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Fondements de la démocratie participative

L’intervention des habitants et des citoyens dans le champ de la décision politique est l’une des questions qui pose le plus de problèmes pour la gouvernance urbaine, et, plus généralement, pour l’action politique dans les sociétés démocratiques.

Simon Wühl

2009

L’intervention des habitants et des citoyens dans le champ de la décision politique est l’une des questions qui pose le plus de problèmes pour la gouvernance urbaine, et, plus généralement, pour l’action politique dans les sociétés démocratiques. D’une part, en effet, cette idée fait l’objet d’un large consensus apparent, y compris parmi les détenteurs officiels des pouvoirs locaux et nationaux ; mais, d’autre part, elle se heurte à la seule légitimité de la démocratie représentative qui délègue la décision et l’action politique à tous les niveaux, à des représentants sélectionnés par des élections périodiques.

Par ailleurs, un nombre grandissant d’initiatives participatives ambitieuses à l’échelle internationale, dans le domaine de la gouvernance urbaine notamment, atteste l’existence d’une certaine pérennité de cette forme d’approfondissement de la problématique démocratique. S’agit-il d’un mouvement de fond, appelé à jouer un rôle plus central au sein de la décision et de l’action politique ? Ou d’initiatives périphériques qui ne peuvent être que des correctifs face aux défaillances de la démocratie représentative dotée du monopole de la légitimité ?

L’objet de cette note est montrer que, loin d’être éphémère, l’idéal participatif se fonde sur un faisceau de références intellectuelles particulièrement puissantes et influentes, qui fondent chacune et consolident ensemble une autre légitimité, aux côtés de la démocratie représentative et ses limites.

Les références fondatrices de la démocratie participative présentées dans cet article sont les suivantes :

La référence grecque originaire, réactualisée par la philosophe Hannah Arendt, qui fait de la participation directe à la vie et à l’action politique un attribut essentiel de la citoyenneté. Quels sont les enseignements de cette vision des Anciens pour les sociétés contemporaines beaucoup plus vastes et complexes que l’Agora athénienne ?

La référence marxiste, qui, d’une part, présente le contrôle ouvrier permanent comme la forme authentique de la démocratie, et, d’autre part, se fonde sur le ressort de la lutte des classes pour établir des rapports de force favorables aux avancées sociales et démocratiques. Quelles sont, sur le plan de la gouvernance urbaine notamment, les potentialités et les limites d’une approche à forte charge conflictuelle – qui a généré historiquement une grande partie des progrès sociaux en France -, dans un contexte fortement marqué par une hétérogénéité d’intérêts entre les groupes sociaux beaucoup plus forte que dans l’entreprise ?

Les imperfections de la démocratie représentative, sont décrites par de nombreux auteurs, comme le philosophe Bernard Manin : désignation de représentants supposés supérieurs aux autres, au sein d’un corps restreint ; indépendance conférée à ces représentants entre deux élections ; liberté laissée aux gouvernants quant au respect des engagements pris, etc. D’où la nécessité d’une présence vigilante des citoyens afin d’éviter que les gouvernants et les décideurs soient « abandonnés à leur propre faiblesse et cèdent aux tentations de l’arbitraire » (Pierre Mendès France, 1962).

