Centre for Education and Documentation
08 / 2010
Le Gouvernement, la société civile et le changement climatique
L’Inde est signataire de la Convention Cadre des Nations-Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC) depuis juin 1992 et a ratifié le Protocole de Kyoto le 26 août 2002. Mais elle n’a publié son Plan National d’Action sur le Changement Climatique qu’en juillet 2008. Et cela dans un empressement tel que ce texte est un ensemble de platitudes sur l’énergie renouvelable, le développement durable et le chemin vers une croissance faible en carbone (Cf. Une Inde frileuse face au réchauffement climatique).
Quelques organisations de la société civile et agences de développement en Inde ont été directement impliquées dans les travaux sur le Changement Climatique à l’époque même du Sommet de la Terre de Rio en 1992. Elles n’étaient qu’une poignée mais devaient avoir une grande influence sur l’interprétation et la compréhension de la notion de « responsabilités communes mais différenciées » des parties à la Convention. Avec quelques ONG du Nord, elles ont aidé à mettre les questions d’équité et de justice sur la table des négociations de la CCNUCC, jusqu’à la finalisation du Protocole de Kyoto en 1997.
Anil Agarwal, le fondateur et directeur du centre de recherche indien Centre for Science and Environment (Centre pour la Science et l’Environnement, CSE) de New Delhi, était l’un de nos défenseurs de l’environnement les plus connus. Avec son équipe, il a été certainement le premier à mettre la question environnementale sur l’agenda politique de l’Inde et à l’étranger. Le CSE a mis en lumière les risques environnementaux auxquels les pauvres de l’Inde devaient faire face à une époque où leurs conditions de vie sont mises en danger par la croissance de l’industrie et le déclin des économies rurales traditionnelles fondées sur la biomasse. Il a montré comment le concept de justice pouvait être intégré dans la politique environnementale entre le Nord et le Sud.
Un article phare signé par Anil Agarwal et Sunita Narain en 1990 (1) proposait déjà un accord sur les droits équitables aux biens communs. Il a inspiré le premier article de la CCNUCC à la fois sur l’engagement au développement durable et sur la reconnaissance de la responsabilité première du Nord.
Il est ainsi admis sans équivoque que les « responsabilités communes mais différenciées » signifient que les pays développés et industrialisés sont responsables en premier lieu du changement climatique et donc également des moyens à mettre en Ĺ“uvre contre ce phénomène à travers la diminution de leurs émissions de gaz à effet de serre, le soutien aux efforts d’adaptation des pays en développement, les transferts de technologie pour assister les pays pauvres sur le chemin d’une croissance faible en carbone et le soutien financier aux pays pauvres pour un développement durable dans le cadre de la convention sur le changement climatique.
La communauté scientifique
La question du changement climatique a fait l’objet de débats scientifiques et politiques intenses. En 1987, le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) et l’Organisation Météorologique Mondiale ont créé le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) pour évaluer le problème du réchauffement climatique.
Le GIEC « a pour mission d’évaluer, sans parti pris et de façon méthodique, claire et objective, les informations d’ordre scientifique, technique et socio-économique qui nous sont nécessaires pour mieux comprendre les fondements scientifiques des risques liés au changement climatique d’origine humaine, cerner plus précisément les conséquences possibles de ce changement et envisager d’éventuelles stratégies d’adaptation et d’atténuation » (Cf. le site du GIEC).
Les scientifiques indiens ont participé à cette grande aventure. Les principales institutions concernées ont été le CSE, l’Institut sur l’Energie et les Ressources (The Energy and Resources Institute, TERI), l’Institut Indien de Science (Indian Institute of Science, IIS) et des Instituts de Technologie Indiens (Indian Institute of Technology, IIT).
Le Dr. R.K. Pachauri, alors Directeur général de TERI, est devenu le président du GIEC en 1992. En 2007, le GIEC, toujours dirigé par le Dr. Pachauri, a obtenu le Prix Nobel de la Paix, conjointement avec Al Gore, ancien vice-président américain, pour « leurs efforts de collecte et de diffusion des connaissances sur les changements climatiques provoqués par l’homme, et pour poser les fondements des mesures nécessaires pour lutter contre ces changements ». Cette récompense a donné un grand élan à la campagne internationale de lutte contre le réchauffement climatique.
Le quatrième rapport d’évaluation du GIEC publié en 2007 note de nombreux changements observés dans le climat de la Terre, notamment dans la composition atmosphérique, les températures moyennes mondiales et l’état des océans.
