Les villes allemandes traduisent souvent le concept de ville durable par celui de ville compacte, ou « à courtes distances ».
2001
Les villes allemandes traduisent souvent le concept de ville durable par celui de ville compacte, ou « à courtes distances » (1). Pour se rapprocher de cet objectif, des villes comme Münich ou Hanovre construisent des quartiers denses, limitent l’étalement urbain par une trame verte inconstructible et renforcent le système de transports en mode propre. L’optique est de considérer l’espace comme une ressource rare et de conduire des politiques visant à l’économiser. La densité gagnée grâce à l’usage plus intensif de l’espace urbain permet de limiter les besoins de mobilité, ainsi que la consommation énergétique des villes. Elle génère aussi des économies substantielles de viabilisation et desserte. Le débat sur la ville compacte, plus largement, est constitutif de la plupart des réflexions sur la ville durable.
Aux Pays-Bas, le pourcentage de terres affectées aux logements, aux routes et aux aires de loisirs a doublé entre 1950 et 1990, couvrant 17% du territoire. Pour ce pays à très forte densité, et dans une moindre mesure pour le reste de la dorsale européenne, la ville compacte est d’abord une façon de gérer le territoire national, de préserver l’espace agricole et de prévenir la congestion. La mixité fonctionnelle est également appréhendée sous l’angle de l’intensification de l’utilisation de l’espace, permettant de réduire l’usage de l’automobile (2).
Le principe de la ville compacte, s’il sert la consolidation des villes, peut être source de conflits, voire d’arbitrages difficiles. Amsterdam, par exemple, qui gagne de la population depuis 1995, prévoit de construire 68 500 logements neufs (dont un maximum de 30% d’habitat social) sur la période 1996-2010, soit 20% du stock de logements déjà existant, notamment des grands logements à destination des familles, qui font le plus défaut (3). Pour attirer les classes moyennes, la construction de nouveaux quartiers est planifiée sur les zones et les friches portuaires de l’Ij, à l’Est, ainsi que sur de nouvelles îles artificielles et polders (450 ha en voie de construction). Les premières tranches de travaux prévoient de l’habitat mixte, très diversifié sur un plan architectural, dans un environnement de grande qualité. Mais les sites conquis sur la mer vont transformer l’écologie de la baie, ce qui a déclenché une controverse. La plupart des arrondissements d’Amsterdam se sont prononcés par référendum contre ce programme de construction.
La densité urbaine n’est qu’un des éléments d’une planification « durable », insuffisant en lui-même, comme l’explique Vincent Fouchier (4). Peter Newman a démontré que les faibles densités étaient corrélées à une dépense énergétique élevée et à un usage intense de l’automobile (5). Si une augmentation des densités urbaines est souhaitable dans l’optique d’un développement durable, elle ne peut pourtant suffire à endiguer le trafic automobile. Une planification croisée des activités et des transports en commun est encore requise. La densité est d’autre part perçue et acceptée de manière très différente selon les pays. Les politiques de densification doivent donc tenir compte des héritages culturels.
La compacité urbaine, loin de se limiter à une question de rationalité énergétique, recouvre une multiplicité d’enjeux. Elle n’est pas d’ailleurs défendue ici ou là pour les mêmes raisons. Les politiques européennes y sont en général favorables parce qu’elle correspond à un modèle historique, véhiculant une identité collective. La densité urbaine est un patrimoine que l’on se refuse à abandonner, incarnant une certaine idée de la ville, des espaces publics, un sens de l’urbanité. Il en va différemment dans les pays neufs dotés de formes urbaines étales, qui élaborent des stratégies « d’intensification résidentielle » (6) afin de contenir surtout la longueur des trajets quotidiens et le coût des infrastructures. L’argument de l’effet de serre apparaît également dans les stratégies canadiennes ou australiennes de développement urbain durable. La légitimation des politiques de densification diffère donc d’un pays à un autre, en intensité et en nature. Il faut aussi être capable d’offrir des alternatives d’habitat de qualité en milieu urbain dense, avant de se prononcer pour une ville compacte.
Tiré de : Les villes européennes face au développement durable : une floraison d’initiatives sur fond de désengagement politique
Par Cyria Emelianoff (Groupe de Recherche en Géographie Sociale de l’Université du Maine, ESO, UMR 6590 du CNRS)