04 / 1995
Problème
A la fin du XXème siècle, les pays occidentaux, préoccupés par les régimes autoritaires de l’Est ou du Sud, se sont contentés de désirer une démocratie réduite à son expression la plus minime : un ensemble de garanties contre le pouvoir autoritaire.
Parallèlement, la limitation de l’Etat induite par la modernité, entraîne la limitation du pouvoir politique et peut conduire à la toute puissance des maîtres de l’argent et de l’information et à la décomposition de la société et du débat politique.
Ces deux facteurs laissent face à face, sans intermédiaire, un marché international tout puissant et des identités repliées sur elles-mêmes qui risquent de dégénérer en nationalismes intolérants. Le recul des Etats provoque une baisse de la participation politique et la fragmentation de l’espace politique.
La démocratie, banalisée comme « forme normale d’organisation politique » et affaiblie par une conception restreinte, risque, pour le moins, une perte de sens et pour le plus, d’être détruite.
Dans la société globale, ceci a de graves conséquences, car la « société politique », dont le principe central est d’assurer l’égalité des droits et des chances pour tous, se verrait soumise à la société civile et donc, au système économique dominé par l’inégalité et les conflits d’intérêts.
Définitions
Si la société politique est un agent de libération qui combat une société hiérarchisée visant la reproduction de l’ordre social, la démocratie est un travail, un effort, un processus, voire une « culture » qui met en oeuvre cette libération. Elle dépasse donc le cadre du régime populaire ou de l’ensemble des procédures ou de garanties institutionnelles dans lesquelles on a l’habitude de la confiner.
La « culture démocratique » ou « l’esprit démocratique » se définit comme un effort de combinaison de contraires apparents (unité et diversité, liberté et intégration) ; elle repose sur cette conscience d’interdépendance de l’unité et de la diversité dont le résultat essentiel est une forme d’organisation sociale qui respecte les libertés personnelles tout en garantissant ce que cette société considère comme étant juste pour la majorité. Si la démocratie est le régime où la majorité reconnaît les droits des minorités, c’est parce qu’elle accepte que la majorité d’aujourd’hui puisse devenir minorité demain.
Ainsi, l’esprit démocratique est profondément dynamique, il se nourrit d’un débat permanent sur la frontière, constamment mobile, qui sépare l’unité et la diversité.
Proposition
Comment recomposer la fragmentation sociale due à la décomposition de la société politique ? La reconstruction doit avoir lieu sur une « action démocratique » dont le but principal est de libérer les individus et les groupes des contraintes qui pèsent sur eux. Mais que veut dire cette libération ?
Au lieu de l’idée d’une « démocratie républicaine » fondée sur la citoyenneté, Touraine propose une « démocratie pluraliste » fondée sur la diversité culturelle et sur la liberté du sujet, reposant sur l’acteur social concret. Autrement dit, à une conception timide de la démocratie, il propose de substituer une « démocratie vigoureuse » portée par un désir de libération fondé sur deux points.
La diversité culturelle
Autant la liberté des Anciens reposait sur l’égalité des citoyens, autant la liberté des Modernes est fondée sur la diversité sociale et culturelle des membres de la société. La démocratie est aujourd’hui le moyen politique de sauvegarder cette diversité, de faire vivre ensemble des individus et des groupes de plus en plus différents les uns des autres dans une société qui doit aussi fonctionner comme une unité.
L’action du sujet-acteur
Faire appel à une conception qui définisse l’action démocratique par la libération des dominés des logiques du pouvoir, c’est-à-dire, soumis au contrôle exercé par les maîtres et les gestionnaires de systèmes pour lesquels ils ne sont que des ressources, suppose une conception centrée sur l’importance du sujet-acteur : « La démocratie est la reconnaissance du droit des individus et des collectivités à être les acteurs de leur histoire et pas seulement à être délivrés de leurs chaînes… La théorie de la démocratie n’est que la théorie des conditions politiques d’existence du sujet… J’ai défini le sujet comme l’effort d’intégration de deux faces de l’action sociale : la raison instrumentale (indispensable dans un monde de techniques et d’échanges) et la mémoire ou l’imagination créatrice ».
Ainsi, la démocratie pour Touraine apparaît comme une politique de la reconnaissance de l’autre, de la lutte de sujets, dans leur culture et dans leur liberté, contre la logique dominatrice des systèmes. La démocratie est aussi recherche de combinaisons entre la liberté privée et l’intégration sociale ou entre le sujet et la raison. Enfin, le bien-fondé de la démocratie est d’apporter les conditions institutionnelles indispensables à l’action du sujet personnel.
Les objectifs qui doivent donner sens aux activités politiques :
empêcher l’arbitraire et le secret;
répondre aux demandes de la majorité;
assurer la participation du plus grand nombre à la vie politique.
actor social, democracia, poder, Estado, sociología, desarrollo cultural, teoría científica
, , Europa
Libro
TOURAINE Alain, Qu’est-ce que la démocratie ?, FAYARD, 1994 (France)
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