Les rapports du GIEC ont utilisé l’importante littérature disponible sur l’évaluation du réchauffement climatique et de son impact en Inde. Mais ces données sont restées confinées entre les quatre murs des institutions de recherche et n’ont pas atteint les médias traditionnels, la classe politique, la société civile ni même les universitaires !
Les conséquences physiques et écologiques du changement climatique en Inde
La fonte des glaciers himalayens
L’Himalaya contient la réserve d’eau douce la plus importante de la planète, après les zones polaires, et alimente sept grands fleuves asiatiques : le Gange, l’Indus, le Brahmapoutre, le Mékong, le Thanlwin, le Yangtze et le Fleuve jaune. Les glaciers qui régulent l’alimentation en eau de ces fleuves diminueraient à une vitesse de 10 à 15 m par an (2).
A travers la Chine et le sous-continent indien, des millions de personnes, dont la plupart vivent loin de l’Himalaya, dépendent de ces rivières pour leur approvisionnement en eau. Nombreux sont ceux qui vivent dans des plaines inondables très vulnérables à l’augmentation des niveaux de l’eau tandis que les paysans dépendent d’une irrigation régulière pour cultiver leurs produits.
D’après le WWF, le glacier de Gangotri qui alimente l’un des bassins hydrauliques les plus importants de l’Inde diminue à une vitesse moyenne de 23 mètres par an. La fonte rapide des glaciers himalayens augmentera le volume de l’eau dans les rivières, créant tout d’abord de grandes inondations. Mais dans quelques décennies la situation évoluera et le niveau de l’eau des rivières diminuera, ce qui entraînera des problèmes économiques et environnementaux majeurs dans l’ouest de la Chine, au Népal et au nord de l’Inde. Le flux de l’eau dans les glaciers diminuant, le potentiel énergétique des centrales hydroélectriques baissera, créant des difficultés pour l’industrie, tandis que les possibilités réduites d’irrigation signifieront une baisse de la production agricole.
Montée du niveau de l’eau
L’Inde a été identifiée parmi les 27 pays les plus vulnérables face à la montée du niveau de l’eau liée au réchauffement climatique (UNPE, 1989). La forte vulnérabilité des côtes indiennes est due à la présence de grandes zones côtières de basse altitude, une forte densité de population, la fréquence des cyclones et des tempêtes et la forte dégradation environnementale des côtes due à la pollution. La majorité de la population vivant dans les zones côtières est directement dépendante des ressources naturelles des écosystèmes côtiers. La montée du niveau de la mer pourrait entraîner la perte de terres cultivables, l’infiltration d’eau salée dans ces écosystèmes et dans les systèmes souterrains et la perte de la biodiversité terrestre et marine.
Irrégularité des précipitations
Les moyens de subsistance de la grande majorité de la population indienne reposent sur l’agriculture, les forêts, les zones humides et la pêche et dépendent donc fortement de l’eau des pluies de mousson. Les changements dans la mousson annuelle en Inde devrait causer à la fois des sécheresses sévères et des inondations dévastatrices dans diverses régions du pays. Les changements du cycle de l’eau devraient aussi entraîner une augmentation des maladies liées à l’eau comme le choléra, les hépatites et celles transmises par des insectes, comme le paludisme.
Conséquences sur les bassins fluviaux
Le projet de Communication Nationale entrepris par le Ministère de l’Environnement et des Forêts indien a réalisé une étude intitulée « Évaluation des conséquences du changement climatique sur les bassins fluviaux de l’Inde » pour quantifier son impact sur les ressources en eau du pays.
L’étude révèle qu’avec l’augmentation des gaz à effet de serre, les conditions climatiques vont se détériorer en terme de sévérité des sécheresses dans certaines régions du pays et d’intensité accrue des inondations dans d’autres régions. Il y aura cependant une réduction globale de la quantité d’eau de ruissellement disponible. Les rivières Luni, Kutch et Saurashtra qui occupent un quart du Gujarat et 60% du Rajasthan connaîtront de sévères pénuries d’eau. Les bassins fluviaux de Mahi, Pennar, Sabarmati et Tapi seront aussi en pénurie d’eau. Les bassins fluviaux de la Cauvery, du Gange, de la Narmada et de la Krishna connaîtront des conditions de manque d’eau saisonnier. Les bassins fluviaux des rivières Godavari, Brahmani et Mahanadi connaîtront eux de graves inondations.
Nombre de ces rivières ont connu des changements importants de leur flux, réduisant leur capacité naturelle à s’adapter et à encaisser les chocs. Compte tenu des changements attendus dans le climat mondial et des besoins en eau, cela entraînera probablement une perte de la biodiversité et des risques pour les écosystèmes et les hommes.
