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La migration du Kerala : La fin d’une époque ?

John SAMUEL

01 / 2011

Le Kerala est au seuil d’une transition : avec des transferts d’argent en provenance des émigrés qui devraient diminuer et la baisse des migrations vers le Golfe, le processus de croissance actuel basé sur l’argent renvoyé par les migrants et focalisé en grande partie vers le secteur des services ne sera pas durable, écrit John Samuel.

On estime qu’aujourd’hui plus de 10% de la population du Kerala vit en dehors de cet État, dans diverses zones de l’Inde, dans la région du Golfe, aux États-Unis, en Europe et dans d’autres pays partout dans le monde. Malgré les nombreuses estimations proposées, les chercheurs ne s’accordent pas sur le nombre exact de personnes originaires du Kerala (PKO) vivant dans les différents États de l’Inde et dans le monde ; les estimations varient entre 3 et 4 millions. Cela est en partie dû à la difficulté de recenser les deuxième - et troisième - générations originaires du Kerala qui ont vécu dans différentes régions de l’Inde et du monde pendant des années.

Il y a une plus grande clarté, cependant, concernant le nombre de migrants vers la région du Golfe et les tendances migratoires sur les 40 dernières années.

La migration a été un facteur important pour aider à réduire la pauvreté, le chômage et la misère au Kerala. Pendant plus de trente ans, il y a eu une migration régulière de l’État vers des pays du Golfe et différentes régions de l’Inde et du monde. Une étude récente (« Migration and Development : Kerala Experience », S Irudaya Rajan, K C Zacharia, CDS, 2007) du Centre for Development Studies de Trivandrum montre qu’il y a environ de 2,27 à 3 millions de travailleurs non-résidents originaires du Kerala. La proportion de travailleurs migrants dans le Golfe est tombée de 95% en 1998 à 89% en 2007.

D’après cette étude, ces migrants vers l’international ont renvoyé environ 240 milliards de roupies au Kerala en 2006/2007. Cette année là, ces envois de fonds ont représenté environ 20% du Produit Intérieur Net de l’État.

Les points forts de l’étude sont les suivants :

  • Le nombre d’émigrants était de 1 840 000 en 2003 et 1 850 000 en 2007. Le nombre d’émigrants de retour était de 890 000 en 2003 ; en 2007 il était également de 890 000. Le nombre de non-résidents originaires du Kerala (NRK) était de 2 730 000 en 2003 ; il était de 2 740 000 en 2007. Le taux de migration, cependant, a connu un important déclin, chutant de 26,7% des ménages en 2003 à 24,5% des ménages en 2007.

  • La proportion de ménages au Kerala comptant un NRK est plus ou moins restée la même qu’en 2007 ; elle était de 25,8% en 2003.

  • Les régions du nord du Kérala gagnent de l’importance en tant que zones d’émigration. Au fil des années, de plus en plus d’émigrants du Kerala émanent de régions telles que Malappuram, Kannur et Kasaragod. À Malappuram, 71% des ménages comptent un émigrant ou un émigrant de retour. La région de Malappuram avait la particularité d’être à l’origine du plus grand nombre d’émigrants du Kérala en 1998 et en 2003. Elle a conservé cette particularité en 2007. En effet, en 2007, 336 000 émigrants, soit environ 18,2% du nombre total d’émigrants du Kerala, avaient pour région d’origine Malappuram.

  • Pratiquement la moitié des émigrants étaient musulmans. Parmi les musulmans, trois ménages sur quatre (74%) comptent un migrant ; parmi les Hindous, c’est le cas de moins d’un ménage sur cinq (22%).

  • La communauté musulmane, qui représente environ 25% de la population de l’état, a reçu 50% de la totalité des envois de fonds en 2006/2007. La part des sept régions du nord du Kerala en nombre total d’envois de fonds (61%) était pratiquement le double de celle des sept régions du sud (39%).

  • Le nombre d’« épouses du Golfe » (femmes mariées vivant au Kerala dont les maris résident dans d’autres pays) est estimé à approximativement 1,2 million. Elles représentent environ 10% des femmes mariées dans l’État.

La migration a été un instrument clé de changement social, politique et économique au Kerala durant ces 30 dernières années. Les tendances migratoires et leur impact socio-économique ont influé de manière significative sur le processus culturel et politique au Kerala. Les importants transferts de fonds ont contribué à faire baisser le chômage et la pauvreté, bien qu’ils aient paradoxalement engendré une culture de consommation et la marchandisation de services publics tels que l’éducation et la santé. Les transferts de fonds de plus de 2 millions de travailleurs migrants ont indirectement créé des emplois pour environ 4 à 5 millions de personnes au Kerala (d’après de nombreuses estimations). L’économie basée sur le transfert de fonds a également modifié l’organisation des propriétés terriennes et de l’agriculture, en plus d’avoir eu des répercussions sur l’environnement et l’écologie en raison à la fois d’un essor sans précédent dans le secteur de la construction et de la pression existant sur les terres et les rizières pour réaliser de nouvelles constructions.

