10 / 2010
Se basant sur l’exemple des plantations arboricoles de l’entreprise norvégienne Green Resources Ltd, Khadija Sharife mène l’enquête sur les projets initiés dans le cadre du « Mécanisme de développement propre », comme ceux de Green Resources en Afrique de l’Est, et sur la réalité des bénéfices qu’ils sont censés apporter aux habitants sur le terrain.
Green Resources Ltd, la plus grande compagnie de foresterie d’Afrique, s’affiche comme une entité vouée à la durabilité, avec des activités allant de la récupération des déchets forestiers à la séquestration de carbone. Ceci n’est pas un accident : deux jours seulement après l’adoption du Protocole de Kyoto de la Convention cadre de l’ONU sur le changement climatique (CCNUCC), cette entreprise (alors connue sous le nom de Fjordglott) a augmenté sa capitalisation de 98 000 à 1,4 million de dollars US et adressé ultérieurement des invitations à des investisseurs privés comme l’entreprise norvégienne TRG pour qu’ils achètent des parts (1).
Aujourd’hui, les activités de Green Resources incluent plantations, activités de compensation d’émissions de carbone, produits forestiers et énergies renouvelables. Sa production de bois en Afrique tourne autour de 14 000 hectares de forêt, sur un total de 610 000 hectares en développement (2). L’entreprise, principalement active en Afrique de l’Est avec 3500 employés (3), détient 12 000 hectares en Ouganda (4), ainsi que des surfaces significatives en Tanzanie (34 000 hectares de terres, et 120 000 hectares supplémentaires en cours d’acquisition), au Mozambique (172 000 hectares) et au Soudan (179 000 hectares) (5). Elle possède également la plus importante scierie d’Afrique de l’Est, Sao Hill, et figure parmi les principaux producteurs du continent de poteaux de transmission électrique ou de bois de construction, entre autres produits (6).
La structure actuelle son actionnariat (7) est la suivante : Phaunos Timber Fund (26%), New Africa (26%), Steinerud (10%), Macama (8%), Storebrand ASA (8%), Verbene Investment Ltd (7%), TRG (4%), Preben Invest AS (3%). Contrairement à la concurrence, d’ailleurs limitée, Green Resources détient l’avantage comparatif de disposer déjà d’une expérience significative en termes d’acquisition de terres, décrite comme une « barrière à l’entrée considérable » par la compagnie. Parmi ces concurrents figure le Global Forest Solidarity Fund (8), une initiative privée active au Mozambique, financée à hauteur de 100 millions de dollars US par des investisseurs comme l’Université de Harvard, qui a planté 5000 hectares au cours de la décennie écoulée ; New Forest (9), financée par des capitaux britanniques, active en Ouganda et au Mozambique, qui a planté 1500 hectares en 2007 ; Actis/CDC (10), qui contrôle 7000 hectares de plantations de teck en Tanzanie, ainsi que des droits d’exploitation forestière au Soudan ; Raiply (11) l’entreprise forestière la plus importante d’Afrique de l’Est, qui possède 12 000 hectares en Tanzanie et des opération au Kenya ; et Rift Valley Holdings (12), qui se décrit comme « l’un des principaux investisseurs dans l’agriculture et la foresterie en Afrique subsaharienne ».
Comme l’expliquait récemment Mutuma Marangu, président d’une filiale de Green Resources (13), un arbre qui met 70 ans à pousser en Norvège n’en met que 17 en Tanzanie. Étant donné la situation géostratégique de l’Afrique de l’Est et la demande croissante de bois de la part de nations émergentes comme la Chine, Marangu pense qu’à mesure que des surfaces importantes de forêt se « connecteront » au marché mondial, les Chinois, Japonais et autres consommateurs importants de bois au Moyen- et en Extrême-Orient se tourneront vers l’Afrique de l’Est en lieu et place du Brésil, de l’Argentine et du Chili, leurs fournisseurs traditionnels.
« En termes de transports de matières premières, la distance entre la Chine et l’Afrique de l’Est est inférieure à celle entre la Chine et le Brésil. », a-t-il déclaré. « Les opportunités sont immenses ici. Notre taux de pénétration de la foresterie et de la couverture forestière est le plus faible au monde, et les possibilités de faire pousser des arbres sont les plus importantes. Nous montrons la voie à suivre. » (14) Au cours de son récent entretien avec le Business News Network du Canada, Marangu a déclaré que chaque année, 300 000 foyers ont besoin de bois de construction au Kenya, en Tanzanie et en Ouganda, où la population croît « d’un million de personnes par an » (15).
