Au cours des années 90 un nouveau champ d’action publique dans la mise en œuvre du droit au logement s’est progressivement structuré
2010
Au cours des années 90 un nouveau champ d’action publique dans la mise en œuvre du droit au logement s’est progressivement structuré : il regroupe des collectivités locales, des opérateurs du logement social, et des associations qui agissent en direction du logement des défavorisés. Le cadre législatif de l’insertion par le logement est posé par la loi Besson de 1990, confortée par la loi de lutte contre les exclusions de juillet 1998, malgré quelques inflexions introduites par le gouvernement conservateur entre 1993 et 1995. Ce domaine d’action publique s’est construit à l’intersection entre l’habitat et le social. Dans cette fiche, nous proposons un rapide aperçu de l’émergence de l’insertion par le logement, puis nous dégageons la principale caractéristique des acteurs de l’insertion par le logement : leur position de tiers-médiateur. Enfin, nous ouvrons sur la nécessité de développer une nouvelle approche méthodologique de la connaissance pour dépasser les contradictions liées à la médiation sociale.
L’insertion par le logement s’est imposée à la suite de diagnostics réalisés à la fin des années 80 qui ont permis de montrer l’insuffisance des politiques publiques pour combattre les situations d’exclusions dans le domaine du logement et du non respect du droit au logement . Dans un premier temps, des expérimentations locales ont été réalisées par des associations avant d’être reconnues et soutenues par les autorités locales. Les domaines d’interventions des associations d’insertion par le logement sont très divers : la connaissance des populations en difficulté, l’hébergement, le logement temporaire ou définitif et l’accompagnement social. Selon René Ballain : « il s’agit d’un milieu complexe et hétérogène qui se distingue par la diversité des finalités, des positionnements et des savoirs-faire des associations qui le constituent. » En effet, ce milieu est composé de plusieurs centaines d’associations, souvent regroupées au sein de fédérations (FAPIL, Pact Arim…) avec des cultures d’intervention différentes, allant des techniciens de l’urbain aux professionnels de l’action sociale. La grande hétérogénéité des pratiques a parfois contribué au manque de visibilité du secteur de l’insertion par le logement, mais René Ballain remarque que cela a surtout permis un élargissement et un repositionnement d’ acteurs existants.
Catherine Bourgeois propose une catégorisation des associations dans le logement des personnes défavorisées à partir de leurs fonctions : la médiation sociale, qui se réfère à toutes les interventions d’un tiers dans le rapport entre le propriétaire et le locataire, la maîtrise d’ouvrage, à propos de la production associative de logements au profit des personnes défavorisées, et la gestion d’équipements tel que les centres d’accueil ou d’hébergement. Pour René Ballain, les associations d’insertion par le logement sont principalement caractérisées par leurs positions d’intermédiaire entre l’offre et la demande. En effet, d’une part, certaines associations spécialisées sur les questions urbaines ont investi le champ de la production de logement ou de la gestion locative à travers plusieurs dispositifs publics : maîtrise d’ouvrage d’opérations financées en PLA-I, mobilisation de logements privés dans le cadre de programmes sociaux thématiques, mise en œuvre de baux à réhabilitation, maîtrise d’œuvre urbaine et social (MOUS). D’autre part, des associations mettent en œuvre une approche centrée sur l’accompagnement social à travers des dispositifs comme l’accompagnement social lié au logement (ASLL), l’attribution des allocations logement temporaire (AL), aide à la médiation locative (AML), accueil et hébergement des personnes en difficulté. Comme nous allons le voir, la médiation est au cœur des transformations opérées par l’insertion par le logement.
Selon une définition couramment admise, la médiation définit la mise en relation par un tiers appelé « médiateur » de deux personnes physiques ou morales, en vue de l’établissement ou du rétablissement d’une relation sociale. La médiation sociale s’est très largement développée au cours des 15 dernières années. Elle est envisagée comme une réponse au délitement du lien social et aux déclins des modes traditionnels de régulation sociale. Appliquée au champ du logement des défavorisés, la médiation locative a pour objectif de favoriser l’accueil ou le maintien dans le logement de familles ayant des difficultés particulières par l’intermédiaire de différents dispositifs. Mais Catherine Bourgeois observe les limites du tiers-médiateur : «à la fois demandeur de logements locatifs et pourvoyeur de candidatures sécurisées, mais aussi travailleur social dans ses fonctions d’accompagnement et garant du risque locatif… Cette diversité lui confère des responsabilités qui dépassent quelque peu le rôle d’intermédiaire « neutre » et « facilitateur » d’une relation entre deux acteurs selon la définition classique de la médiation». Elisabeth Maurel montre également les risques liées à la généralisation des filières médiatisées d’accès au logement pour les personnes défavorisées qui transforme la relation locative, en une relation triangulée : « Ce déplacement des obligations locatives peut marquer une rupture dans la protection sociale, où l’accompagnement social peut devenir la condition du droit au logement ».