Le Kerala est au seuil d’une transition, et les conséquences de la migration (positives comme négatives) vont jouer un rôle important dans la détermination de l’avenir de l’État. Les revenus issus des envois de fonds vont diminuer et l’importance de la migration vers le Golfe va décroître car cette région connaît une saturation du marché du travail. Il y aura une plus grande concurrence pour les emplois qualifiés et semi-qualifiés en Inde et ailleurs. En conséquence, un processus de croissance basé sur les transferts de fonds des migrants et orienté en grande partie vers le secteur tertiaire pourrait ne pas être durable pour le Kerala sur le long terme.

Il est important de comprendre les cinq différentes vagues migratoires du Kerala, et en quoi chacune de ces tendances a influencé le processus social et politique de l’État. Il existe trois problèmes : les changements socioculturels dus à la migration ; les conséquences économiques et sociales d’une économie basée sur les transferts de fonds ; et les conséquences politiques de la migration.

Parmi les nombreux États de l’Inde, les personnes originaires du Punjab, du Gujarat et du Kerala ont tendance à migrer davantage dans le monde. Il y a une raison historique à cela, étant donné que ces États ont été en contact avec des cultures et des personnes étrangères par le biais du commerce. Le Kerala a une histoire de plus de 2300 ans d’exposition à différentes cultures à travers le commerce maritime ; le Gujarat en a une de peut-être plus de 3000 ans ; le Punjab, au carrefour entre l’Asie du sud et l’Asie centrale, a été à la charnière des principales routes commerciales et des guerres. De plus, il existait un autre type de migration du Tamil Nadu et de l’Andhra Pradesh vers l’Asie du Sud-Est : au Cambodge actuel, dans certaines régions de Thaïlande, en Indonésie, au sud du Vietnam… Des royaumes Chola basés sur le commerce étaient également présents dans le Sud de l’actuelle Thaïlande. Toute cette exposition culturelle a modelé notre vision du monde historique et notre influence.

La première génération de migrants du Kerala, au début du XX° siècle, était composée de travailleurs semi-qualifiés ou presque professionnels partis s’installer à Ceylan, dans des régions de Malaisie (pour travailler dans les plantations), en Birmanie, à Madras, Calcutta, Karachi et Bombay. Les connaissances et l’argent qu’ils ont rapporté ont influencé dans une certaine mesure l’architecture et le patrimoine culinaire du Kerala.

La deuxième vague migratoire après la Seconde Guerre Mondiale était dirigée vers Singapour, la Malaisie et différentes régions de l’Inde - dans des grandes villes telles que Bombay, Delhi, Calcutta, Madras et Bangalore. La plupart des gens qui ont migré lors de cette deuxième vague, de 1945 à 1960, étaient des travailleurs semi-qualifiés diplômés (dactylos, secrétaires, employés de bureau et personnel de l’armée).

La troisième vague de migrants, de 1960 à 1975, était composée de personnes ayant des compétences techniques et une formation professionnelle (professionnels de la technologie, infirmières, employés, techniciens…).

Ces trois vagues migratoires, et les envois de fonds qui en ont découlé, ont contribué à influer sur les rapports entre les régions et à insuffler un sentiment d’« appartenance indienne », au fur et à mesure qu’un nombre considérable de Malaisiens rejoignaient la classe moyenne panindienne.

La quatrième vague, de 1975 à 1992 (jusqu’à la guerre du Koweït), a compté des migrations massives vers le Golfe, les États-Unis, l’Allemagne et d’autres pays d’Europe et d’ailleurs. Cela était dû aux revenus croissants provenant des prix élevés du pétrole dans les années 1970, et au manque de main-d’Ĺ“uvre qualifiée requise pour le développement de la construction et de l’infrastructure dans les économies pétrolières. Les personnes qui ont transformé économiquement le Kerala sont celles ayant suivi une formation infirmière ou à l’ITI. La demande croissante d’infirmières dans le secteur de la santé a provoqué une série de migrations vers les États-Unis, l’Allemagne, etc. Une seule infirmière était probablement responsable de la migration d’une moyenne de 20 personnes !

La cinquième vague migratoire (à partir de 1993) a eu deux ou trois temps. Ceux-ci ont été : a) la migration relativement importante de travailleurs semi-qualifiés et non qualifiés des régions du Nord du Kerala, en particulier de Malappuram et Kannur ; b) l’émigration de professionnels hautement qualifiés (ingénieurs, médecins, experts en informatique, universitaires) vers différentes régions d’Europe, des États-Unis et du monde ; c) l’émigration croissante vers les États-Unis des réseaux familiaux des infirmières qui avait migré aux États-Unis ou en Europe lors de la quatrième vague migratoire dans les années 1980.