« En termes d’énergie et de demande, le besoin à la fois de production (de bois) et de compensation (carbone) est extrême. À présent, il y a peu d’investissements multinationaux ou étrangers dans le secteur. », a-t-il ajouté. Actuellement, des producteurs « à coûts élevés » comme les États-Unis (qui produisent plus de 600 millions de mètres cube de bois par an) et la Russie (qui produit plus de 400 millions de mètres cube de bois par an), et quelques autres comme l’Uruguay, le Brésil, l’Indonésie et l’Afrique du Sud, représentent 80% de l’offre (16). L’entreprise souligne que les nouvelles taxes russes sur les exportations de bois (50 euros par mètre cube) sont supérieures aux droits de coupe (coûts résiduels après soustraction de divers coûts comme le transport) de la Tanzanie (17). Pendant ce temps, des nations émergentes comme l’Afrique du Sud connaissent un augmentation de la consommation locale de produits à base de bois.
L’opinion de Marangu sur la Chine et l’Inde est corroborée par les chiffres : entre 2002 et 2006 (18), les importation de cette dernière ont doublé, tout comme celles de la Chine au cours des 5 dernières années. La Chine ayant augmenté les plantations domestiques de bois dur et de bois tendre (qui sont passé de 6 millions et 7 millions de mètres cube annuels respectivement en 2000 à 25 et 16 millions en 2010), l’« explosion » de la demande chinoise n’aura toutefois qu’un « impact modeste ».
Ce sont précisément les vastes ressources en bois de l’entreprise qui lui permettent de percevoir les compensations carbone comme un moyen viable de générer des profits à travers la séquestration ou le stockage de carbone via des plantations. Ces plantations sont considérées comme un moyen particulièrement profitable d’atténuation du changement climatique dans le cadre du Mécanisme de développement propre (MDP) du Protocole de Kyoto. L’Afrique a été le plus faible bénéficiaire des fonds liés au changement climatique, alors que le continent ne compte que pour 3% de toutes les émissions planétaires de gaz à effet de serre.
Malgré les études réalisées par le Programme sur l’énergie et le développement soutenable de l’Université de Stanford qui ont révélé qu’entre un et deux tiers des projets du MDP « ne permettent aucune réduction réelle des émissions de carbone » (19), ces projets représentent 20% du marché global du carbone (20), soit 17,5 sur 94 milliards de dollars US au total (en 2009). Le marché carbone de l’Union européenne représente 77% de ce marché (72 milliards de dollars US), mais celui-ci est appelé à exploser de 300% une fois que le marché des États-Unis entrera officiellement en vigueur (21).
L’importance des forêts comme « puits » de carbone a été reconnue par les articles 6 et 12 du Protocole de Kyoto, relatifs aux activités de projet et au marché des émissions. L’article 6 stipule que les pays de l’Annexe 1 (c’est-à-dire les nations développées et industrialisées qui sont responsables de plus de 80% des émissions historiques) peuvent transférer à ou acquérir d’autres pays de l’Annexe 1 des crédits carbone – résultant de projets visant à réduire les émissions d’origine humaine ou à renforcer les puits de carbone (22). L’article 6 inclut deux dispositions fondamentales selon lesquelles toute réduction d’émissions revendiquée doit être « additionnelle », c’est-à-dire que les émissions doivent être effectivement inférieures à celles qui seraient survenues autrement (23).
L’article 12, de son côté, porte sur le rôle des pays autres que ceux de l’Annexe 1 (pays en développement) et définit le rôle des initiatives de MDP, lesquelles doivent – en théorie – permettre aux nations en développement de progresser vers la durabilité grâce à des transferts de technologies (par exemple dans le domaine de l’énergie solaire ou éolienne) depuis les nations développées (24). Le MDP facilite en retour la poursuite des émissions de CO2 de la part des pays développés à travers l’acquisition de crédits carbone générés par la non-utilisation d’hydrocarbures dans les pays en développement. Les projets d’afforestation et de reforestation ont été formellement inclus dans ce mécanisme par la 9e Conférence des parties (COP) en décembre 2003 (25).
Green Resources a déclaré que ses projets existants vont générer plus de 60 millions de tonnes de carbone capturées (26) durant la prochaine décennie, la capture totale de carbone par afforestation/reforestation devant atteindre un pic à 2 millions de tonnes par an pour les projets actuellement en développement (en 2009) (27). Des projets additionnels devraient générer selon les estimations 9 millions de tonnes (d’ici 2020, lorsque la « croissance nette de la biomasse sera la plus importante »). Le gouvernement norvégien, soucieux de compenser quelques 6 millions de crédits carbone (28), a d’ores et déjà acheté des crédits à Green Resources (29).
