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Le débat sur l’exclusion urbaine en France

L’analyse de Jacques Donzelot identifie trois moments clefs, qu’il rapproche à chaque reprise à un événement marquant de la vie sociale et politique française.

David Bodinier

2010

La question de l’exclusion a émergé au début des années 90, devenant peu à peu un élément central dans le débat public. En France, ce débat a eu la particularité de progressivement rejoindre des réflexions sur la dimension urbaine de l’exclusion. Jacques Donzelot a formulé l’interrogation en ces termes : « cette dimension urbaine est-elle la simple conséquence spatiale d’une transformation des relations du travail ou bien a-t-elle une existence propre appelant une politique substantiellement nouvelle?». Pour retracer l’émergence du débat sur l’exclusion en France, nous reprenons l’analyse de Jacques Donzelot qui identifie trois moments clefs, qu’il rapproche à chaque reprise à un événement marquant de la vie sociale et politique.

Tout d’abord, au début des années 90, le sociologue Alain Touraine publie, dans la revue Esprit, un article intitulé « Face à l’exclusion » où il défend l’hypothèse de la transformation d’une société pyramidale, aux relations hiérarchisées réparties entre le « haut » (up) et le « bas » (down), à une société réticulaire où les relations s’établissent entre ceux qui se trouvent à l’intérieur du réseau (in) et ceux qui ne sont pas connectés (out). Comme l’écrit cet auteur : « le propre d’une société libérale, dans la mesure où elle est ouverte, est que ceux qui n’entrent pas deviennent inassimilables. Il est plus difficile d’entrer ou de rentrer dans une société libérale que dans une société fortement hiérarchisée. (…) Aujourd’hui vous êtes très clairement in or out; parce que si vous avez un handicap (chômage, manque d’argent, manque d’instruction ou manque de relations, les trois choses fondamentales) vous avez probablement d’autres handicaps, et comme le peloton va de plus en plus vite, vous ne le rattraperez pas ». Selon Jacques Donzelot, les émeutes de l’été 1991 dans plusieurs banlieues françaises seraient venues confirmer l’article d’Alain Tourraine : en effet, une partie de la population des banlieues a été associée à une population d’exclus à la marge de la société intégrée.

Cette hypothèse du partage entre in et out a été réfuté par Robert Castel en 1995 qui considère qu’il n’y a pas coupure entre exclus et inclus mais une continuité dans un processus de précarisation de la condition salariale. Pour cet auteur, le problème est de nature économique et sociale, causé par la décomposition de la société salariale érigée depuis la fin du XIXème siècle : «  ce mouvement de précarisation n’épargnerait pas plus les inclus que les exclus et ceux-ci seraient seulement à l’extrémité d’un processus parti du centre et marginalisant progressivement les catégories les plus fragile ». Cette analyse se situe dans le prolongement de la question sociale, mais n’aurait pas de dimension spécifiquement spatiale sinon le fait de la concentration de pauvreté dans les nouveaux quartiers ouvriers. Robert Castel distingue trois zones de l’espace social: la zone d’intégration qui signifie que l’on dispose des garanties d’un travail permanent et des relations sociales stables, la zone de vulnérabilité qui associe précarité du travail et fragilité relationnelle, et la zone de désafilliation qui conjugue le chômage et isolement social. Le mouvement social de 1995 est venu confirmer cette analyse, issu de la fonction publique, il a fait écho à une préoccupation plus large de la population face à la remise en cause du salariat.

A la fin des années 90, le débat sur l’exclusion a été prolongé par les recherches de Jacques Donzelot et Marie-Christine Jaillet sur les dimensions spatiales de l’exclusion. Ces travaux s’inscrivent dans la continuité de l’analyse de Robert Castel, ainsi que du débat sur le modèle centre-périphérie : « un mouvement provoquant l’exclusion s’ajoute à celui qui part du centre vers la périphérie. Il s’agit d’un mouvement en sens inverse conduit par ceux qui partent de la périphérie pour fuir la promiscuité avec ceux qui s’y trouvent relégués ». Ce départ des périphéries se fait notamment pour des préoccupations de sécurité, de qualité et de scolarisation des enfants.

Ainsi, ce double mouvement produit une barrière, une séparation entre des cités excentrées ou enclavées où se trouvent confinées les populations pauvres et les quartiers moins « marqués ». Plusieurs ouvrages de Jacques Donzelot ont prolongé cette analyse. L’auteur observe que la ville se défait car elle perd sa capacité à « faire société ». Il analyse trois tendances qui reflètent la logique de séparation dans l’espace urbain : la relégation, la périurbanisation et la gentrification. D’une part, les minorités et des populations les plus pauvres sont reléguées dans un « entre soi contraint » car elles n’ont pas accès à un logement dans le parc privé ou dans le logement social supérieur. D’autre part, les classes moyennes et intermédiaires ont quitté les grands ensembles dès les années 70 pour accéder à la propriété dans des zones périurbaines leurs garantissant un « entre soi protecteur ». Enfin, les centres anciens ont été réinvestit par une population désirant un accès privilégié aux aménités urbaines des espaces centraux malgré le prix dissuasif des loyers, créant de fait « un entre soi sélectif et électif »   provoquant un processus de gentrification. Ainsi, Jacques Donzelot observe « une ville à trois vitesses » dont les populations s’ignorent et se tournent le dos. Il oppose cette image aux deux pôles antagoniques de la ville industrielle unis par une relation conflictuelle sur le lieu de travail et par la promotion sociale individuelle. Face à cette situation, il propose d’apporter une solution aux classes moyennes pour que la ville puisse à nouveau « faire société ».

dosier

Entre l’Etat, le marché et les habitants, quel avenir pour le logement en France ?

Le débat sur l’exclusion

Le logement en France

Fuente

Donzelot Jacques, Quand la ville se défait, Points, 2008

Donzelot Jacques, l’exclusion urbaine : refaire la ville sur place ou remettre les gens en mouvement », texte communiqué à partir de la rencontre débat du 9 octobre 2003 organisée par le centre de ressources politiques de la ville.

www.crpve91.fr/07-capitalisation/pdf/actes/ActesRenc/Renc2003/Renc1E.pdf

R. Castel. Les métamorphoses de la question sociale. Fayard, 1995.

Touraine Alain, Face à l’exclusion », in Citoyenneté et Urbanité, Paris, 1991, Éditions Esprit, pp. 166, 171 et 173.

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