Jacona, sans pour autant renoncer à vivre dans la communauté : la vie de migrants en zone urbaine leur a donné "l’esprit d’entreprise", a suscité l’envie d’avoir son propre commerce, d’être patron chez soi.
Le retour du migrant se concrétise très souvent par l’amélioration de son habitation ou la construction d’une nouvelle maison. C’est tout le processus de la consommation et de l’émergence des besoins qui est accéléré et transformé; la reproduction des modèles de consommation est de plus en plus décalée par rapport aux besoins réels de la population de Tarecuato; de plus la consommation se traduit par un renforcement de la différenciation sociale, l’accès à la consommation traduisant ici comme ailleurs une distinction sociale en contradiction avec l’idéologie et le lien social communautaires.
Le lien communautaire est sérieusement malmené par l’impact du processus migratoire. Les stratégies de progrès et d’ascension sociale par la migration se sont développées au détriment de l’intérêt collectif. Il est difficile de réunir les fonds pour la création d’entreprises locales génératrices d’emplois pour des jeunes ou des pères de famille de Tarecuato. Le migrant est un élément en marge qui ne souhaite pas réellement apporter sa contribution au développement communautaire. Pour lui, tous les projets socio-économiques locaux ou nationaux ne font que s’ajouter à la longue liste des échecs des actions de développement rural.
Comme tout migrant au Nord, Roberto intègre la notion d’autonomie et la notion de contrat qui crée un type particulier de lien social entre des personnes. Il manifeste par contre un grand enthousiasme quand il s’agit de participer aux charges et à la célébration de fêtes religieuses. Il essaie d’organiser son retour à l’occasion de l’une de ces fêtes qui pérennisent le sentiment d’appartenance. Il participe au consensus autour des valeurs traditionnelles en même temps qu’il est un témoin extérieur de l’évènement. Plus ses séjours à l’extérieur sont longs, plus sa participation ressemble à celle du touriste ou du curieux venu assister à un événement en milieu indien sur le mode de la consommation. S’il ne découvre pas à proprement parler la culture indienne comme les autres touristes, il redécouvre cependant cette culture dont il s’est petit à petit éloigné et dont le sens est en continuelle évolution.
Le parcours que nous avons suivi avec Roberto en tant qu’acteur en marche vers l’autonomie, nous amène d’abord à remarquer que la transformation du lien social est un aspect d’un processus global, celui des transformations à la fois techniques, économiques, sociales, culturelles et politiques. Les processus d’intégration s’effectuent au travers de "grands intégrateurs" que sont d’abord la communauté ethnique et familiale, la religion, la nation mexicaine, fondements de la solidarité mécanique, c’est-à-dire le lien social traditionnel; le travail et l’échange renvoient à la solidarité organique et un lien social plus récent qui se superpose au lien communautaire. Mais les grands intégrateurs favorisant les transformations du lien social sont aujourd’hui le travail rémunéré, permettant l’accès à l’argent, la consommation et la participation au rêve américian, symbole de la modernité.
Les processus d’intégration passent par la transformation des pratiques des relations sociales, en même temps que par la transformation des systèmes de représentations; nous avons pu appréhender une tendance générale d’un imaginaire d’opposition ("la résistance indienne")à un imaginaire d’alliance, fondé sur la reconnaissance de soi et de sa société et la reconnaissance de l’autre.
Peut-on parler d’émergence d’un nouveau lien social ? C’est le désir individuel et collectif d’autonomie, le besoin de reconnaissance de soi et de l’autre différents qui sont le point nodal de "l’invention" du lien social : la mobilité est le moyen privilégié de répondre à l’aspiration à l’autonomie, à l’individuation; c’est à travers un réseau de solidarité différent de ceux qu’il a connus, la cohabitation dans des conditions précaires imposant une nouvelle culture de groupe, en découvrant les difficultés et les exigences du travail salarié, du contrat, de la responsabilité, des modes de sanction, bref, une autre culture, que le migrant gagne son autonomie et sa liberté; le lien social est bien le fruit d’une construction personnelle, le résultat de l’émergence de la personne, d’une démarche plus rationnelle en même temps que plus personnelle. Mais il s’agit d’une démarche difficile puisqu’elle se situe en contradiction avec le lien communautaire et la réussite n’est pas toujours au rendez-vous.
actor social, inserción social, migración, autonomía, cambio social
, México, Tarecuato, Pomona, Zamora, Jacona
Intervention au colloque "Transformations sociales : processus et acteurs", Perpignan, 1994, organisé par l’ARCI et l’Université de Perpignan.
Actas de coloquio, encuentro, seminario,…
PAVAGEAU, Jean
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