2002
Cette partie se concentre sur un cadrage théorique, mais aussi quantitatif et qualitatif de la notion de différence, d’inégalité et de celle de ségrégation, ainsi que de toutes les notions afférentes (exclusion, relégation…), en tant que phénomènes qui semblent mettre en cause « l’égalité » entre citoyens mais aussi entre territoires. Elle met en relief les liens analysés ou perçus entre transports et inégalités, voire ségrégation et exclusion à travers les approches de la mobilité. Elle aborde également les causes les plus couramment avancées et les réponses en matière de planification, du droit et de la recherche d’équité.
Sont analysées ainsi non seulement les « pathologies » du mauvais développement économique et social telles qu’elles sont véhiculées publiquement, mais aussi la naissance d’une « géographie des 3 inégalités », qui va de la « poche de pauvreté » aux territoires-collectivités, en passant par les « quartiers » (de la politique de la ville) et par hétérogénéité. En effet, si la notion d’inégalité est permanente et traverse le temps, elle a laissé la place à « l’exclusion », qui véhicule publiquement un éventail très large de caractéristiques sociales et territoriales. Ainsi un bilan est fait des multiples visages de « l’exclusion » et des principales inégalités existantes qui se traduisent à un moment ou à un autre sur les territoires (micro ou macro). Ainsi les principales inégalités abordées sont celles des salaires et des revenus qui, même si elles donnent l’impression d’une certaine stabilité, se creusent surtout pour ceux qui occupent des emplois précaires (temps partiels non volontaires, etc.). Un regard particulier est aussi porté sur les inégalités nouvelles et croissantes, et au sein des catégories sociales, ainsi que sur les phénomènes de précarité, de pauvreté et de grande pauvreté, qui loin de se concentrer spatialement tendent à se disperser dans les territoires, touchant de manière inégale les personnes.
Cette partie comprend également une analyse qui montre la conception progressive d’une géographie des inégalités, qui passe de la notion de « poche de pauvreté » depuis les années 60 à une géographie prioritaire de la politique de la ville et à une approche des inégalités entre « territoires-collectivités » dans le processus de métropolisation. Ce cadrage permet de relativiser la question des inégalités spatiales vues quasi exclusivement à travers les quartiers de la politique de la ville.
L’ambiguïté avec laquelle est souvent abordée la question de la différenciation sociale et spatiale, les inégalités, l’exclusion, etc. dans les discours locaux et nationaux et dans la planification territoriale, a conduit à aborder de manière plus concrète les concepts et définitions scientifiques de ces termes. Ceci autant pour clarifier les concepts que les réalités qui se décrivent et s’analysent à travers ceux-ci. Ceci a permis d’approcher de manière plus fine comment les termes ségrégation, inégalité, exclusion ont été – et sont encore – très fortement utilisés depuis plus de 30 ans en matière de logement, et relativement peu en matière de transports et de mobilité. En effet, la ségrégation même se définit par rapport au logement et à l’habitat et les constats relatifs à ce phénomène datent des années 70, voire avant.
Aujourd’hui l’accès inégal au logement social et privé, puis la concentration du logement social dans certains territoires explique que l’on puisse parler non seulement de ségrégation mais aussi d’exclusion voire de relégation.
En ce qui concerne les transports et les inégalités (voire la ségrégation et l’exclusion),ce lien est aussi abordé par la recherche depuis les années 70, mais de manière plus marginale que par rapport au logement. La notion d’exclusion, liée à celle d’enclavement des quartiers apparaît au début des années 90 et reste permanente dans le discours. Mais les analyses de cadrage permettent de montrer que, bien que les transports ne soient pas éloignés du processus de ségrégation et des inégalités spatiales, il ne reste pas nécessairement vrai que ces phénomènes puissent être lus quasi exclusivement – comme c’est le cas aujourd’hui – à partir des « quartiers » de la politique de la ville. Les années 90 ont permis de concrétiser un nouveau rôle des transports en commun, par exemple en termes d’intégration urbaine, mais il manque toujours une réflexion plus approfondie en termes d’accessibilité et d’exclusion, voire d’enclavement. Effectivement, les analyses sur la mobilité et sur l’offre en transports en commun ne permettent pas de parler des inégalités territoriales, voire de ségrégation par les transports. Par contre les inégalités peuvent bien se situer au niveaux des coûts subis par les individus et les ménages.