Il y avait en fait des connotations de caste et de communauté dans les migrations. Les personnes appartenant à la communauté chrétienne ont migré relativement tôt, en partie en raison d’une éducation précoce et de la moindre importance des stigmates associés au travail qualifié et à la profession d’infirmières par exemple. De plus, de nombreux chrétiens étaient des fermiers marginaux. Une population croissante dans la première moitié du XXe siècle a altéré le rapport hommes/terre, par conséquent les gens ont été obligés de migrer à l’intérieur du Kerala pour trouver des terres, ou hors du Kerala pour trouver du travail. Nombre d’entre eux auraient pu être des réfugiés quasi-économiques qui avaient peu à gagner dans le système féodal ou l’élite dirigeante d’un royaume princier largement contrôlé par l’axe Brahmane-Nair.

La quatrième vague migratoire a comporté un nombre important de musulmans, d’Ezhavas et de personnes appartenant à d’autres communautés. Alors que la deuxième génération de la première et deuxième vague de migrants devenait des professionnels (médecins, ingénieurs…), la quatrième vague de migrants appartenait à la classe moyenne inférieure. Alors que les trois premières vagues migratoires étaient limitées à quelques régions du Kerala (Palghat, le centre de Travancore, quelques régions du Malabar et Cochin), la quatrième vague migratoire concernait un nombre bien plus important de castes, de communautés et de régions. C’est cette quatrième vague qui a eu le plus gros impact sur les relations sociales et politiques ainsi que sur le paysage culturel, et qui a entraîné les plus grandes conséquences économiques.

La cinquième vague migratoire, à partir de 1995, était formée de trois couches : a) les élites supérieures constituées de professionnels qualifiés ; b) les travailleurs qualifiés et semi-qualifiés de la classe moyenne ; c) de nombreux travailleurs non qualifiés dans la seconde moitié des années 1990.

Ces tendances migratoires et leurs conséquences ont influé sur tous les aspects de la société : les rapports à la terre, le déclin de l’agriculture, la croissance du secteur de la consommation et du secteur tertiaire, l’élévation de l’éducation au rang d’industrie (coûts, autofinancement…), et une baisse relative des compétences et des connaissances des jeunes dirigeants des partis politiques. Cela a eu un profond impact également en termes de structure et de direction des partis politiques. Les communautés participant relativement plus largement dans la structure du pouvoir du Kerala (Nair-Namboothiri), qui étaient économiquement aisées grâce à l’accès aux terres et aux relations féodales, ont obtenu des postes au sein des partis politiques.

La direction politique du Kerala a donc connu une forte prédominance de personnes appartenant à quelques communautés. Il y avait également moins de musulmans dans l’élite politique du Kerala jusqu’aux années 1970. À la fin des années 1990, cependant, le statut économique, le profil éducatif et le statut des relations terriennes a changé de manière significative parmi les musulmans, entraînant une nouvelle compréhension des processus politiques et affirmation de soi dans ce cadre. Cette politisation et la réaffirmation de l’identité a eu un lien direct avec les tendances migratoires. La réponse a comporté un étrange mélange entre une politique réformiste dominante et une politique plus radicale combinant une critique de l’impérialisme et l’affirmation d’une nouvelle politique panislamiste.

Les chrétiens, qui faisaient partie des trois premières vagues migratoires, avaient un meilleur accès aux ressources d’information, d’argent et de réseau. Par conséquent, la génération suivante de ces migrants a évolué vers les groupes d’élite de la classe moyenne supérieure de la société. Et leur politique a été en partie modelée par le fait que, parmi eux, de nombreux migrants qui étaient relativement les plus instruits et qualifiés (majoritairement des infirmières) ont migré aux États-Unis et vers d’autres pays européens. Cette partie de la population avait une conscience politique moindre (pour la plupart non à gauche) et promouvait involontairement le painkilivalkaram –une nouvelle culture de consommation, populaire et émoustillante qui a vu le jour au centre de Travancore et s’est répandue à travers le Kerala.

Les différentes tendances migratoires de diverses communautés ont également modelé la sociologie politique et la sociologie des dirigeants politiques. Cela a aussi influencé l’industrie cinématographique en raison de l’argent issu des transferts de fonds et du fait que les hommes d’affaires basés dans le Golfe aient commencé à investir dans les films. Le painkilivalkaram, ou la popularisation, peut également être considéré comme la dissolution des relations féodales, un type de relation qui a été sérieusement remis en question par la quatrième vague migratoire et les modes de transferts de fonds. Mais bien que les relations féodales aient changé, il n’en a pas été de même pour la mentalité féodale. Cela, ainsi que le statu quo consumériste et les vanités des nouveaux riches, a créé un environnement favorable pour le painkilivalkaram, qui peut se voir en partie dans la popularisation et la démocratisation de la littérature, passant de la « culture » haut de gamme à des produits de consommation de masse.

Palabras claves

migración, emigración, economía, identidad cultural


, India

Notas

Lire l’article original en anglais : Migration from Kerala: The end of an era?

Traduction : Amandine Millioz

Fuente

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John SAMUEL, « Migration from Kerala: The end of an era?", in InfoChange, January 2011

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