07 / 2008
Zánon est l’usine de céramiques la plus importante d’Argentine. Elle est située à Neuquén, à 2 000 km de Buenos Aires. Elle a atteint aujourd’hui une production de 400 000 m2 de céramiques par mois et exporte depuis peu au Chili. Une usine parmi tant d’autres ? Certainement pas. Son histoire, son mode de fonctionnement, son implantation dans l’action communautaire et le fait qu’elle n’a pas de patron font de cette entreprise à haute technologie la preuve vivante qu’une autre relation au travail, un autre mode de production, une autre vie en somme, sont possibles… et ce malgré les nombreuses attaques auxquelles elle a dû et doit encore faire face.
Quelques éléments historiques
L’Argentine a été secouée par une grave crise financière, politique, économique et sociale dans les années 1990 qui culmine en 2001 et qui est symbolisée par le mouvement des piqueteros (les chômeurs bloquent les routes pour manifester leur mécontentement) et les manifestations spontanées de masse (les cazerolas (1)). La majorité des Argentins cherchaient à survivre au jour le jour et, à partir de ce drame, de vives critiques contre le système économique capitaliste se sont fait entendre et des alternatives, notamment dans le domaine de l’économie sociale et solidaire, ont vu le jour. C’est ainsi que de nombreuses entreprises menacées de fermer ont été récupérées par leurs ouvriers. L’Argentine en compte aujourd’hui plus de 200.
La spécificité de Zánon est que le syndicat a aussi été récupéré par ses propres travailleurs. En effet, en Argentine, certains syndicats (et non des moindres) avaient plus tendance à défendre les patrons que les ouvriers, les patrons n’hésitant pas à soudoyer les dirigeants syndicaux pour s’assurer de leur obédience. Dès 1998, alors que la répression interne se renforce à l’intérieur de l’usine Zánon qui compte quelque 300 employés, l’élection de la nouvelle direction syndicale change la donne puisque les bureaucrates traditionnels ont été écartés. Un bras de fer s’amorce avec la direction de l’entreprise qui n’hésite pas à intensifier les rythmes de travail, jusqu’à ce qu’un employé de 22 ans meure dans l’entreprise, sans avoir bénéficié d’une assistance médicale. Suite à une grève et l’accumulation de retards de paiement, la direction ferme l’usine en septembre 2001. Mais les employés refusent leur licenciement et occupent l’usine pendant cinq mois. En mars 2002, la production des biens se fait « sous contrôle ouvrier » et en juillet 2002 Zánon (transformée en coopérative et renommée FaSinPat, acronyme de Fábrica sin patrones, usine sans patron (2)) atteint la production de 120 000 m2 de céramiques, soit la moitié de ce qu’elle produisait quelques années avant.
Un fonctionnement démocratique, participatif et horizontal
Les salaires sont uniques, quelque soit le poste occupé ou le degré de responsabilité. Il n’y a pas de hiérarchie et le fonctionnement de l’entreprise se base sur la responsabilité de chaque ouvrier et la confiance mutuelle. L’usine s’organise autour de commissions de ventes, d’administration, de sécurité, de production, de planification, de sécurité et hygiène et de presse. « Tout le processus et toutes les décisions sont aux mains des travailleurs », peut-on lire dans la brochure « Zánon sous contrôle ouvrier ».
Grâce aux universités de Comahue (Neuquén) et de Buenos Aires, le processus de fabrication est modernisé et les accidents du travail sont fortement réduits.
L’usine comporte 36 secteurs, qui font les trois huit, et chacun d’entre eux élit un coordinateur, chargé de résoudre les éventuels conflits. L’entreprise fonctionne ainsi sur un mode démocratique, participatif et horizontal. Une fois par mois est organisée une journée de discussion sur le fonctionnement de l’usine, mais également sur les questions politiques et sociales plus larges. Tous les travailleurs doivent arriver 15 minutes avant le début de leur journée de travail et repartir 15 minutes après la fin de leur temps de travail, de façon à s’informer sur les dernières nouveautés. La productivité a augmenté sous ce mode d’organisation et chaque travailleur peut enfin donner du sens à ce qu’il fait quotidiennement et en tirer une fierté certaine. Comme le précise Carlos Saavedra, « les heures ne veulent pas dire la même chose qu’avant. Avant, je travaillais 12 heures et je rentrais à la maison exploité, détruit. Aujourd’hui, si je rentre fatigué, c’est un autre genre de fatigue. Parce qu’au fond de toi, tu es traversé par un sentiment de satisfaction qui est parfois difficile à expliquer. »
Un ancrage essentiel dans la communauté
Une autre originalité à souligner est l’ancrage de Zánon et de ses travailleurs dans la communauté, car les ouvriers considèrent que les bénéfices de leur entreprise doivent être investis dans leur quartier. Ils saluent ainsi également le soutien que leur communauté leur a témoigné pendant leur lutte d’occupation et de récupération. Les habitants du quartier n’ont pas hésité à encercler l’usine en 2003 pour empêcher que la police ne vienne déloger les grévistes. Les ouvriers de Zánon ont ainsi multiplié les dons de céramiques à des hôpitaux, écoles, centres de santé, divers foyers, aux indigènes et autres groupes défavorisés. Le recrutement de nouveaux travailleurs, quand l’opportunité se présente, se fait également dans la communauté et vise en général les jeunes en difficulté.
La solidarité avec les indigènes mapuches (traditionnellement réprimés et exploités par les entreprises de céramiques) est également devenue un élément important pour les ouvriers de l’entreprise. En effet, dès que ces derniers avaient occupé l’usine, la communauté mapuche avait mis à leur disposition leurs carrières d’argile.
Les ouvriers de Zánon ont ouvert un site internet (3), animent une émission de radio et publient un journal mensuel, diffusé sur tout le territoire (intitulé Nuestra lucha). Leur but est de mutualiser les connaissances sur les entreprises récupérées et de faire partager leurs expériences.
L’enjeu actuel est d’obtenir l’étatisation de l’usine car l’exploitation commerciale par la coopérative a été remise en cause en octobre 2007 par la Cour d’appel du Tribunal commercial n°9 de Buenos Aires qui accorde à cette coopérative une gestion jusqu’en octobre 2008, suite à une plainte des créanciers de Zánon. Le recours en appel devant la Cour suprême de justice ayant échoué, les ouvriers de Zánon continuent leur lutte pour l’autogestion ouvrière. La solidarité internationale leur est plus que nécessaire.
cooperativa, autogestión, movilización popular, participación de la comunidad
, Argentina
Produire de la richesse autrement
Cette fiche est un résumé de l’article de Raul Zibechi, « Les céramiques Zánon : un autre monde est possible », publié dans l’ouvrage collectif Produire de la richesse autrement : usines récupérées, coopératives, micro-finance,… les révolutions silencieuses, PubliCetim n°31, octobre 2008, éditions du CETIM, Genève. ISBN 2-88053-059-5, 6 € - 10 CHF.
Raul Zibechi est un journaliste, commentateur et écrivain uruguayen. Il est responsable de la section internationale au sein de l’hebdomadaire Brecha, édité à Montevideo. Il est l’auteur de plusieurs livres sur les mouvements sociaux, dont Genealogía de la revuelta. Argentina : una sociedad en movimiento et Dispersar el poder.
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