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« Il y a un manque d’intérêt pour les bibliothèques et pour l’éducation en Afrique »

Julien BRYGO

09 / 2009

Fils de couturier-homme d’affaires de Dakar et d’une couturière à la maison, titulaire de plusieurs diplômes en gestion-comptabilité, en gestion des ressources humaines et en gestion de coopératives d’épargne et de crédit, Abdoulaye NDiaye, 42 ans, est « chargé des relations extérieures » de la bibliothèque communautaire Ousmane Sembène de Yoff (Sénégal), laquelle ne reçoit aucune subvention et fonctionne à 100% sur la base du bénévolat. Rencontre.

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Quelle est l’histoire de la bibliothèque communautaire de Yoff ?

« En général, les bibliothèques sont créées par l’État ou les mairies. Cette fois-ci, ce sont les populations elles-mêmes qui se sont levées et ont décidé la création d’une bibliothèque. Face aux difficultés des élèves et des étudiants - le niveau scolaire est très bas -, qui n’avaient pas de bibliothèque autour de Yoff - il leur fallait faire beaucoup de kilomètres -, on a donc décidé de créer une bibliothèque. Le projet a démarré en 1987, mais la bibliothèque a ouvert officiellement en 1992. Nous avons 12 000 ouvrages actuellement. On a réussi essentiellement le renouvellement de l’équipe, car ce projet est perçu par les habitants comme un projet à soutenir : il s’agit d’instruire et de cultiver les Yoffois. »

Comment parvenez-vous à doter la bibliothèque d’ouvrages ?

« Mon rôle est d’aller chercher des fonds, de profiter de mes relations, pour en faire profiter la bibliothèque. Je cherche des gens qui sont de passage à Dakar et qui sont capables d’acheminer des livres, pour les offrir à la bibliothèque. Quand on doit aller dans les ambassades demander des livres, c’est moi qui le fais. La plupart des ouvrages viennent d’Occident : il ne faut pas oublier que la plupart des maisons d’édition sont là-bas. Au début, on a beaucoup travaillé avec les ressortissants yoffois en France, qui nous ramenaient beaucoup de livres. À l’époque, on prenait tout, même les livres en français qui ne collaient pas avec nos programmes. Maintenant, on commence à être plus sélectifs. Par exemple, on ne veut plus recevoir les manuels scolaires des écoles primaires de France, car le primaire au Sénégal et le primaire en France, ce n’est plus la même chose. Les livres de terminale par contre, ils nous intéressent, car les programmes sont similaires. Ceux-là, on en a besoin. Mais la bibliothèque n’est pas seulement destinée aux écoliers ou aux gens qui parlent français : on a des romans en plusieurs langues, anglais, espagnol, allemand, arabe… L’ambassade des États-Unis nous a donné des livres de gestion et d’informatique en arabe par exemple. »

Comment fonctionne une bibliothèque communautaire ?

« On compte sur le bénévolat des élèves. Nous ouvrons les jours où ces élèves n’ont pas d’école. Les élèves deviennent donc bibliothécaires, trois jours par semaine. On peut recevoir 150 personnes en trois jours. On a trois salles : c’est trop petit par rapport à nos ambitions. Beaucoup de livres sont dans des cartons, ce qui ne veut pas dire qu’on a assez de livres par rapport à nos besoins. Les livres que l’on n’utilise pas, on les donne à d’autres associations pour aider à la création d’autres bibliothèques communautaires dans la région. (…) Dans le pays de Senghor, l’amour des livres et de la culture n’a pas perduré après sa mort. Les politiciens, eux, investissent dans les initiatives qui peuvent leur apporter des électeurs, telle est la logique. Ils viennent s’il y a du monde autour. Ils minimisent l’importance des livres et de la culture, et des bibliothèques comme les autres : les responsables politiques nous ignorent et nous minimisent. Beaucoup de politiciens eux-mêmes n’ont pas fait d’études poussées et certains sont analphabètes. D’où le désintérêt pour les bibliothèques. »

Qui finance votre projet et quels sont vos partenaires ?