Agriculture
Les sécheresses, inondations, cyclones tropicaux, fortes précipitations, températures extrêmes et vagues de chaleur ont généralement des conséquences négatives sur la production agricole et les moyens d’existence des agriculteurs.
Le stress hydrique sera un élément critique du réchauffement climatique avec la modification des précipitations, de l’évaporation, du ruissellement de surface et de l’humidité du sol. Selon un scénario défavorable, l’évaporation accrue du sol et la transpiration accélérée des plantes entraînera le manque d’humidité du sol. Pendant la floraison et la pollinisation ce manque d’humidité endommage toutes les cultures, les plus sensibles étant le maïs, le soja et le blé.
La fonte des glaciers dans l’Himalaya affectera les possibilités d’irrigation en particulier dans la plaine indo-gangétique, ce qui aura de fortes conséquences sur la production alimentaire. De faibles changements dans les températures et les précipitations peuvent avoir des effets importants sur la qualité des céréales, des fruits, des plantes aromatiques et médicinales avec des implications sur leur prix et sur leur commercialisation.
Le changement climatique devrait aggraver le stress lié à la chaleur pour les animaux laitiers, avec des répercussions sur leurs performances productives et reproductives.
Concernant les populations d’insectes très dépendantes des températures et de l’humidité, la dynamique de leurs populations sera modifiée par le réchauffement, résultant en pertes de rendement agricole.
Santé humaine
On prévoit que le changement climatique augmentera les maladies liées à la chaleur, aux insectes transmetteurs et à l’insécurité alimentaire. L’augmentation des CFC dans l’atmosphère augmentera les radiations en UV affectant le système immunitaire et conduisant à des maladies infectieuses. Il pourrait y avoir une augmentation des cancers de la peau. Le plus grand danger pour la santé humaine sera peut-être la rupture des écosystèmes naturels qui soutiennent la santé humaine.
Conséquences sur les communautés
La population de l’Inde s’élève à 1,14 milliard d’habitants. Près des deux-tiers vivent en-dessous ou juste au-dessus du seuil de pauvreté. Les écosystèmes de l’Inde sont variés : forêts d’arbres à feuilles persistantes dans les Ghâts Occidentaux, au sud-ouest de l’Inde, et dans le Nord-Est ; régions semi-arides du plateau du Deccan, s’étendant de la péninsule au Sud jusqu’aux régions arides de l’Inde occidentale ; terres de haute montagne de l’Himalaya et ses contreforts. L’Inde possède des bassins fluviaux puissants qui drainent vers la Mer d’Arabie et le Golfe du Bengale avec un immense réseau d’estuaires qui recouvre la vaste ligne côtière longue de près de 7.000 km.
Chaque écosystème abrite de vastes populations qui ont pour la plupart un mode de consommation très faible en carbone. Ils dépendent des ressources naturelles (terre, eau, forêts) pour leur survie et leurs moyens d’existence. Ce sont pourtant ces communautés qui feront les frais du changement climatique et de ses conséquences : inondations, sécheresses, désertification, pénurie alimentaire, insectes vecteurs de maladies affectant les récoltes et la santé humaine, etc.
Ces communautés ne sont pas responsables de la pollution par les gaz à effet de serre. Mais elles seront parmi les plus touchées par cette catastrophe potentielle qu’est le changement climatique, et elles sont les plus nombreuses sur la planète. Il est important de les informer sur les changements qui ont lieu, leurs causes, ce qui est fait et leur rôle dans ces processus.
Elles sont aussi capables d’adaptation, ayant souvent vécu à la marge, d’une existence fragile, devant faire face à l’évolution de leurs écosystèmes. Il y a donc aussi beaucoup à apprendre d’elles. Nous devons écouter leur propre compréhension des changements qui ont lieu, leurs mécanismes d’adaptation et tirer les leçons de ces pratiques pour aller vers une croissance et un développement faibles en carbone.
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, India
L’Inde et le changement climatique
Lire le texte original en anglais : India and climate change
Traduction : Valérie FERNANDO
A lire :
« Depleting river basins threaten water security in South Asia », in OneWorld South Asia, 9 février 2009
Suman SAHAI, « How climate change will impact agriculture », in InfoChange, nov 2008
« How Will Climate Change Affect India’s Monsoon Season?", in Science Daily, 12 mars 2007
A. K. Gosain,Sandhya Rao and Debajit Basuray, « Climate change impact assessment on hydrology of Indian river basins », in Current Science, Vol 90, n°3, 10 février 2006
Texto original
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