La gestion des sols, pour quel développement ?
05 / 2011
1 - Le tabac, culture de rente
Le Malawi est un pays exportateur de tabac. Cette culture représente la plus grande part de la valeur des exportations du pays (67% en 2005 selon le National Statistical Office).
En mars, fin de saison des pluies, la récolte du maïs n’a pas encore démarré mais les feuilles de tabac sèchent sous tous les préaux, nouées deux par deux, de part et d’autre de longs bâtons en eucalyptus. Les rangées les plus en haut supportent les feuilles les plus sèches, les plus basses les feuilles encore vertes à peine récoltées. Au fur et à mesure que les feuilles sont sèches, on les rentre à l’intérieur de la maison pour faire de la place aux suivantes par un transfert progressif des claies vers le haut du préau.
A cette saison, grâce au tabac, les marchés s’animent à nouveau. A chaque croisée de chemin les petits intermédiaires munis de leur balance pèsent et estiment la qualité du ballot de tabac que les paysans du coin lui amènent.
Le tabac transite par les plus gros marchés (trading centre) où sont organisées des enchères locales avant un réacheminement vers les bourses au tabac situées dans chacune des 3 régions du Malawi (Limbe, Lilongwe, Mzuzu) où les enchères impliquent les acheteurs internationaux. Il s’agit d’un système commercial complexe impliquant des associations paysannes et de nombreux intermédiaires. Les associations paysannes et les systèmes de mutualisation sont les mieux développées pour la culture du tabac. Les prix du tabac sont généralement cycliques en fonction du nombre de paysans choisissant de cultiver le tabac dans l’année. Néanmoins, cette culture est très dépendante du marché international tenu par les grosses compagnies de tabac américaines. La crise financière actuelle, peut-être couplée à une baisse générale de la consommation en Europe a pu avoir un impact sur les prix au Malawi, indépendamment de l’offre.
Les marchés où ont lieu les enchères locales se développement largement grâce à ce commerce, source de devises. Grâce à lui, les villageois ont un peu d’argent à dépenser au marché, ou bien aux buvettes (dont l’activité explose à la saison de la vente du tabac). Cela permet aussi aux transporteurs d’augmenter singulièrement leur chiffre d’affaire et ainsi de bien s’en sortir.
Le Malawi était le 7ème producteur mondial en 2007, après la Chine, le Brésil, l’Inde, les Etats-Unis, l’Argentine et l’Indonésie. Au regard de la taille du pays ce résultat impressionnant peut être expliqué par le fait que le Malawi combine un système de production à la fois industriel (sur de grandes plantations) et familial (ce dernier mode étant assez récent depuis la libéralisation des années 1990).
Pour autant, le tabac n’est que très peu transformé au Malawi, ce qui prive ce dernier d’une valorisation substantielle des recettes (ces recettes complémentaires étant captées par les grosses compagnies tabatières transnationales).
Image 1 : Séchage des feuilles de tabac, Muli Brothers’ Tuchila Estate, district de Mulanje. Après la cueillette, les feuilles de tabac sont mises à sécher sous de longs préaux le long de baguettes en eucalyptus. Les claies les plus en haut supportent les feuilles les plus sèches, les plus basses les feuilles encore vertes à peine récoltées. Photographie Clément Schmitt, 07/02/2010
2 - Autres cultures d’exportation
Outre le tabac, les principales autres cultures d’exportation concernent en ordre d’importance le thé (13%), le sucre (12%), le coton (4%), les arachides (3%), les légumineuses (<1%), le café (<1%) et le riz (<1%). L’exportation du maïs est quant à elle très fluctuante, fonction de la présence d’excédent par rapport à la consommation intérieure.
Contrairement au tabac, le thé et le sucre pour l’exportation sont produits essentiellement par de grosses exploitations. Ces grandes plantations monopolisent de larges de surfaces de terres cultivables notamment dans le sud du pays et possèdent des installations de raffinage localement.
3 - Une agriculture très dépendante des aléas météorologiques
L’agriculture au Malawi est très peu mécanisée et la pratique de l’irrigation reste marginale, en particulier pour les céréales. En effet, en saison sèche l’irrigation n’est possible que le long des principaux fleuves, les petits cours d’eau étant complètement asséchés. Cette situation limite ainsi fortement les surfaces irrigables avec les moyens dont disposent les paysans malawiens. La culture du maïs est ainsi essentiellement dépendante de la saison pluviale de novembre à mars et les paysans sont fréquemment confrontés à des épisodes d’inondations et de sécheresses.