« Nous avons un partenariat avec une bibliothèque aux États-Unis, mais avec la crise, depuis plusieurs années, ils ne nous envoient plus de livre ni d’argent ! Ils faisaient des collectes de fonds pour notre bibliothèque, mais tout cela est fini depuis 4 ans. Nos financements viennent uniquement d’organisations locales assez modestes. La municipalité n’a jamais versé une seule subvention, en trois maires successifs, alors que ce sont les enfants de ces maires qui viennent prendre des livres chez nous ! C’est un manque d’intérêt pour l’éducation, pour les choses culturelles. La mutuelle donne 100 000 francs CFA par an. Les cotisations des membres sont de 500 Francs CFA par lecteur actif (moins d’1 €). Avec les cas sociaux, il y a moyen de s’arranger, car on n’est pas une organisation commerciale. Avec régularité, on peut dire qu’aucun organisme ne nous subventionne. Auparavant, on avait une collaboration avec une association. Le partenariat est rompu depuis longtemps, car elle a été créé sous nos yeux et on n’était pas d’accord avec le mode de fonctionnement qu’ils ont utilisé pour se créer, en se substituant à nous. »

Que s’est-il passé ?

« Auparavant, en 1987, on travaillait avec l’Association des ressortissants Yoffois en France (ARYF). C’est ce qui nous permettait d’obtenir des livres au départ. Entre 1987 et 1989, des Français se sont greffés à l’association, et petit à petit ils sont devenus nos interlocuteurs en France, en nous permettant de faire venir des livres par l’intermédiaire de Français qui venaient en vacances à Yoff par exemple. Ils ont créé une autre association pour prendre le relais de l’ARYF et ont mis dans leurs actifs tout ce qu’on avait réalisé avec la bibliothèque et ils ont pris à leur compte tout ce qu’on avait fait ici au Sénégal, alors que cette association venait de naître. C’était parfaitement injuste. Ils disaient qu’on avait pas besoin d’informatique, et nous disaient comment gérer les livres, en plus du fait qu’ils nous disaient qu’en fait, les livres étaient leur propriété et qu’ils avaient un droit de regard sur le fonctionnement de la bibliothèque et que s’ils voulaient, ils pouvaient reprendre les livres… On ne peut pas être à 6000 kilomètres et décider à notre place ! Par exemple, même quand ils venaient, on ne changeait pas nos méthodes ; par exemple, ce n’est pas parce qu’on sait qu’ils doivent venir qu’on doit nettoyer et faire comme si tout était beau ; au contraire, on a envie de montrer les choses comme elles sont. Ils nous intimaient de nettoyer avant qu’ils arrivent, c’est infantilisant ! Ils ne comprennent pas notre mentalité, ils pensent que nous sommes des enfants qui ont besoin d’une cravache et d’être frappés pour avancer, alors que nous, on veut la liberté pour avoir notre autonomie : c’est surtout ça notre problème. C’est une question de respect. »

Comment l’Internet intervient-il dans votre projet ?

« C’est un complément à la documentation. On ne veut pas rester à l’état de bibliothèque, mais ce qu’on doit avoir, c’est un centre de documentation, d’information et de loisirs. C’est ça notre objectif et dans ce cadre-là, l’Internet a sa place : sur place, on pourrait accéder à différentes bibliothèques universitaires, mais on a un seul ordinateur actuellement, lequel n’est pas tellement performant. Si on en avait d’autres, on pourrait les connecter à l’Internet, car la zone est reliée depuis fort longtemps. On ne peut pas se suffire des livres. »

Qu’est-ce que peut vous apporter « I-Jumelage » ?

« Ca nous apporterait des éléments supplémentaires pour la réalisation de notre projet de centre d’information de documentation et de loisirs. Les gens qui viennent à la bibliothèque et les bénévoles qui gèrent la bibliothèque ont besoin de formation pour savoir comment faire des blogs par exemple. On voudrait créer des formations autour de l’informatique, surtout pour confectionner des blogs, apprendre les techniques d’écriture sur clavier pour permettre aux élèves d’apprendre à écrire très tôt, sur le cinéma populaire, fait par les gens eux-mêmes, grâce à des téléphones portables : toutes ces idées, « I-jumelage » nous a permis de les découvrir, et ça serait intéressant de les appliquer chez nous. Nous avons la chance à Yoff d’avoir Internet depuis longtemps. Il faut saisir cette chance. »

Comment percevez-vous le lien entre les associations africaines et la présence, dans le dispositif « I-jumelage » d’une association française qui coordonne le projet ?

« Lier les associations africaines entre elles est nécessaire pour moi car pour un développement harmonieux de l’Afrique, il faut que les gens partagent. Le fait que ce soit une association française qui chapeaute encore les associations africaines, sur un plan, c’est regrettable. Mais il faut comprendre que ça ne peut pas venir de n’importe qui, car on n’a pas les moyens ici. On aurait souhaité que l’initiative vienne de nous-mêmes, Africains, mais heureusement le processus est démocratique. C’est ça le plus important : chacun est libre de s’engager s’il le veut. On n’est pas contraint par Vecam, c’est ça qui compte. »

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