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Établir des partenariats

Partenariats appropriés, gestion souple et approche écosystémique contribuent à renforcer les droits des pêcheurs en mer Rouge

Gareth Johnestone, Rouja Johnestone

11 / 2010

Que peut faire la communauté internationale pour soutenir efficacement la pêche artisanale et à petite échelle ? C’est l’un des dossiers que traite actuellement le Comité des pêches (COFI) de la FAO. Le COFI a pour mission d’identifier pour cela des mécanismes internationaux appropriés. La voie a été tracée par les recommandations faites à l’occasion de la Conférence internationale sur la pêche artisanale qui s’est tenue en octobre 2008 à Bangkok et d’une série d’ateliers organisés cette année pour l’Asie, l’Afrique, l’Amérique latine et les Caraïbes.

La Conférence de Bangkok a mis en évidence la notion de droits humains qui constitue un facteur primordial pour parvenir à un développement durable de la pêche artisanale. Cela a été réaffirmé récemment dans une Déclaration de la société civile présentée par CoopSoliDar à la FAO lors de l’atelier du Costa Rica (voir Après Bangkok, p. 41) et qui demande notamment de :

• Reconnaître une participation pleine et entière des communautés de pêcheurs pour une pêche durable,

• Reconnaître le droit d’accès à la terre et à l’eau,

• Optimiser les avantages sociétaux à travers une approche écosystémique,

• Supprimer la pêche industrielle dans la zone côtière,

• Protéger les écosystèmes essentiels pour la pêche (mangroves, embouchures, estuaires),

• Réglementer les engins de capture et établir des temps de fermeture de la pêche,

• Prévoir des plans de gestion qui seront élaborés et mis en œuvre avec la participation conjointe des pêcheurs artisans.

La Déclaration du Costa Rica et les recommandations issues de la Conférence de Bangkok affirment que les droits humains des communautés de pêcheurs sont indivisibles si l’on veut parvenir à une pêche responsable et durable, et fondamentaux pour garantir les droits politiques, civils, sociaux et culturels de ces populations. Mettre tout cela en pratique dans la pêche artisanale et à petite échelle constitue un réel défi pour de nombreux gouvernements. Certains pays pensent que les libertés octroyées par les droits humains déstabiliseraient le système actuel de gestion qui attribue des droits de pêche via des licences et crée des aires marines protégées (AMP). Certains pays considèrent que ces droits humains sont une menace pour le contrôle exercé par l’État et déstabiliseraient son autorité sur les communautés de pêcheurs et les ressources dont elles disposent.

Approche écosystémique

Dans ce contexte, une intervention dans le secteur de la pêche au Soudan financée par l’Union européenne (UE) permet d’éclairer les esprits. Elle illustre bien les avantages qu’on peut attendre d’une promotion des droits humains pour la pêche artisanale. Ce projet met en œuvre une approche écosystémique dans la pêche (AEP) via la cogestion et montre que, là où existe une réelle participation des communautés de pêcheurs à la gouvernance des pêches, cela permet de renforcer les droits des pêcheurs, cela leur donne plus de possibilités d’agir pour une gestion durable de leurs pêcheries.

Situé au nord-est de l’Afrique, le Soudan est le pays le plus étendu et l’un des plus diversifiés de ce continent. Il représente à lui seul un peu plus de 8 % de sa masse continentale. La variété du climat et des zones d’habitat se reflète dans la variété des écosystèmes : forêt tropicale humide au sud, savane semi-tropicale puis zone aride au nord. Le moins connu et sans doute le moins compris de ces écosystèmes est la mer Rouge qui offre d’importantes ressources aux populations côtières : pêche, tourisme, transports, recherche pétrolière…

La mer Rouge fait partie de la Vallée du Rift et constitue une étroite voie maritime orientée sud-est sur environ 2 000 km, sur une largeur moyenne de 280 km. C’est un écosystème marin tropical complexe et unique, riche d’une grande diversité biologique et d’un endémisme élevé. La mer Rouge beigne dix États et fait partie des régions prioritaires Global 200 du WWF car elle contient des assemblages géographiquement distincts de communautés et d’espèces. Entre l’Égypte au nord et l’Érythrée au sud, le Soudan exerce sa juridiction sur un peu plus de 750 km de côtes et sur une zone économique exclusive (ZEE) de 91 600 km².

