07 / 2010
Né dans les années 70 et ayant connu un formidable essor dès les années 80, le marché du maxidicompte (détenu surtout en France par les enseignes allemandes Aldi et Lidl, mais aussi par des enseignes françaises comme LeaderPrice) s’est rapidement étendu à l’échelle européenne en offrant la possibilité aux consommateurs d’avoir accès à des produits de base à des prix défiant toute concurrence. Ce succès va malheureusement de pair avec des conditions de travail très difficiles pour les employé(e)s de cette branche, et particulièrement ceux de Lidl. C’est en tout cas ce qu’a dévoilé le syndicat allemand Ver.di dans un « livre noir » publié en 2004 en l’Allemagne, puis mis à jour en 2007, avec des témoignages de toute l’Europe. Sur la base de ces constats, c’est tout un mouvement syndical européen qui s’est construit pour dénoncer ces conditions de travail au sein des magasins Lidl.
L’expansion impressionnante de Lidl
Initialement, le fondateur de Lidl, Dieter Scwartz, fils d’un grossiste en fruits et légumes, a repris le concept d’Aldi créé dix ans auparavant et monté le groupe Scwartz. Il ouvre en 1973 un premier magasin dans le Land de Bade-Wurtemberg. Au fur et à mesure de l’expansion de son entreprise, deux branches d’activités principales se distinguent : les grands magasins et supermarchés comme Kaufland et Handelshof, d’une part, et les discompteurs de produits alimentaires, connus sous le nom de Lidl, d’autre part. Comme la plupart des enseignes de maxidiscompte, Lidl se base sur une réduction des coûts maximale (communication réduite, simplification de la logistique, présentation minimaliste des produits en rayon, référencements uniques, etc.) afin de proposer des produits de sa propre marque à prix très bas, ce qui séduit de nombreux consommateurs. Le géant allemand du maxisicompte n’allouerait qu’entre 4 et 5% de son chiffre d’affaire aux frais de main d’œuvre.
Lidl a poursuivi son développement en Allemagne jusqu’à la fin des années 1980 et s’est attaqué au marché européen au début des années 1990. Aujourd’hui, Lidl compte des filiales dans pratiquement tous les pays d’Europe (23 en 2007), notamment en France, en Espagne et au Royaume-Uni et s’étend rapidement en Europe de l’Est. En France, c’est en 1988 qu’a été implanté le premier magasin Lidl. Fin 2008, Lidl France, dont le siège se trouve à Strasbourg, compte environ 1 400 magasins répartis en 21 directions régionales. Aujourd’hui, Lidl est la première enseigne dans le domaine du hard-discount (ou maxidiscompte) et inaugure encore de nombreux magasins chaque année. Aldi a en parallèle investi le marché français (surtout dans l’Est de la France).
Lidl connait aujourd’hui un léger ralentissement dans son rythme d’expansion qui s’explique par un changement sensible dans son orientation commerciale. Lidl a en effet investi dans un programme de modernisation coûteux (magasins réaménagés, parkings agrandis, présentation plus soignée, etc) et a fait le choix en 2007 de vendre à ses clients, en parallèle des produits de sa propre marque, des produits de marques nationales se rapprochant ainsi des pratiques commerciales des enseignes classiques de la distribution, ce qui brouille son image et son message commercial.
Des conditions de travail alarmantes décrites dans le « Livre noir »
Les méthodes de gestion du personnel de l’enseigne Lidl on été dénoncées en 2004 par le syndicat allemand Ver.di, après une enquête menée pendant près de deux ans par Andreas Hamann et Gudrun Giese, deux anciens salariés, auprès de plus de 100 employés de 250 magasins allemands.
Les nombreux témoignages recueillis montrent les fortes pressions et le rythme de travail très intense, bien souvent sans pause, auxquels sont soumis les employés, en très grande majorité des femmes. Les employés sont tenus de gérer des tâches multiples : tenir la caisse, passer des commandes, stocker, nettoyer, et ce, sous une pression très forte de leur hiérarchie. Les caissières ont par exemple un avertissement lorsqu’elles n’arrivent pas à faire passer 40 articles par minute ou si elles quittent leur poste (ce qui fait qu’elle ne peuvent bien souvent pas aller aux toilettes). Les vigiles, sur ordre de la direction les fouillent régulièrement par crainte de vol. Des caméras vidéo ont par ailleurs été installées pour surveiller les salariés. Enfin, la direction dissuade les salariés d’adhérer à un syndicat, alors que les conditions d’embauche sont rarement favorables aux salariés (contrats précaires, salaires très faibles). Avec la sortie de ce rapport, le syndicat Ver.di a mobilisé de nombreuses organisations allemandes qui ont soutenu dans une large campagne nationale les revendications de Ver.di : l’amélioration des salaires et des conditions de travail.
