L’importance de la communication interpersonnelle, ici et là-bas
10 / 1994
Originaires de la première région du Mali, celle de Kayes et pour la plupart membres de l’ethnie soninke, les migrants maliens de la région parisienne vivent dans les foyers des 18ème et 19ème arrondissements, de Montreuil ou de Saint-Denis...Là-bas, ils se regroupent par village d’origine et choisissent, parmi les aînés, leur chef. Si un problème survient, celui-ci convoque une assemblée pour en discuter. La communauté villageoise exprime tout particulièrement sa cohésion lors des fêtes religieuses musulmanes (fin du Carême, Tabaski...)ou familiales. Le baptême au village, du dernier né d’un migrant est également célébré au foyer et le djembé, sorte de tambour traditionnel retentit des mêmes échos. Dès leur retour dans la chambre collective, après la journée de travail, les migrants troquent leurs vêtements européens pour le boubou coloré, échangent en soninke et mangent à l’africaine. A cet effet, un système très précis de cotisations a été mis au point. Chaque village reconstitué possède différentes caisses auxquelles cotisent les migrants : pour la nourriture, 200 FF par mois et par personne afin d’assurer le repas du soir uniquement ; 30 FF mensuel de cotisation maladie, sorte de mutuelle communautaire complémentaire à la prise en charge par la Sécurité Sociale française. S’ajoutent à cela un versement ponctuel en cas de construction d’une mosquée au village qui peut atteindre la somme de 1000 FF par personne et la somme versée dans une banque française pour les projets de développement. Au départ, les migrants de Kabate ont chacun déboursé 2000 FF, puis 400 FF par mois et par personne pendant un an. Aujourd’hui que la caisse est plus conséquente, le versement s’élève à 100 FF mensuel. Kande Kamissoko est un ressortissant de Kabate qui s’est établi en France en 1966. Agé de 49 ans et travaillant comme électricien du bâtiment, il pense rester en France jusqu’à la retraite, la législation actuelle ne permettant plus le remplacement par le jeune frère ou le fils. Pour Kande, la vie au foyer n’est pas facile mais il déclare : "Si je vis dans un foyer, je vis mal mais je peux quand même faire vivre ma famille." Avec un salaire mensuel de 7000 FF net, Kande assure en effet la subsistance de 45 personnes au village (ses deux épouses et ses 7 enfants, ses frères et leur famille, sa tante...). Pour eux, il commande tous les 6 mois au magasin coopératif du village 2 tonnes de céréales, 600 kg de riz, 5 quintaux de mil, 200 kg de sucre. Il envoie à son grand frère, mensuellement, 1500 à 2000 FF en cas de décès ou de maladie et tous les trimestres, environ 1000 à 2000 FF pour l’achat de viande ou de poisson séché. Outre ses relations économiques avec sa famille, Kande communique avec les siens par courrier, expédié ou porté par un migrant de retour. Il peut aussi téléphoner à Kayes, à l’antenne du GRDR (Groupe de Recherches et de Réalisations pour le Développement Rural dans le Tiers-Monde), organisation non gouvernementale française qui soutient l’association intervillageoise à laquelle Kabate adhère. Enfin, toujours par l’intermédiaire du GRDR dont le siège se trouve à Montreuil, il peut, par fax, faire diffuser une information sur les ondes de la Radio Rurale de Kayes. De retour au village tous les 2 ans et pour 6 mois, il constate, malgré tout, que la communicaton avec les siens n’est pas aisée. En 1992, il a photographié le foyer pour témoigner de ses conditions de vie. " Mais certains ont pensé que je voulais saboter la France pour pas qu’ils y aillent." Avec l’introduction de la télévision sur batteries en brousse, les villageois ont suivi l’affaire des Maliens de Vincennes menacés d’expulsion. D’après Kande, cela a contribué à améliorer la compréhension entre les deux communautés, ici et là-bas.
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, Mali
Exilés en France, les migrants maliens reconstituent au foyer la vie du village avec ses traditions et son mode de vie. Ils sont en lien avec leurs frères restés au pays grâce aux moyens modernes de communication mais aussi par tout un système de relations économiques. Reste cependant le débat autour de la question: les migrants sont-ils facteurs de développement ? Kande Kamissoko est nuancé. Pour lui, cela dépend de chaque individu, de sa volonté personnellle d’apprendre de son expérience française et d’en faire profiter les siens, autrement que financièrement. Kande, lui, a suivi des formations agricoles dont il a fait bénéficier ses frères lors de ses retours. Dans une réunion récente au village concernant la construction d’une medersa, il a été consulté pour expliquer le financement des écoles françaises. Mais malgré plus d’années vécues en France qu’au Mali, sa culture reste très africaine : polygamie, naissances nombreuses, absence d’alphabétisation.
Entrevista
FONTENEAU, Anne; KAMISSOKO, Kande