Même si le Protocole de Kyoto de 1997 établi dans le cadre de la CCNUCC n’est entré en vigueur qu’en 2005, la Tanzanie avait ratifié l’accord dès 2002 (30). L’approbation de la CCNUCC est vitale, et celle du pays hôte - à travers une « autorité nationale désignée » (AND) – constitue également un réquisit fondamental. Le guide officiel réalisé par la Tanzanie sur le MDP à destination des investisseurs indique à ce propos : « En Tanzanie, avant que l’AND puisse approuver des activités de projet d’afforestation/reforestation, celles-ci sont examinées par le Ministère des ressources naturelles et du tourisme à travers sa Division des forêts et de l’apiculture, laquelle a mis en place un groupe de travail pour étudier ce type de projet ainsi que tout autre aspect relatif aux opportunités d’échange de carbone. » (31)
Afin d’« accélérer » et simplifier la procédure pour les initiatives de MDP à petite échelle, le gouvernement a mis en place « un enregistrement plus rapide, de seulement 4 semaines après soumission du dossier, une exemption des frais d’enregistrements » - de même pour les entités « validées, vérifiées et certifiées par les mêmes entités opérationnelles désignées. Les « entités opérationnelles désignées » sont chargées de vérifier que les projets de MDP respectent les régulations appropriées. Afin d’obtenir l’approbation de l’AND, des « notes sur l’idée du projet » – identifiant le caractère « additionnel » de ce dernier, sans lequel il ne serait pas admissible dans le cadre du MDP – et des « documents de conception du projet » doivent être soumis. L’implication de l’AND le plus en amont possible est souhaitée. Les projets ciblant les zones rurales sont également privilégiés, et le transfert de technologie demeure l’une des quatre conditions essentielles à l’approbation de l’ADN. Le guide révèle encore : « Le moment de la vente des unités de réduction certifiée des émissions (URCE ou CER en anglais) a un impact sur le prix obtenu. Contacter des acheteurs potentiels peut être recommandé si un financement de l’enregistrement au titre du MDP est requis. » (32)
L’Idete Forest Project de Green Resources constitue un exemple d’initiative dans le cadre du MDP. « L’objectif d’Idete est de faire pousser des arbres pour stocker du carbone et récolter des produits forestiers pour produire du bois découpé, des poteaux à usage industriel et de l’énergie renouvelable. », assure Green Resources. Alors que l’entreprise a soumis ses « documents de conception du projet » en novembre 2008, les plantations avaient commencé à Idete dès 2006, sur des terres de savane dégradées (33). La certification du Forest Stewardship Council (FSC), déjà obtenue en 2008 dans les concessions de Uchindile et Mapanda de la compagnie, est essentielle pour s’assurer que les meilleurs standards de l’industrie sont appliqués. Selon le Dr Blessing Karumbidza de l’Institute or Economic Research and Innovation (EIRI), c’est la Norvège – l’un des principaux producteurs de pétrole mondiaux – plutôt que la Tanzanie qui en récoltera les bénéfices.
« Le projet Idete a été, selon certains, directement appuyé par le Ministère norvégien des finances. Le Premier ministre norvégien, qui était présent à l’inauguration, a évoqué dans son discours l’importance des crédits carbone comme moyen de compenser les émissions de la Norvège. La Tanzanie était au cœur de l’arrangement. », dit Karumbidza, qui représente également l’organisation de la société civile africaine Timberwatch. L’ironie, comme le souligne Karumbidza, est que les plantations arboricoles ne sont pas des forêts mais des monocultures, et ne devraient donc pas pouvoir bénéficier d’une certification FSC.