Cette première partie a permis aussi de cadrer les analyses existantes en termes de causes des inégalités et au questionnement, in fine, de l’égalité des droits. En effet, et surtout dans le cadre de la conception, débat et vote de la loi solidarité et renouvellement urbain, un consensus est apparu pour dire qu’une des cause principales des inégalités spatiales, de la ségrégation, de l’exclusion spatiale est la planification territoriale et le déficit, dans le cadre juridique, d’un « droit anti-ségrégatif » efficace.
Il y a aussi bien évidemment la cause principale : la crise ou le ralentissement économique. A celles-ci viennent aussi s’ajouter les marchés fonciers, la rénovation urbaine, etc. La seule cause qui n’est pas abordée de manière constante est celle des contradictions dans les décisions politiques et du manque de politiques publiques locales cohérentes.
Ces questionnements sont assez intéressants car ils mettent en lumière une certaine évaluation négative des lois et des politiques publiques, au regard l’antériorité des mises en garde sur les phénomènes ségrégatifs depuis les années 60-70. En effet, la recherche permanente de l’égalité entre citoyens et entre territoires, moyen pour protéger la société et ses fondements, est mise en cause par 4 les anciennes et nouvelles inégalités sociales et spatiales. Ce souci permanent d’égalité de droits puis d’accès, se lit à travers les nombreuses circulaires, directives, lois etc. qui ont été créées tant pour assurer l’égalité et l’équité par rapport aux revenus (loi concernant le RMI), par rapport au logement (LOV, SRU), concernant l’équilibre et l’équité dans et entre les territoires (LOADT, SRU, …), le droit aux transports (LOTI et SRU). De ce fait, une analyse des différents textes de lois a été réalisée, non seulement pour constater l’évolution des termes, mais aussi l’évolution du traitement et de la réponse légale affirmant « l’égalité de droits » ou « l’égalité d’accès » à la richesse, à l’espace, au logement, aux transports.
Toutes ces analyses réalisées permettent de conclure que les inégalités socio-économiques et spatiales sont réelles, diverses et traversent tous les domaines et échelles territoriales. Mais qu’elles posent des problèmes de mesure et d’observation plus importants, seuls garants pour dépasser une territorialisation simplificatrice de la réalité.
La transition (sans remplacement définitif) de la notion de ségrégation à celle de relégation, en passant par l’exclusion, montre la montée non pas des inégalités mais des difficultés à résoudre le problème de la mise à l’écart de certaines catégories sociales. La ségrégation par le logement est courante ; par rapport aux transports elle l’est moins.
Comment passe-t-on du concept à l’action qui le soutient ? Souvent le concept prime sur la connaissance fine de la réalité qu’il veut décrire et ne parvient pas à objectiver la réalité sur laquelle les politiques publiques doivent agir. Comment alors évaluer les effets des actions préconisées et mises en oeuvre si l’on manque d’objectivation des cibles et des résultats attendus ? En termes de transports, mobilité et inégalités, ce problème se pose. Il y a inégalité dans la distribution des services de transports, et surtout des transports collectifs urbains. Le service public et la notion de service minimum existant dans les territoires pose la question de l’inégalité, de l’inégalité d’accès et de la « justice » minimale. Mais payer plus lorsque l’on habite loin sans l’avoir choisi réellement et sans maîtriser sa trajectoire résidentielle ni sociale ne signifie pas la même chose que lorsque le choix existe et que l’on dispose des moyens pour assumer les effets de ces choix.