Des méthodes qui se retrouvent dans toute l’Europe
Un an et demi plus tard, un second « livre noir » a fait la lumière sur des pratiques très similaires dans d’autres pays, de la France aux Pays-Bas, en passant par la Pologne. Le nouveau rapport, paru en 2006, montre que les filiales de Lidl en Europe ont des pratiques différentes en fonction des pays et qu’elles s’adaptent aux législations nationales en matière de droit du travail. Cependant, dès qu’il y a une possibilité légale de revoir à la baisse les conditions de travail, Lidl s’engouffre dans les failles de la législation ou de l’absence de contrôle pour faire pression sur ses employés et assurer ainsi des moindres coûts. Profitant des taux de chômage européens relativement hauts de ces dernières années qui font que les employés n’osent pas faire valoir leurs droits, Lidl a pu donc aisément mettre en place ses règles agressives de gestion du personnel, sans craindre trop de plaintes.
En Pologne par exemple, de nombreuses violations du droit du travail ont été mises en évidence dans ce rapport, notamment en termes de sécurité et de protection de la santé et de durée du travail (le cas d’une personne ayant travaillé 25,5 heures non stop est par exemple évoqué). Même en Suède où les travailleurs sont mieux organisés et l’application du droit plus stricte, et où Lidl a plus de mal à mettre en œuvre ses pratiques habituelles en matière de ressources humaines, les travailleurs parlent d’intimidation et de harcèlement moral.
Tous ces éléments forment une culture de la gestion du personnel qui se met en place donc à la fois en Allemagne et dans les autres pays européens, faisant ainsi pression sur les autres grandes enseignes de la distribution qui finissent par avoir recours aux mêmes pratiques pour ne pas perdre de parts de marché. Ce nouveau rapport montre par ailleurs que les managers des filiales européennes sont aussi soumis à de fortes pressions venant du siège social en Allemagne; or la direction de Lidl à Neckarlsum dément en grande partie sa responsabilité sur ce « système Lidl ».
La mobilisation allemande et européenne contre Lidl
La grande distribution et le maxidiscomte sont en général des « déserts syndicaux ». Si la nature même des contrats concernés dans le secteur (main d’œuvre peu qualifiée et peu informée sur ses droits, contrats précaires à durée déterminée, travail intérimaire) explique en partie cet état de fait, il faut aussi prendre en compte la répression anti-syndicale très présente dans ce secteur et le manque de travail syndical qui y est effectué. Or l’action syndicale semble indispensable pour remettre en question de telles méthodes.
En la matière, les livres noirs publiés par Ver.di n’ont pas seulement inventorié et fait connaître les cas de violations des droits, mais ils ont aussi permis aux employés de Lidl à l’échelle allemande et européenne de se reconnaitre dans une situation et de se mobiliser pour défendre leurs droits.
En France et en Italie, le niveau d’organisation a donné de bons résultats quant à la négociation collective interne et a notamment permis de limiter les problèmes de contrôle incessant des travailleurs. En France, une grève très longue (la plus longue grève de l’histoire de la vente au détail) a permis de remettre en cause des licenciements abusifs « d’employés gênants » et de revoir à la hausse les salaires.
Par ailleurs, le 10 décembre 2007, plusieurs initiatives coordonnées par le syndicat européen UNI Commerce, dont fait partie la CGT-Commerce en France, ont eu lieu en Allemagne, Suisse, Pologne, France et République Tchèque. En s’attaquant à Lidl, Ver.di et l’ensemble des syndicats et autres organisations de la société civile qui relaient son action, dénoncent indirectement les abus de la grande distribution en Allemagne et ailleurs.
Lidl cherche aujourd’hui à se doter d’une image plus valorisante auprès de ses consommateurs et a donc commencé depuis 2007 à vendre des produits issus du commerce équitable, sans pour autant faire d’avancées notables en matière sociale. Cependant sa direction a très récemment annoncé qu’elle se montrait favorable à un salaire minimum, ce qui est sans doute une façon de redorer son image très ternie par les multiples campagnes qui ont été mises en place. Peut-être aussi une ouverture pour que les salariés du maxidiscompte mais aussi de la grande distribution fassent valoir leurs droits et obtiennent une amélioration de leurs conditions de travail.
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, Europa
Grande distribution : des pratiques à dénoncer
Sources
Lidl Wikipedia (accédé en mars 2010): fr.wikipedia.org/wiki/Lidl.
« Mobilisation européenne des Lidl », la CGT ensemble, Janvier 2008, docsite.cgt.fr/1199865746.pdf.
Syndicat ver.di Lidl : www.verdi-blog.de/lidl.
Uni commerce : www.union-network.org.
« Lidl pour un salaire minimum », le Figaro, 17 février 2010: www.lefigaro.fr/flash-actu/2010/02/17/01011-20100217FILWWW00477-lidl-se-prononce-pour-un-salaire-minimum.php.
« Background Information on the Black Book on Lidl in Europe », Ver.di, lidl.verdi.de/schwarz-buch/black_book_on_lidl_in_europe.
« Quelles réponses syndicales face aux pressions des grands distributeurs? » Pages de gauche , février 2006, www.pagesdegauche.ch/pdf/ArtCourrierPdGfev06.pdf.
« Lidl c’est pas cher mais ça se fait sur le dos des salariés », L’Humanité, 14 février 2005, www.humanite.fr/2005-02-14_Politique_-Lidl-c-est-pas-cher-mais-ca-se-fait-sur-le-dos-des-salaries.
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