En outre, ces phénomènes météorologiques impactent le Malawi de façon très variable. Des champs peuvent recevoir une pluviométrie normale alors qu’à une dizaine de kilomètres de distance, la sécheresse est extrêmement sévère. A cela s’ajoute la difficulté pour les paysans de prévoir et gérer le risque. Ainsi, si plusieurs épisodes pluvieux ont lieu en début de saison (octobre-novembre), les paysans procèdent alors au semis. Si une période de sécheresse a lieu en milieu de saison (décembre-janvier), les plants sèchent sur pied et les paysans perdent tout, n’ayant plus rien à semer. Le spectre de la faim se manifeste alors de nouveau indépendamment de tout programme de subvention aux intrants.
4 - La gestion de la ressource sylvicole
Le paysan malawien pratique majoritairement le brûlage des résidus de cultures de la saison précédente avant de préparer le champ pour la nouvelle saison. Cette pratique est notamment liée au fait que les paysans n’ont pas le temps d’enfouir les résidus de culture à temps pour qu’ils se décomposent (en effet, d’une part les légumineuses en culture associées restent longtemps dans les champs après la récolte du maïs et d’autre part la main d’œuvre n’est pas suffisante pour ce surcroît de travail).
Lors des brûlis, les feux ne sont pas toujours maîtrisés Les incendies de brousse sont ainsi généralisés en saison sèche et participent activement à la déforestation.
L’exploitation du bois répond à plusieurs usages au Malawi avec en particulier :
le bois de cuisson ;
l’éclairage ;
la fabrication de charbon de bois ;
le séchage/fumage du poisson ;
la fabrication de meubles ;
la cuisson des briques pour l’autoconstruction ;
le bois de charpente également pour l’autoconstruction.
Image 2 : Glanage du bois de cuisson dans la vallée de la Tuchila, réserve forestière du Mulanje, district de Mulanje. Tache dédiée aux femmes et aux jeunes filles, la collecte du bois pour la cuisine prend une très large part dans l’emploi du temps. Les fagots collectés sont soit utilisées directement par la famille, soit revendues. Photographie Clément Schmitt, 20/06/2009
Même en zone urbaine, l’usage du bois ou charbon de bois pour la cuisson dépasse les 50%. Ainsi même si la fabrication de charbon de bois est théoriquement interdite, son commerce ne l’est pas et la consommation reste très importante.
Le taux de déforestation au Malawi est l’un des plus importants d’Afrique et les conséquences en termes d’érosion et de perte des sols arables sont très importantes.
Face à cette dégradation importante des ressources forestières, la réduction de la consommation de bois et la bonne gestion des espaces forestiers communautaires sont les piliers de la protection de l’environnement naturel.
Outre les initiatives individuelles pour réaliser des coupe-feux en débroussaillant, la question du droit foncier au niveau des collines est un enjeu décisif dans cette optique. Selon les zones, les zones collinaires forestières appartiennent souvent soit à l’Etat, soit aux chefs de villages. Les familles ne se sentent ainsi souvent pas concernées par la gestion de ces espaces dont ils ne peuvent bénéficier. Mais lorsqu’ils sont maîtres de la gestion forestière, il semble que les villageois aient tendance à mieux protéger leur ressource. Ainsi, une approche pragmatique intégrant les populations concernées contribue à la préservation de l’environnement. Cela a été expérimenté au Sud du Malawi au niveau de la colline de Nanyungwi (village de Mpawa). Cet espace désormais protégé se situe à la frontière du district de Zomba et de celui du Chirazulu, le long de la rivière Namadzi. La colline a été surexploitée et dépossédée de ces arbres. Le comité villageois entraîné en 2010 dans le cadre d’un partenariat avec l’ONG Inter Aide, veillera maintenant à assurer les repousses des arbres. Le comité paysan de gestion de la colline de Nanyungwi s’engage pour la protection de leur espace naturel. Un changement dans le paysage est attendu. Ce type d’initiative est également promu par le gouvernement.
Par ailleurs au sud du pays, dans les district de Phalombe et de Zomba, des initiatives initiées par la coopération allemande (GTZ) et l’ONG Inter Aide ont poussé de nombreux villageois à utiliser des foyers améliorés qui permettent d’économiser la ressource en bois ainsi que de dégager du temps et de l’argent pour les foyers (en particulier pour les femmes). Parallèlement, la promotion d’associations paysannes de gestion des ressources naturelles fait aussi partie des solutions testées positivement pour la protection de l’environnement et le développement humain.
