Quelques concepts clés des alternatives économiques
09 / 2008
Les alternatives économiques contre l’économie conventionnelle
Les alternatives économiques tiennent l’économie conventionnelle pour responsable des problèmes parmi les plus urgents de l’humanité. Premièrement, elle définit le progrès économique d’une manière qui détruit l’écosystème même sur lequel elle se fonde. Deuxièmement, ce modèle de progrès tend, dans le processus de création de richesses matérielles, à transférer une grande partie de la richesse des pauvres vers les riches. Troisièmement, il exclut pratiquement toute valeur éthique et spirituelle du cœur de la vie économique. Quatrièmement, il est ancré dans l’approche mécaniste et réductionniste du paradigme scientifique moderne.
Les économies alternatives se réfèrent aujourd’hui à des tentatives de remise en question et de reformulation de ces axiomes conventionnels. Ces efforts sont fondés sur la reconnaissance que l’économie véhicule des valeurs et n’est donc pas une science objective. Il s’ensuit que l’économie doit être une discipline normative fondée sur une vision plus réaliste de la nature humaine.
Face à la grave crise écologique qui affecte notre planète, les alternatives économiques cherchent à amener l’économie industrielle à redécouvrir et redéfinir les notions d’efficacité et d’utilisation optimale des ressources, d’où l’appellation d’« économie verte ». Elle met l’accent sur la nécessité pour l’humanité de faire face aux limites écologiques de ces activités en faisant de la société de consommation une société de conservation.
Cela peut sembler absurde à une époque où l’essentiel de l’économie globale est dépendante de la multiplication infinie des désirs des individus, donc de la consommation. Mais, comme Ekins et d’autres ne cessent de nous le rappeler, et comme Adam Smith le répétait, les individus sont également profondément mus par le sentiment de fraternité et la conscience morale. Les alternatives économiques font donc une place à la conscience, à la compassion des individus et à leur lien avec la nature, sans pour autant idéaliser ces caractéristiques qui sont avant tout vues en termes pratiques, comme source d’inspiration et d’énergie.
La sphère économique du 21ème siècle est donc perçue comme un système mondial à plusieurs niveaux, avec des parties autonomes mais inter-dépendantes. Partant des individus et des familles, ce système devrait servir les besoins d’échange aux niveaux local, national et international. Il s’agit de s’assurer que chaque unité plus large permette aux unités plus petites d’être plus autonome. Mais cela ne peut être réalisé sans un réexamen et une redéfinition des concepts économiques de base tels que la création de richesse et l’accumulation du capital, l’efficacité et le productivité, la dépendance, l’interdépendance et l’autonomie.
L’ouvrage publié par Ekins et al., Wealth Beyond Measure (« Une richesse au-delà de toute mesure »), a donc été conçu comme un atlas conceptuel. Le titre fait référence à la fois à une conception de la richesse comme étant sans prix, ne pouvant donc être mesurée, mais aussi à l’idée d’abondance universelle et durable sur une échelle qui défie autant notre imagination que nos capacités de mesure !
Bien que ce texte fondamental ait été publié en 1992 et que ses idées aient été affinées depuis, il demeure un bon guide sur les notions centrales du mouvement des alternatives économiques.
Désirs et besoins
L’économie verte établit une distinction claire entre les désirs et les besoins et cherche à satisfaire les deux. Cependant, son objectif principal est la création de richesse plus que la satisfaction de désirs infinis et insatiables.
Distribution de la richesse
L’économie verte a deux objectifs principaux : l’élimination de la pauvreté et le maintien de l’économie à une taille optimale d’un point de vue écologique (i.e. ce que la biosphère peut supporter). La notion d’optimum inclut de nombreux aspects dont la population, l’empreinte écologique du mode de consommation, les fondements éthiques présidant à l’extraction et à l’utilisation des ressources naturelles, etc. Cela implique de se poser une question qui n’apparaît pas dans le discours dominant : est-ce que les êtres vivants ont le droit d’exister indépendamment de leur utilité pour les êtres humains ? Est-ce que notre espèce peut proclamer son droit de réorganiser le reste de la nature à sa seule convenance ? [Wealth Beyond Measure, p.33]
Marché progressiste et Etat
Le marché et l’Etat sont vus dans un rôle complémentaire. Le marché est considéré comme un mécanisme essentiel qui permet aux préférences individuelles de s’exprimer. Alors que l’économie conventionnelle définit la préférence individuelle en terme d’intérêt personnel étroit, l’économie verte envisage un marché progressiste dans lequel les choix des consommateurs incluent des considérations éthiques, sociales et environnementales.
De nombreuses grandes marques ont d’ores et déjà vu leurs ventes baisser après des révélations concernant leur mode de production exploitant les employés ou détruisant l’environnement. En conséquence, le phénomène d’Investissement Socialement Responsable est sorti de la marginalité pour rejoindre le courant dominant. Il n’est plus rare de voir des entreprises s’engager à avoir des objectifs sociaux et économiques allant au-delà des obligations fixées par la loi.