Cette côte est caractérisée par des lagunes bordées de mangroves et d’herbiers. Ses récifs coralliens sont considérés comme les plus diversifiés de la mer Rouge (récifs frangeants, récifs barrière extérieurs, atolls…). Malgré la modeste amplitude des marées (0,5 m), de faibles courants, un upwelling pas très riche en nutriments, des températures de l’eau élevées (20-33°), une forte salinité (39-56%) et pas d’apport permanent d’eau douce, la partie soudanaise de la mer Rouge compte environ 200 espèces de coraux mous ou durs, 300 espèces de poissons osseux, une cinquantaine de requins et de raies, un millier d’espèces d’invertébrés. Cette côte offre aussi des lieux où viennent s’alimenter et se reproduire le dugong menacé d’extinction, des tortues marines et aussi des oiseaux migrateurs et autochtones.

La pêche est pratiquée essentiellement par de petits producteurs dans les criques et récifs proches du rivage avec des embarcations et méthodes de capture traditionnelles, notamment des lignes à main et des filets maillants. Ils ciblent des espèces coralliennes qui représentent 80 % d’une production annuelle de 1 500 tonnes. Leurs embarcations ouvertes, en bois ou en fibre de verre, de construction locale, sont propulsées à la voile ou par un moteur hors-bord. La majorité des quelque 600 unités mesurent de 5 à 7 m. Le nombre de ces pêcheurs est estimé à environ 2 000. Ils ont connus collectivement sous le nom de Beja, une ancienne tribu nomade d’origine hamitique qui habite la région orientale désertique du Soudan, de l’Érythrée et de l’Égypte depuis plus de 4 000 ans. La pêche n’est pas très ancrée dans la tradition beja ; elle est considérée comme activité de subsistance saisonnière, d’appoint aux occupations pastorales et agricoles.

Faible consommation

La demande locale pour les produits de la pêche est faible et les débouchés sont donc restreints, ce qui freine évidemment le développement des entreprises. La consommation annuelle par habitant au Soudan est de 1,4 kg, l’une des plus basses de la région. Elle est de 14,2 kg en Israël, de 9,9 kg en Arabie saoudite, de 25,1 au Yémen. La pêche est certes une source importante de revenus pour les communautés côtières, mais sa contribution au produit intérieur brut (PNB) est bien modeste : moins de 3 %. Les principales ressources sont les transports maritimes et le pétrole.

Des mécanismes visant à attirer et faire participer des pêcheurs à la vie du secteur ont été mis en œuvre il y a une vingtaine d’années, avec la constitution de coopératives destinées à aider deux projets bénéficiant de l’appui de la FAO et de l’ODI (Overseas Development Institute du Royaume-Uni). Ces deux interventions passaient par l’Administration publique de la pêche en mer Rouge, avec pour objectif l’augmentation de la production. Elles subventionnaient les intrants nécessaires (nouveaux équipements, carburant, glace…), et en garantissant l’achat du poisson pour une revente et distribution à prix modéré. Les coopératives facilitaient sans doute les activités de ces projets mais n’avaient qu’un impact limité pour la défense des droits des pêcheurs et leur implication dans les problèmes de gouvernance.

Depuis la fin des années 1980, le secteur de la pêche n’a obtenu que peu d’investissements et de soutiens, avec comme conséquence une contraction des services et budgets publics, une perte de personnel expérimenté, des infrastructures physiques médiocres et des capacités institutionnelles limitées. Ne recevant qu’une aide réduite de l’État, les coopératives se sont effondrées et les pêcheurs sont tombés sous la dépendance de commerçants locaux pour toutes leurs fournitures : glace, alimentation, carburant, prêts (avec des conditions de remboursement qui les ont maintenus endettés). Les communautés ont bien peu de possibilités pour défendre leurs droits, influencer les politiques et participer à la gestion des pêcheries. Tout cela fait que leur revenu et leur production restent faibles.

Pour contribuer à solutionner le malaise du secteur, l’intervention de l’UE a construit un consensus sur les principaux objectifs de gestion de la pêche et a développé des partenariats entre l’État, les commerçants et les pêcheurs. Un Groupe de coordination de la pêche en mer Rouge (RSFCG) a été créé dans le cadre du Ministère de l’agriculture. Il fonctionne comme un forum consultatif représentant les institutions publiques chargées des ressources halieutiques. On y trouve l’Université de la mer Rouge, l’Administration des pêches, l’Institut de recherche des pêches, le Ministère du Plan et des Finances, la Coordination de l’aide humanitaire (HAC) et les agences de sécurité. Ce RSFCG a lancé plusieurs groupes de cogestion, ce qui a fait que l’État, le secteur privé et les communautés de pêcheurs doivent partager des responsabilités.