Comme le remarque l’AITEC, il est indéniable que la politique en faveur du logement des défavorisés a introduit de nouvelles pratiques où les associations jouent un rôle d’expérimentation et d’innovation et ont acquis une légitimité par leur proximité avec les habitants. Pour autant les associations ne sont pas en mesure de garantir le droit au logement. Elles ne peuvent pas suppléer à la défaillance publique et interviennent par défaut de la puissance publique. Dans les faits, les habitants et les associations ne sont toujours pas reconnus comme partenaires de la politique du logement et de l’aménagement et ont les plus grandes difficultés à siéger dans les instances de décision.
Dès lors, il s’agit de réfléchir à une posture professionnelle renouvelée pour les acteurs de l’insertion par le logement. Les limites de la médiation sociale ne sont pas exclusive au domaine de la lutte contre l’exclusion par le logement mais traversent l’ensemble des acteurs de l’action sociale. Le dépassement de ces contradictions peut s’effectuer par une démarche qui s’appuie sur la connaissance. Comme le remarque Gustave Massiah dans un article consacré aux associations et l’accès à l’habitat : « les associations ont développé une nouvelle approche méthodologique de la connaissance, des rapports entre connaissance et demande et entre connaissance et action». En effet, les associations produisent une connaissance partagée de la demande, notamment à partir d’une approche collective qui permet de dépasser l’individuation : « la connaissance associative de la demande se veut une démarche partagée et une démarche qui privilégie l’écoute dans l’observation».Gustave Massiah précise : « les rapports entre la connaissance et l’action ne sont pas séparables de la connaissance de la demande. La volonté affirmée à priori, est de connaître pour comprendre et de comprendre pour transformer. (…) L’attention portée à la dignité de la personne est fondée sur l’expression d’une volonté, celle qui est affirmée par les premiers intéressés de se considérer comme des sujets et les acteurs de leur devenir, de gagner leur autonomie. Cette démarche permet d’apercevoir les sorties possibles. La prise de conscience de l’existence de sorties possibles ouvre de nouvelles perspectives dans l’analyse des demandes. La prise en compte des finalités dans l’évaluation des situations permet de valoriser les situations. Une question est d’autant plus pertinente qu’elle sert à résoudre un problème».
Nous renvoyons à l’expérience de l’observatoire associatif du logement à Grenoble qui montre les possibilités de cette nouvelle approche méthodologique de la connaissance développée par les opérateurs de la lutte contre l’exclusion par le logement.
Pour approfondir :
A l’AITEC, plusieurs fiches ont été produites sur l’insertion par le logement dans le cadre du programme d’échange franco-brésilien : Le mouvement social et la lutte pour le logement populaire en France et au Brésil notamment réalisé par François Legris du Pact Arim de Lille et Lilia Santana de l’AITEC. La fiche intitulée « L’Observatoire associatif du logement » (base.d-p-h.info/fr/fiches/dph/fiche-dph-6616.html ) nous intéresse plus particulièrement. En 1998, un atelier au Congrès de la FAPIL a porté sur les associations et l’approche méthodologique de la connaissance.
Ballain René, Avec l’insertion par le logement de nouvelles figures d’associations, Annales de la recherche urbaine, n°89, Le foisonnement associatif
Maurel Elisabeth, Ballain René, Le logement très social, Extension ou fragilisation du droit au logement ?, PUCA / editions de l’Aube
Bourgeois C., Les processus d’intermédiation entre les organismes HLM et les associatiosn, Paris : Centre de recherche sur l’habitat, 2004
Bourgeois, La médiations, acteur et pratiques, in Ballain et Benguigui F. (dir), Mettre en œuvre le droit au logement, Paris, la documentation française, 2004
Massiah Gustave et Tribillon JF, LES ASSOCIATIONS ET L’ACCES A L’HABITAT,