La situation des inégalités, mais aussi le développement d’un certain individualisme par rapport aux droits (sans contrepartie de devoirs sociétaux), explique la mise en cause de l’égalité et de la « justice » de manière permanente. Société civile, groupes ou corporations, élus comme individus, questionnent l’égalité des « droits »… Tout discours sur les inégalités et leurs multiples causes est un discours sur la justice : parler d’inégalités, c’est tout d’abord distinguer les inégalités justes des inégalités injustes. La loi a ainsi développé cette réponse de justice par rapport aux inégalités en général, à la ségrégation et à l’exclusion en particulier.
Aujourd’hui, le vocable « ségrégation » est encore sur le devant de la scène et est associé à d’autres syntagmes. Auparavant, l’homogénéité et « l’égalitarisation » sociale, la diminution de l’écart des classes sociales dans l’espace étaient visées, alors que désormais, l’accent est mis sur l’atténuation des fractures sociales et économiques, sur l’apport des moyens permettant l’égalité d’accès.
La ségrégation se complète ainsi d’exclusion… Elle ne se base plus que sur l’opposition riches/pauvres mais plutôt sur celle entre citoyens inclus/exclus. Donc la ségrégation ne marque plus seulement une situation de dominé dans un système économique mais une position d’extériorité dans un système territorial clivé. Là encore on essaye de diffuser les valeurs républicaines en postulant que la proximité physique crée du rapprochement social. Il s’agit de susciter un consensus par des relations de face-à-face entre les personnes dans les lieux urbains afin qu’il en découle un ajustement des comportements.
Toute la question sur la problématique transports, mobilité et inégalités repose sur le fait que les transports infligent des « servitudes » au sens de S. Reichman, et que celles-ci questionnent la liberté et l’égalité. En effet, il existe des inégalités qui affectent l’ensemble de la population résidant sur un territoire, soit dans son accessibilité (relative ou absolue), soit dans la qualité de son environnement. Il y a aussi des inégalités qui ne concernent pas qu’un groupe ou catégorie sociale défavorisée ou 5 captive, mais aussi des personnes dispersées aléatoirement comme dans le cas des jeunes en général.
C’est dans ce cas que l’on fait appel au « droit aux transports ».
Mais se pose alors la question de quel droit « minimal » aux transports, compte tenu de la particularité d’organisation et de financement de ce service public. Se pose ici le problème des critères déterminant non seulement la distribution des investissements publics dans ce secteur des transports, dans les « quartiers » et ailleurs, mais aussi quel minimum social peut-on espérer et satisfaire ? En somme, quel minimum social représente l’engagement de la société, vis-à-vis de chacun de ses membres, de pourvoir un seuil minimal de services et d’équipements indispensables ? » Ce minimum social est difficile à préciser, car il n’existe pas de normes de mobilité.
Qu’est ce qu’une bonne ou mauvaise mobilité ? On ne le sait pas encore y compris pour les personnes sans difficultés financières. Des réponses peuvent être trouvées par le croisement des caractéristiques socio-démographiques et économiques, la situation spatiale, la taille de la ville, le type d’habitat et la qualité du quartier, etc.
Peut-on dans ce sens faire une analyse fine de l’interface transports, mobilité et inégalités ? Au départ la question paraissait simple, mais elle apparaît bien plus complexe comme on a pu le constater dans cette partie. Partie qui a tenté de mettre à plat des idées, des images qui circulent souvent en stigmatisant ou synthétisant trop la réalité. Et de ce fait manquant d’objectivation et condamnant les politiques publiques à des actions trop ciblées, sans effets sur les causes fondamentales des inégalités.
Différences et inégalités territoriales, quel lien avec la mobilité ?
Tiré de la synthèse de recherche du PUCA
« Différences et inégalités territoriales, quel lien avec la mobilité ? Réalités et perceptions vues à travers la planification et les discours d’acteurs dans l’aire urbaine de Lyon »
Février 2002