Pour impliquer les communautés dans la gestion des pêches, il faut renforcer les capacités, ce qui s’est fait via un programme de pêche expérimentale. De nouvelles technologies et techniques (palangre, pièges, moulinets, hameçons circulaires, GPS, sondeurs) ont été testées ; et diverses données ont été collectées sur les pêcheries et leurs exploitants. Cela inclut une démarche ParFish (méthodologie d’évaluation participative des stocks de poisson) qui a permis de sensibiliser les personnes concernées et a facilité les discussions sur les aspects de la cogestion. Cette démarche rassemble les institutions publiques, les pêcheurs et les commerçants pour tester, collecter et analyser les données. Elle permet de promouvoir les droits des pêcheurs dans la définition des régimes de gestion les plus appropriés pour parvenir à une pêche durable.

Un groupe de cogestion, représentatif des pêcheurs, des commerçants, des scientifiques et des gestionnaires, a été constitué pour s’occuper de la gestion des poissons récifaux. Il a décidé d’appliquer des mesures de gestion fondées sur le marché afin de limiter l’effort de pêche durant les périodes de frai pour certaines espèces commerciales.

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Le concombre de mer

Le dispositif de cogestion appliqué au concombre de mer (holothurie) constitue actuellement un modèle pour le Soudan. L’exploitation commerciale de cette espèce a été arrêtée en 2009 sur la base des données fournies au Soudan par la PERSGA (Organisation régionale pour la conservation de l’environnement de la mer Rouge et du golfe d’Aden). Cette fermeture a créé des tensions qui ont conduit à l’organisation d’un atelier où l’on a identifié les principaux objectifs de gestion et débattu d’une feuille de route précisant les moyens d’amélioration de la gestion de cette ressource. Elle propose un plan en dix points qui prévoit la levée de l’interdiction de récolter le concombre de mer s’il y a un accord entre les commerçants, les pêcheurs et l’État pour limiter l’effort de pêche et collaborer pour la collecte et le partage des données durant une année de pêche expérimentale.

Les parties concernées ont accepté de limiter le nombre de commerçants et de pêcheurs intervenant dans cette pêcherie, de même que les lieux et périodes de récolte. On a procédé pour cela à l’enregistrement et au marquage des embarcations, à la délivrance de permis. Les commerçants soutiennent cette initiative en finançant le coût des observateurs officiels qui restent dans chaque camp de traitement pour collecter des données. Cela a permis d’améliorer les opérations, notamment avec l’interdiction d’utiliser le bois de la mangrove, le respect de tailles minimales et une meilleure sélectivité des espèces. L’Administration procède actuellement à un collectage d’informations sur les captures pour avoir une idée plus précise des coûts opérationnels et des avantages sur cette pêcherie. Ces arrangements font que les coûts de gestion et les avantages sont répartis entre les membres du partenariat, lesquels ont identifié les mesures appropriées qui permettront de résoudre certains problèmes en matière de commercialisation, de production et aussi d’équité.

Les services de sécurité sont également impliqués dans le processus, malgré les hésitations du début. Ils relèvent du pouvoir fédéral et surveillent tous les mouvements et activités dans l’État (wilayat) de la mer Rouge. Tous les pêcheurs doivent obtenir un permis de sortie maritime avant d’aller en mer. Le partenariat a fait appel aux services de sécurité et les a incité à partager une partie de cette responsabilité avec d’autres intervenants, y compris les communautés de pêcheurs. Cet exemple soudanais montre bien qu’il est important de mettre en place des mécanismes officiels permettant aux communautés de participer efficacement à la gestion et à la pérennisation de leurs pêcheries. À ces mécanismes doivent évidemment s’ajouter un renforcement des capacités et le dialogue entre pêcheurs, scientifiques et Administration afin que tout le monde comprenne mieux le fonctionnement de l’écosystème concerné et partage son savoir. Grâce à une gestion souple et à la consolidation du partenariat, on pourra expérimenter divers types de régimes, prendre les décisions dans la transparence sur la base de données connues de tous. On pourra ainsi identifier les mesures de contrôle qui s’imposent et qui seront mises en œuvre d’un commun accord entre toutes les parties prenantes.

Cet exemple soudanais fait également bien ressortir l’importance des droits humains, l’importance d’une acceptation par les institutions publiques d’une évidence, à savoir que l’État ne peut pas gérer à lui tout seul les pêcheries, que les pêcheurs et les commerçants ont un rôle central à jouer si l’on veut parvenir à une pêche responsable et durable. Les partenariats et les mécanismes ainsi établis n’ont pas déstabilisé la gestion fondée sur des droits qui donne de nouveaux accès à la ressource ; ils ont au contraire consolidé cette démarche. Ils n’ont pas non plus ébranlé l’autorité de l’État qui a sans doute vu sa tâche facilitée pour assurer une meilleure gouvernance du secteur de la pêche artisanale et à petite échelle.

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