Jusqu’aux premières élections égalitaires en avril 1994, l’Afrique du Sud était une société particulièrement violente. Les causes de cette violence étaient multiples :
- une intense compétition politique, sans règles, comme conséquence de l’effort de normalisation après la libération de Nelson Mandela et la réhabilitation des partis politiques noirs;
- une montée des attentes non satisfaites et des frustrations;
- un manque de réflexes démocratiques dans la société, démantelée par l’apartheid, doublée d’une carence de lois, réelle ou ressentie;
- la peur, engendrée en grande partie par une incroyable méconnaissance mutuelle des différents groupes cohabitant sur la même terre, particulièrement entre blancs et noirs;
- un manque de confiance dans les forces de sécurité entraînant aussi bien l’auto-armement que le repli nationaliste ethnique protecteur;
- une criminalité de droit commun se parant parfois de masques politiques, toujours favorisée dans les moments d’instabilité politique;
- la grande impopularité de la police activement engagée dans la protection des lois de l’apartheid, et comprenant en son sein des escadrons de la mort et des individus isolés qui se sont comportés comme des hors la loi;
D’autres facteurs plus conjoncturels et ponctuels favorisaient la violence, parmi lesquels :
les rumeurs, parfois issues de médias irresponsables ou sciemment provoquées par des groupes difficilement identifiables, qui dans les situations instables génèrent souvent des réactions d’auto-défense;
la fameuse « troisième force » de conspiration entretenant la violence pour faire obstacle au processus de négociation;
les manifestations spontanées de protestation, potentiellement génératrices de violence lorsqu’elles ne sont pas organisées;
enfin, les armées privées, la facilité à se procurer des armes, et surtout la vengeance et les représailles.
Dans une telle situation de tensions réussir la transition démocratique impliquait donc, outre une recherche d’équilibre entre libertés individuelles et ordre social et économique dispensant l’égalité des chances, un processus de réconciliation. Une médiation s’imposait pour faire baisser le niveau de violence, pour favoriser le dialogue à tous les niveaux entre les diverses composantes de la société et les pouvoirs publics, notamment en garantissant le bon fonctionnement des institutions de dialogue et de paix créées par les accords de Kempton Park, et pour assurer une éducation démocratique des électeurs …
Le programme d’EMPSA
Les églises protestantes et catholiques d’Afrique du Sud, dont certaines avaient été courageuses dans leur opposition à l’apartheid, ont décidé de s’associer aux efforts faits pour réussir la transition démocratique. Parmi leurs initiatives, le vaste programme international d’EMPSA permettait à des moniteurs de différents pays, envoyés par les Eglises, d’apporter un soutien concret renforçant ainsi la crédibilité du processus de paix en Afrique du Sud. En France, c’est la Commission Justice et Paix, côté catholique, et le DEFAP, côté protestant, qui ont recherché, formé et financé avec le CCFD les médiateurs nationaux. Pendant les deux années qui ont précédé les élections, le programme EMPSA a ainsi assuré une présence permanente en Afrique du sud, dans les régions les plus tendues par période de six semaines.
Les tâches quotidiennes des moniteurs
Le premier travail était un acte de présence : participation aux réunions des différents partis politiques, contacts avec la police, l’armée, les représentants de l’autorité tribale, présence dans les tribunaux, dans les manifestations, funérailles, événements, etc… Il s’agissait, en manifestant une présence neutre internationale à la fois symbolique et dissuasive, de réduire les tensions génératrices de possibles violences. Dans un pays à 80 % chrétien, la présence d’EMPSA était porteur de signification forte. Il s’agissait aussi d’un travail d’enquête afin de pouvoir mieux saisir la dynamique de la situation et les possibilités de médiation. Cette dernière tâche a souvent débouché sur des analyses avec avocats, médiateurs locaux et militants du pays dans le but de systématiser les informations et établir des documentations.
Le travail consistait souvent tout simplement à écouter les souffrances et les luttes, à aider la population à entreprendre certaines démarches, à favoriser des rencontres entre Sud Africains, à susciter parfois des initiatives dans des situations difficiles, grâce à la disponibilité mais aussi aux moyens de transport et de communication dont bénéficiaient les moniteurs (appeler la police, prévenir la Croix Rouge, transmettre des messages, transporter des personnes ou même des urnes et des bulletins de vote…), mais toujours dans un extrême respect des points de vue et des choix des acteurs locaux.
Tentative de bilan
Certaines conditions sont essentielles pour mener à bien une médiation civile internationale :
- le groupe des médiateurs doit être multinational et ne pas être issu d’une seule catégorie de pays (présence essentielle de médiateurs africains pour écarter le soupçon d’une nouvelle forme de « colonisation »). Nécessaire variété également des sexes et des catégories d’âge, les personnes plus âgées apportant une crédibilité au groupe. De plus, un groupe de médiateurs multiculturel et multiracial anticipe de façon visible la réconciliation qu’il propose et par là démontre qu’elle n’est pas impossible.
- l’importance du bénévolat : le fait que les médiateurs ne soient pas payés et qu’ils choisissent d’être présents dans une situation que la population locale aurait aimé fuir constituait un gage de sincérité favorisant la confiance;
- la nécessité de « coordinateurs locaux » à la fois guides, conseillers et traducteurs ! Ce sont eux qui introduisent les médiateurs étrangers, leur expliquent et leur permettent de sentir intuitivement une situation;
- l’impartialité est indissociable de la dimension internationale et ecclésiale. C’est cette impartialité des moniteurs, issus de différentes sensibilités politiques, qui conditionne l’acceptation par les acteurs locaux et qui créée une indispensable balise dans les noeuds de rancoeur et de méfiances, préfigurant l’Etat de droit;
- l’importance de la fonction d’écoute, jamais assez large. Dans cette réalité où la violence était produite par l’exclusion de tout un peuple, chaque minute passée à écouter reconstruisait une parcelle de dignité. L’écoute constituait aussi une manifestation d’intérêt venant de toute la communauté internationale et une incitation à l’expression comme alternative à la violence;
- l’importance des signes « visibles » : les moniteurs étaient « visibles » par leurs vêtements, par la qualité des relations qu’ils avaient entre eux, par leur attitude calme et empreinte de paix, « visibles » par leur confiance dans un nouveau futur possible.
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, Sudafrica
Ébauche pour la construction d’un art de la paix : Penser la paix comme stratégie
Expériences et réflexions sur la reconstruction nationale et la paix
L’auteur de la fiche est le Secrétaire Général de la Commission française Justice et Paix.
Contribution écrite au Séminaire sur la reconstruction du Rwanda, Kigali, 22-28 octobre 1994.
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