5 - La gestion de la fertilité des sols, un problème majeur
Pour les agriculteurs malawiens, la fertilité des sols est un enjeu majeur. Outre l’impossibilité de pratiquer la rotation des cultures du fait du manque de terre, la déforestation accentue l’érosion et la dégradation des terres arables.
Pour les petites exploitations malawiennes, sans animaux, sans outils mécanisés, et sans moyen de transport, avec un manque de force de travail, il est extrêmement difficile de faire face à ce problème.
En outre, les paysans n’ont pas assez d’argent pour acheter des engrais minéraux. Le gouvernement appuie donc ces familles par un système de coupons afin de fournir les Erreur : source de la référence non trouvée nécessaires. C’est ainsi que le Malawi a atteint depuis deux ans des excédents de maïs. Son système de subvention aux engrais est assez critiqué, mais il est aussi reconnu efficace pour répondre au problème urgent de sécurité alimentaire. Le désavantage de ce système concerne sa durabilité à long terme, et son impact sur l’environnement, en particulier sur les sols.
Parmi les réponses apportées par les paysans malawiens, la pratique des cultures associées entre céréales et légumineuses est essentielle. Les légumineuses (pois d’Angole, arachides, soja…) fixent l’azote de l’air et le transforment en azote minéral assimilable par les plantes, permettant ainsi d’apporter de l’« engrais » naturel pour la culture en cours ou la culture suivante.
Que ce soit du fait de pratiques traditionnelles ou bien sous l’impulsion d’acteurs extérieurs (ONG…), l’agroforesterie constitue par ailleurs un des axes alternatifs pour le maintien et l’amélioration de la fertilité des sols.
L’agroforesterie est une forme d’agriculture qui associe les plantes cultivées et les arbres. Les arbres répondent aux besoins de fertilité, de fourrages, et d’énergie pour les agriculteurs. Il existe de nombreuses espèces agro-forestières utilisées au Malawi. Les Gliricidias et les Tephrozias se cultivent en association avec le maïs. Des Acacias (notamment Faidherbia Albida qui perd ses feuilles en saison des pluies permettant d’apporter de la matière organique aux plantes en croissance) restaurent la fertilité des sols. Les Mbawas assurent le maintien de l’humidité et de la structure des terres.
Au Malawi autant qu’ailleurs, l’eau est évidemment essentielle à la vie. Les pluies apportent la seule irrigation pour la saison agricole. En « contre saison », c’est à dire pendant la saison sèche, les principales rivières sont utilisées pour irriguer de petites parcelles maraîchères. La conservation de l’eau et des sols se traduit par l’utilisation des arbres agro forestiers. Les arbres fournissent également le bois qui est la source d’énergie pour les ménages Malawiens. La protection et la valorisation de l’eau et des sols demandent donc une utilisation écologiquement durable des arbres.
En outre, le contexte malawien offre une opportunité intéressante pour la mise en œuvre de projets communautaires. Ainsi les chefs traditionnels peuvent faciliter l’utilisation des terres communes (les vergers communautaires par exemple). L’aménagement et la gestion du territoire, s’ils prennent en compte l’échelon communautaire (les chefferies en particulier), contribuent ainsi à préserver les ressources naturelles et la fertilité des sols.
seguridad alimentaria, agricultura familiar, técnica agrícola
, Malawi
Malawi : « révolution verte » et souveraineté alimentaire, quel avenir ?
Avec la contribution de Daniel Rupp, Manuel Milz, Goulven LeBahers, Laurence Mathieu-Colas et Odile Schmitt
Lire le dossier en intégralité : www.ritimo.org/dossiers_pays/afrique/malawi/malawi_intro.html
Sources :
DELINCE, Guy – « Fish farming development in Malawi : Which way ahead? ; Le développement de l’aquaculture au Malawi : Quelle direction prendre ? » EC FISHERIES COOPERATION BULLETIN; CE COOPERATION PECHE BULLETIN, n°1, 1995/03, P. 23-27
FAO – Département des pêches et de l’aquaculture – Profil des pêches et de l’aquaculture au Malawi
MOREAU, Anne – « La considération des contraintes socio-culturelles : élément essentiel d’un programme de lutte contre la malnutrition dans la région de Lilongwe Est au Malawi ». BORDEAUX : IFAID AQUITAINE, 2003, 146 P.
NJAYA Friday – « Coup d’oeil sur la gestion participative des pêches ». SAMUDRA, n°49, 2008/03, P. 29-34.
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