Dans ses recherches portant sur des pays d’Afrique Australe, Sylvi Jaglin pose la question du lien entre services urbains et cohésion sociale au sein de sociétés ségréguées, et fortement inégalitaires.
2010
Cette fiche approfondit le sujet de la cohésion sociale à partir d’un article publié par Sylvi Jaglin sur l’évolution de la gestion des services urbains en Afrique Australe. Alors que selon les discours dominants, les services urbains participent à une nouvelle cohésion sociale, l’auteure montre que la nouvelle gestion libérale des services urbains liée au processus de décentralisation provoquent un risque de fragmentation sociale et spatiale.
Dans ses recherches portant sur des pays d’Afrique Australe, Sylvi Jaglin pose la question du lien entre services urbains et cohésion sociale au sein de sociétés ségréguées, et fortement inégalitaires. Les villes d’Afrique Australe ont d’une part, hérité de la ségrégation léguée par les États d’apartheid, qui se sont construits sur une logique de séparation et de distribution inégalitaire des droits et des ressources, et d’autre part, ont été soumises aux conséquences de la globalisation néolibérale qui aggravent la polarisation sociale. Les travaux de Sylvi Jaglin montrent le rôle des services urbains dans le verrouillage des sociétés urbaines ségréguées d’Afrique Australe. Pendant les États d’apartheid, la distribution d’eau et d’électricité pouvait être fonction du statut résidentiel, et des surtaxes pouvaient affecter les ménages de certaines townships noires. Le délitement des sociétés urbaines du à la fragilisation de l’économie industrielle et la montée des mouvements citadins, a provoqué une nécessaire redéfinition des services urbains à partir des principes d’égalité raciale et d’équité. Dès lors, les politiques urbaines post-apartheid en Namibie et en Afrique du Sud se sont orientées vers l’unification et l’intégration à travers un ré-échelonnement administratif et une recherche d’uniformisation du principe de fonctionnement des unités territoriales ; en Zambie, les politiques post-apartheid se sont affirmées à travers la décentralisation et l’intégration des quartiers illégaux. à la ville.
L’arrivée de néo ruraux et la dégradation de l’accès à l’emploi liée aux difficultés économiques ont eu pour conséquence une importante croissance urbaine à la périphérie des villes, où se sont concentrées les situations de pauvreté. Sylvi Jaglin montre comment la diversité des situations de pauvreté ont brouillé les schémas traditionnels de répartition et localisation dans les villes, discréditant d’une part les mécanismes de redistribution et développant d’autre part les comportements d’évitement et de désolidarisation ainsi que des micro-différenciations volontaires multipliant les oppositions au sein des populations pauvres. L’ensemble du fonctionnement des services urbains, l’offre, les outils de pilotage, le financement, s’est révélé inadapté à ces nouvelles situations, ce qui a pu provoqué leurs détériorations ainsi que la volonté de réformer leurs fonctionnements à travers des réformes qui revêtent deux caractéristiques : la première est une redéfinition de l’engagement des pouvoirs publics sous deux formes principales : la commercialisation (transformation d’une administration publique en société de droit privé à capitaux publics) et la délégation à un partenaire privé (collectif ou individuel, à vocation commerciale ou non lucrative). La seconde caractéristique est qu’en marge de ces privatisations « classiques » ont été réalisées des privatisations « restreintes » : délégations officielles, encadrées par un contrat écrit, concernant seulement un des segments de la chaîne d’un service ou une portion du territoire ; délégations informelles et privatisations artisanales.
La gestion des services urbains en Afrique Australe paraît s’éloigner progressivement de l’objectif de cohésion sociale D’une manière générale les privatisations des services urbains n’ont pas apporté de solution à l’accès des pauvres aux services. Dès lors, la solvabilisation des citadins les plus démunis devient généralement la condition principale de la desserte. De plus les institutions gestionnaires ont progressivement développé des stratégies restrictives quand à l’accès des pauvres aux services. Sylvi Jaglin y voit trois principes : une spécification territoriales des enclaves de desserte, une autonomisation / diversification des filières de desserte et une mobilisation / participation des usagers. Dans l’ensemble ces transformations dans la gestion des services remettent en cause les mécanismes de transfert et abandonnent des segments de services urbains à des pouvoirs locaux informels. Elles ont aussi pour conséquences l’accentuation de compétition intra et inter-communautaire pour l’accès au ressource et provoquent des risques de fragmentation urbaine. Face à ces constats, l’auteur conclue que seuls les pouvoirs publics peuvent créer des mécanismes pour une plus grande cohésion sociale notamment à travers des dispositifs de régulations sociales qui vont à l’encontre de la fragmentation spatiale.
Comment lutter contre l’exclusion ?
Pour approfondir :
Vidéo, colloque, Gouvernance pour le développement au 21ième siècle : vue d’Afrique et d’Amérique latine, Thème 2 : Efficacité des services publics et accessibilité aux plus démunis; www.cerium.ca/spip.php?page=video_index&id_article=1592&id_document=1304
PRUD, Décentralisation et gouvernance urbaine en Afrique subsaharienne : Afrique du Sud (Johannesburg, Le Cap), Ethiopie (Addis Abeba), Nigeria (Lagos, Ibadan), Tanzanie (Dar es-Salaam), Alain Dubresson, Sylvy Jaglin, Claire Bénit, Peter Wilkinson, Solène de Poix, Valérie Messer, Alphonce Kyessi, Laurent Fourchard, Ayodeji Okuloju, Isaac Olawale, Léa Kalaora, Maïlys Capet, Stéphanie Bellis, Marie Plancq, Anne Bousquet Géotropiques, Université Paris X Nanterre, France Voir le rapport final (PDF: 1,35 Mo, 237 p., français)
Dubresson A., Jaglin S., Le Cap après l’apartheid, Karthala, 2008,
Les auteurs de cet ouvrage sont des universitaires français et sud-africains. Leurs contributions visent à comprendre comment les différentes équipes de gestion de la ville du Cap se sont efforcées de gérer simultanément la stratégie de croissance de la ville et la lutte contre la pauvreté. Le livre contribue au débat sur les formes spécifiques d’articulation entre métropolisation et mondialisation dans les pays émergents.
Sylvi Jaglin dans Flux, année 1998, volume 14, numéro 31, p69-82
Photo, Kelsey Toner, Un homme puise de l’eau, sous licence creative commons