La crise institutionnelle de la sociale-démocratie (Etat providence), régime de démocratie sociale pourtant le plus avancé, a été mise en évidence par le sociologue allemand Jürgen Habermas. Face à la difficulté de ces démocraties institutionnalisées et bureaucratisées (Allemagne, France, pays nordiques, etc.), à intégrer les aspirations en évolution permanente issues du « monde vécu », Habermas propose une nouvelle conception de la pratique politique pour limiter le caractère hégémonique des bureaucraties institutionnelles : la démocratie délibérative. A la différence des pratiques connues de démocratie participative qui se proposent de faire participer les usagers à la prise de décision et même à la gestion de certains programmes, la démocratie délibérative se centre sur les conditions permettant d’associer le plus possible les citoyens, en amont, à la préparation et à l’orientation des choix politiques, et en aval, à l’évaluation des effets constatés au regard des finalités avancées : procédures permettant l’ouverture des discussions aux citoyens, la transparence des débats, le respect de la qualité de l’argumentation, etc. De nombreuses initiatives inspirées par la démocratie délibérative sont prises depuis une vingtaine d’années dans les domaines de la gouvernance urbaine, de l’environnement, des grands projets d’infrastructure ou des nouvelles technologies : les Commissions nationales pour le débat public (au Québec et en France), les Conférences de consensus et les Jurys citoyens (en Allemagne et dans les pays nordiques), les opérations participatives associant dans la durée des experts et des usagers, certains forums Internet faisant l’objet d’une régulation rigoureuse, etc.

Démocratie participative/délibérative et justice sociale : pour un certain nombre d’auteurs comme Michael Walzer, Nancy Fraser ou Axel Honneth, le pouvoir politique est un « bien social » qui a une grande valeur en soi, ce qui justifie qu ‘il soit réparti de façon juste, au même titre que les « biens » qui relèvent de la sphère socio-économique (positions sociales et biens matériels). Dans cette optique, la participation à l’action politique, au-delà de son rôle purement instrumental au service de la justice distributive socio-économique notamment, est un impératif de justice sociale qui ne peut se concevoir dans le contexte restreint de la démocratie représentative. La réponse à une telle perspective de justice, élargie à la répartition des pouvoirs politiques, ne peut s’envisager que dans le cadre de procédures démocratiques de type participatif ou délibératif, qui permettent à chacun de s’inscrire dans un processus politique s’il le souhaite.

Démocratie participative/délibérative et évolution des sociétés modernes devenues plus hétérogènes, d’une part, et réflexives, d’autre part.

Sur le plan de l’hétérogénéité, les corps sociaux de ces sociétés sont divisés face aux conditions de l’intégration économique (statuts sociaux plus ou moins garantis), aux choix des aspirations à satisfaire, aux références pluri-culturelles. L’obtention de compromis stabilisés incite donc à encourager des formes directes d’intervention des citoyens sur des questions qui les concernent de près.

Les potentialités en matière de citoyenneté active sont d’ailleurs favorisées par des évolutions sociales dans le sens d’une plus grande réflexivité des populations, une plus grande capacité à analyser, critiquer et intervenir dans les choix politiques en intégrant les exigences d’intérêt général. Cette généralisation des compétences de réflexivité s’avère d’autant plus utile à prendre en compte que les savoirs des experts sont de plus en plus incertains.

Enfin, les possibilités d’usage des technologies électroniques dans le champ du débat politique, démultiplie les possibilités de développement des processus de démocratie participative et délibérative.

En conclusion, la force de ces fondements historiques en faveur d’une citoyenneté active en prise sur l’agir politique s’exerce encore aujourd’hui, avec un renouvellement des raisons et des formes de la dynamique participative. Cependant, certaines questions demandent à être clarifiées pour développer des avancées de plus grande ampleur dans ce domaine, notamment :

. Sur la place de la démocratie délibérative, centrée moins sur la participation directe à la prise de décision, que sur la qualité et l’étendue des délibérations préparatoires, d’une part, et sur l’évaluation participative de ses effets, d’autre part..

. Sur le rôle attribué à la démarche conflictuelle, entre un objectif de contribution à une transformation sociale radicale, d’une part, et celui du rétablissement d’une plus grande égalité de position entre les acteurs sociaux engagés dans un processus participatif, d’autre part.

. Sur la conception de la justice sociale qui préside à la démarche participative, entre la correction nécessaire des inégalités socio-économiques, d’une part, et la participation politique considérée comme une valeur en soi, qui appelle une juste répartition entre les citoyens, d’autre part.

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