« Green Resources prétendait que la terre acquise à Idete était dégradée par le feu, mais contrairement aux plantations de bois où le feu est un agent de destruction, les feux de savane sont un moyen naturel et expédient de maintenir l’écosystème, qui supprime les matières herbacées mortes, recycle les nutriments, entre autres rôles importants », observe-t-il. « L’objectif de cet accord et des accords similaires de MDP n’est pas de transférer des technologies en vue d’un développement durable et de la production d’énergie renouvelable dans les pays en développement en guise de compensation des émissions occidentales, mais plutôt de perpétuer la même exploitation. »
Les espèces d’arbres plantées sont avant tout l’eucalyptus, une espèce potentiellement invasive (59%), et le pin (40%). La forêt, située dans le district de Mufindi, dans la région d’Iringa, est située à une altitude d’entre 1 100 et 1 550 mètres. La saison des pluies y dure de novembre à mai (34). En 2008, 1 600 hectares, sur une surface plantable de 8 000 hectares (et sur un total de 11 600 hectares de terres acquis par Green Resources à Idete), avaient été développés, générant potentiellement 172 471 unités temporaires de réduction certifiée des émissions (tCER) par an (35). L’entreprise estime que la production totale sur 20 ans générera presque 2,6 millions de tCER à Idete seulement (36). En 2009, Green Resources révélait que ses plus de 6 millions de tCER potentiels à l’horizon 2020, vendues à 6 dollars US l’unité, représentaient un revenu potentiel de 36 millions de dollars US pour la période créditée (les règles du MDP stipulent que le carbone accumulé peut être vendu tous les 5 ans) (37). Les défis économiques auxquels sont confrontés les projets de compensation carbone en Tanzanie ont été décrits ainsi par Green Resources : « un haut niveau de risque, un prix bas et incertain pour les tCER, des coûts élevés de conception et de mise en œuvre du projet ». Les obstacles institutionnels et sociaux incluent la compréhension limitée, de la part du gouvernement, des processus de certification carbone, les difficultés structurelles liées aux procédures bureaucratiques d’approbation gouvernementales, ainsi que le niveau de compréhension lui aussi limité des communautés (38). L’entreprise ajoutait, dans sa brochure intitulée « Aperçu des projets de plantation et de certification en Tanzanie », que les parties prenantes et les communautés ont des espoirs très élevés en termes de bénéfices attendus (39), et que les investisseurs privés sont placés de fait dans une position désavantageuse.
« Même si des financements importants sont disponibles pour les activités de foresterie et de compensation carbone, seule une très faible partie de ces fonds bénéficie aux firmes privées. », déclarait Green Resources. « Selon nos estimations, les entreprises privées reçoivent moins de 2% des financements publics disponibles pour l’afforestation/reforestation et les compensations carbone. Afin de renforcer toutes les activités qui contribuent à combattre le changement climatique, en particulier en Afrique, les agences de financement devraient augmenter les fonds disponibles pour le secteur privé. » (40) L’entreprise déclarait que le coût à l’hectare du projet varie entre 400 et 600 dollars US à l’hectare (41), même si la terre est louée pour une durée de 99 ans au gouvernement tanzanien au prix dérisoire de 2,3 couronnes norvégiennes (moins de 0,36 dollar US), soit un loyer annuel légèrement inférieur à 4 200 dollars US pour Idete (42). Cela représente une baisse de deux tiers par rapport au niveau de loyer précédent, baisse obtenue à force de pression par l’ancien directeur général Ivar Løvhaugen, qui a fait valoir que les coûts de loyer devaient être réduits autant que possible pour diminuer les risques. Argument repris par John P. Haule, directeur d’une filiale de Green Resources Ltd (connue alors sous le nom de Tree Farms), qui estimait que les frais de loyer devaient diminuer de 50% pour atteindre 750 shillings tanzaniens (43).
Le dirigeant de Green Resources, Mads Asprem, a expliqué en outre l’année dernière au groupe norvégien de la société civile Norwatch : « Il est intéressant de constater que la demande de terre en Tanzanie est très faible, et que les développements en agriculture et en foresterie sont peu nombreux. La seule conclusion à tirer de cet état de fait est que le prix de la terre est trop élevé. » (44) La compagnie s’est engagée à réinvestir 90% de son chiffre d’affaires dans des projets ultérieurs, tandis que les deux villages louant leur terre recevront 10% des profits générés par les crédits carbone (45).
« Ce que fait Green Resources est d’exporter en Afrique le problème de pollution générée ailleurs. Les Tanzaniens n’y gagnent quasiment rien. Cela deviendra évident dans 10 ou 15 ans lorsque les nappes phréatiques auront été épuisées par les plantations arboricoles. Un fait particulièrement révélateur des pratiques d’exploitation sous-jacentes aux arrangements de ce type est qu’il a été négocié non dans une devise forte, mais en shillings tanzaniens, une monnaie sujette à dépréciation. », explique Karumbidza. « Les communautés tanzaniennes peuvent s’attendre à recevoir quelques millions de shillings tanzaniens générés par les crédits carbone dans 15 ans – mais cela ne vaudra peut-être pas grand chose. »
Même si Green Resources, la première entreprise à obtenir une certification Voluntary Carbon Standard (VCS) en dehors des États-Unis, prétend n’avoir réalisé encore aucun profit à ce jour après 12 ans d’activités en Afrique, ses plantations seront bientôt arrivées à maturité et prêtes à être récoltées (46). Le temps dira si les projets de reforestation dans le cadre du MDP sont de l’ordre du fait ou de la fiction.
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Nouvelles technologies en Afrique
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Traduction : Albert Caille.
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