Prométhée est toujours vivant. Le titan de la mythologie grecque, qui donna la connaissance et le feu aux hommes, continue d’inspirer de nombreux scientifiques qui caressent encore aujourd’hui le rêve insensé de maîtriser l’Homme et la Nature, de perfectionner le monde.
Dans notre système politique, la recherche ne vise pas la perfection du monde mais sa maîtrise. Un monde parfait ne serait donc pas celui qui permet aux hommes de s’épanouir mais celui qui favorise la consommation de biens toujours inédits et souvent séduisants, produits par les scientifiques. Le «toujours plus» que favorise la recherche diffère ainsi du «toujours mieux» que les citoyens pourraient et devraient revendiquer.
De dangereuses marges
Cette obsession de vouloir contrôler la nature et les humains (1) n’est pas le plus grave. Ce qui l’est, c’est qu’on ne parvienne qu’incomplètement à réaliser ce projet prométhéen. La marge entre la promesse annoncée et le résultat obtenu génère des risques que les experts n’avaient pas voulu envisager et qui sont susceptibles non seulement d’annuler les bénéfices escomptés, mais surtout d’entraîner une régression par rapport à l’état initial. L’accident nucléaire de Fukushima en est une illustration récente: afin de produire 20% de l’énergie nationale, experts et industriels ont pris le risque de détruire d’innombrables êtres vivants, dont des humains, et d’interdire pour longtemps l’occupation d’immenses territoires. Or, le Japon aurait pu faire le choix de produire cette énergie autrement voire même de miser sur la réduction de la consommation énergétique de 20% (en luttant notamment contre le gaspillage), ce qui n’est pas un objectif démesuré. Peu importe ! Les nucléocrates français réaffirment déjà leur capacité indiscutable (il est interdit d’en discuter) de maîtriser l’énergie nucléaire. D’autres promesses technologiques, soit disant « sous contrôle », pourraient également à l’avenir conduire à des catastrophes. Les plantes transgéniques provoquent des déséquilibres dans le règne vivant et des risques de toxicité alimentaire. Les effets biologiques des nanoproduits sont largement inconnus alors qu’ils sont déjà disséminés un peu partout. L’expansion d’un eugénisme soft (que symbolise le tri des embryons) et les bricolages du transhumanisme s’apparentent plus à une manipulation aventuriste de notre espèce qu’à de la recherche pour le savoir ou pour vivre mieux.
La dilution des responsabilités
Les scientifiques sont les principaux artisans du monde de demain. Mais plutôt que d’en tirer de l’orgueil, ils devraient faire montre d’humilité surtout quand les changements qu’ils provoquent sont potentiellement irréversibles. Comment savoir qui est responsable de l’effet indésirable d’un médicament ou d’une innovation quand elle découle du travail de dizaines ou de milliers de chercheurs soutenus par des industriels et encouragés par les pouvoirs politiques ? La juxtaposition de compétences variées dans les laboratoires, avec le concours de financiers, de cadres institutionnels et d’élus, conduit à la dilution des responsabilités. Depuis que la science s’est muée en technoscience dans les années 60-70, elle est nourrie par les demandes du marché. Son but n’est plus la connaissance mais l’innovation, l’industrie prenant une part croissante dans le financement et surtout dans l’orientation des travaux de recherche. A science compétitive, chercheurs en compétition! Certains veulent moraliser la machine à chercher en instituant une formation à l’éthique pour les chercheurs, mais l’efficacité d’une telle mesure ne serait crédible que dans un monde où la compétition ne serait pas le but. Comment exiger du chercheur la performance absolue (mesurée par le nombre de publications, de brevets…) sans attenter à ses capacités éthiques ? Le chercheur est un être ni pire ni meilleur que les autres. Dans un monde animé par le profit, la croissance, la compétition et la maîtrise, il court, comme tout le monde, et contribue fortement à entraîner la société dans le mur. C’est pourquoi la recherche ne doit pas échapper au contrôle démocratique. La responsabilité effective du scientifique serait alors de solliciter des instances de la société capables de contrôler sa propre activité.
La recherche au service des citoyens
Notre monde agonise de ses excès. Alors de nouvelles valeurs tendent à s’imposer comme la solidarité, la frugalité, la convivialité, le respect de la nature. Les chercheurs devront donc muter ou disparaître. Puisque le Paradis n’est pas vraisemblable, la société va devoir affronter les nouvelles adversités, comme les crises climatiques ou les épidémies. Les technologies devront être adaptées pour remplir de nouvelles missions et répondre aux besoins légitimes des populations. Par exemple, l’agriculture biologique mérite, elle aussi, des savoir-faire améliorés. Il ne doit plus revenir aux seuls chercheurs et/ou à leurs tutelles de décider des projets d’innovation. L’activité de recherche finalisée doit devenir un véritable service public où les citoyens indiqueront les orientations qu’ils souhaitent (2). Qu’ils se nomment savants, scientifiques ou chercheurs, qu’ils soient simples citoyens ou membres d’institutions, des hommes et des femmes, avec ou sans blouse blanche, seront nécessaires pour assumer la tâche nouvelle et exaltante de coopérer avec la planète pour le bien commun. Après quelques décennies d’autodépréciation de leur fonction au service des marchés, les chercheurs vont pouvoir enfin réenchanter leur métier et se (re)mettre au service des citoyens du monde.
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Sciences et Démocratie : un mariage de raison ?
Altermondes, Sciences et démocratie : un mariage de raison ?, numéro spécial Juin 2011, 50p.
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