Emigration et cocoteraies tentent de compenser la faible productivité des cultures pluviales
11 / 1993
L’intérieur de l’Etat du Karnataka (Inde du sud)est protégé de la mousson par la chaîne des Ghats: il pleut moins de 850 mm. A Naragalu, petit village de 1000 habitants, l’essentiel des terres ne peut donc supporter qu’une culture pluviale d’éleusine (millet), principale nourriture des paysans sous forme de grosse boulette pâteuse. Les rendements ne dépassent guère 30 q/ha, alors même qu’on utilise de plus en plus de variétés améliorées et d’engrais chimiques. Quand les pluies sont précoces, en mai, on peut tenter une récolte de sorgho suivie de haricots: mais tout cela ne suffit pas à nourrir une population en croissance de plus de 2% par an, quand bien même il n’existe pas de maisonnée sans terre: la taille moyenne des exploitations dépasse tout juste un hectare (en incluant des friches trop caillouteuses pour être cultivées). L’Etat a bien lancé l’"Integrated Rural Development Programme" pour généraliser l’élevage de bufflesses ou de vaches croisées: mais ces animaux coûtent cher et sont fragiles, et la coopérative laitière est tenue par les habitants du village voisin que beaucoup détestent. On a également tenté de développer la sériciculture, avec la culture de mûrier pour nourrir des vers à soie que les paysans peuvent aller vendre (à un bon prix)dans un marché réglementé à 60 km de là. Mais pour cultiver du mûrier amélioré, il faut de l’irrigation. Et pour irriguer, il faut un puits, une pompe, une terre: autant de conditions qui interdisent cette spéculation (de plus risquée)aux plus pauvres. Ceux-ci n’ont d’autre ressource que de se faire employer pour quelques jours à la cueillette des feuilles de mûrier. L’extension des lopins maraîchers? Elle est réelle: mais là encore, il faut une pompe, et le marché local est fort réduit étant donné que même les riches consomment peu de légumes. Plus prometteuse semble la solution des cocoteraies (non irriguées): on peut vendre les noix fraiches (on en boiera le "lait"); ou mûres; ou tout à fait desséchées (pour en faire de l’huile de copra): mais si cette dernière activité est la plus rentable, il faut pour la mener avoir les moyens d’attendre presque un an la dessication de la noix: et cela, les plus pauvres toujours à la recherche d’argent ne peuvent se le permettre. En outre, heureux sont ceux disposant de suffisamment de terres en fond de vallon pour pouvoir planter beaucoup d’arbres.
Alors, des activités non agricoles? Des chantiers de travaux publics (construction de routes, ou de canaux)proposent quelques journées de travail à 15 Rs/j, mais l’emploi est assez rare, et surtout mal perçu: si le chantier se situe à plus de 3 km du village, la personne qui partira y travailler sera la risée de tous les voisins. Plutôt souffrir de la faim que "déroger" aux règles de l’honneur. Ce qui est dans les normes en revanche, c’est de partir en groupe, et dans des villes où il est de tradition depuis des années d’émigrer pour quelques années. Chaque village a ainsi ses destinations privilégiées: pour Naragalu, il s’agit de grandes villes comme Bangalore (à 120 km)ou Bombay (1000 km), où l’on trouvera grâce à des contacts établis un emploi non qualifié dans des cafés ou dans les transports routiers. Après quelques années, avec de la chance, on arrivera à devenir cuisinier ou conducteur de bus, autant d’emplois assez lucratifs. Mais pour une seule réussite, combien d’échecs et de retours, après des années d’emplois incertains où l’on n’arrivait dans le meilleur des cas qu’à envoyer au village une centaine de roupies par mois! L’émigration permet la survie de la maisonnée, mais non le développement du village. Les économies sont investies dans la plantation de quelques cocotiers, mais surtout dans la construction de grandes maisons aux couleurs vives: mais la rareté de celles-ci témoignent de la difficulté de la migration.
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L’émigration permet paradoxalement le maintien de fortes densités rurales (150 hab/km2), puisque le départ d’un membre de la maisonnée permet aux autres de rester au village: moins grâce aux mandats envoyés par l’émigré que parce que cela représente une bouche de moins à nourrir. Il reste que l’on atteint les limites de la pression démographique acceptable, et que même l’essor des cocoteraies ne peut représenter une solution suffisante à long terme. Quant aux programmes de développement agricoles lancés par l’administration, ils se heurtent à l’absence d’irrigation: sans elle, les rendements augmentent peu même si des engrais chimiques et des variétés nouvelles sont adoptés. Du coup, il arrive que le revenu net par hectare diminue...
Au total, une hausse de l’exode rural est à craindre, d’une ampleur limitée certes étant donné le formidable enracinement des paysans indiens.
Cette fiche a été élaborée à partir de ma thèse qui doit être publiée en 1994 sous le titre : "Paysans de l’Inde du Sud", chez Karthala.
Tesis y memoria
LANDY, Frédéric
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