L’Etat est nécessaire non seulement pour faire et appliquer les lois mais aussi pour corriger les imperfections du marché. Ainsi, l’Etat a un rôle clef pour : s’assurer que les pollueurs paient, éviter la formation des monopoles, contraindre les entreprises à divulguer certaines informations auprès du public, faire respecter les droits de l’Homme, assurer la qualité et l’accès à tous de l’enseignement et des soins de santé. L’Etat est également important dans la reconnaissance et le soutien de l’économie familiale ou volontaire. [Wealth Beyond Measure, p.79]
Monnaie
L’économie verte valorise l’usage de la monnaie dans ses fonctions conventionnelles mais voit aussi la nécessité d’une réforme monétaire à plusieurs niveaux. Les alternatives économiques cherchent principalement à redonner à la monnaie son rôle premier, à savoir un outil pratique qui ne doit pas être confondu avec la richesse elle-même. Il faudrait également prendre en compte l’économie sociale, ou « économie de cœur ou d’amour » qui ne fait pas usage de la monnaie. Les foyers et autres formes d’activités volontaires, d’entraide, de troc produiraient en effet l’équivalent de près d’un tiers du produit annuel brut mondial.
La « monnaie verte » reflèterait la richesse créée par les biens et services réels plus que la « valeur » abstraite générée par arbitrage spéculatif. Une telle réforme monétaire s’assurerait également que le système bancaire favorise ceux qui peuvent faire un usage productif de la monnaie, qu’ils soient riches ou pauvres. La « monnaie verte » imposerait une discipline financière stricte aux Gouvernements ainsi qu’un contrôle sur le crédit à la consommation pour éviter l’inflation.
« La création de richesse et la création de monnaie sont tout à fait distinctes. La richesse est créée en appliquant les compétences et savoir-faire humains aux ressources naturelles de multiples manières afin de produire des biens et services utiles. De son côté, la monnaie est une création artificielle de l’homme, c’est un symbole créé à travers un processus délibéré impliquant des entités appelées banques » (Thomas H. GRECO Jr., MONEY: Understanding and Creating Alternatives to Legal Tender).
La Richesse verte
Le concept de richesse verte repose sur une vision de l’économie comme une, parmi quatre, dimension essentielle de la condition humaine. Les trois autres sont la société, l’écologie et l’éthique. Dans ce contexte, le « développement » est défini comme le progrès de la société vers les objectifs qu’elle s’est fixée dans ces quatre sphères. La richesse est alors ce qui permet à la société de remplir ces rôles multidimensionnels.
Le fondement de la Richesse verte est un modèle à quatre capitaux, y compris dans le domaine écologique : les processus de la biosphère qui soutiennent la vie humaine. Le capital humain lui-même n’est pas défini seulement en termes d’heures de travail mais en termes de santé, connaissance, compétences et motivation des travailleurs. Il est donc important de faire la distinction entre la richesse monétaire et la richesse non-monétaire. Cette dernière se réfère à des structures telles que la communauté, la famille et d’autres formations sociales qui ont le potentiel de créer du bien-être. Il s’ensuit que le prix du marché d’un bien peut ne pas refléter sa valeur en termes sociaux, éthiques et écologiques. C’est pourquoi les efforts des économistes se référant au marché conventionnel pour donner un prix aux richesses non-monétaires se heurtent à des limites. Seuls les économistes les plus « fanatiques » chercheraient à expliquer ces valeurs (amour, amitié, famille) en termes de ressources rares et de compétition pour leur usage. [Wealth Beyond Measure, p.44]
Comptabilité écologique
Les alternatives économiques refusent de faire du produit national brut la seule mesure de la prospérité. Elles cherchent à créer des instruments de mesure plus réalistes qui reflètent à la fois le bien-être humain et la durabilité écologique. Au début des années 90, Ekins, entre autres, a proposé qu’une série d’éléments soit retirée ou ajoutée au calcul du PNB pour produire un indicateur plus réaliste du revenu réel, qui pourrait être nommé le produit national ajusté. L’objectif fondamental de comptabilité écologique est d’identifier et de contrôler les fonctions économiques cruciales des « services » environnementaux. La pensée des alternatives économiques est soutenue par les recommandations du Rapport Brundtland qui mettent l’accent sur la nécessité d’un rapport annuel et d’un audit pour suivre l’évolution des ressources environnementales. En effet, les rapports fiscaux annuels classiques ne le font pas. Mais, au cours des quinze dernières années une série d’indices de bien-être social et environnemental est apparue [Wealth Beyond Measure, p.62-64].
Ainsi, la New Economics Foundation a mis en place un index appelé Measure of Domestic Progress (MDP, mesure de progrès domestique). Il ajuste la mesure économique conventionnelle du PNB en soustrayant le coût de la criminalité, de la pollution et des dégradations environnementales, qui ont tous un impact négatif sur la qualité de la vie. Le calcul du MDP montre qu’en Grande-Bretagne le progrès social a été découplé de la croissance économique depuis 30 ans.
Repenser la croissance
L’un des grands défis des alternatives économiques est de redéfinir le concept conventionnel de croissance économique. Jusqu’à la fin des années 90, toute critique à l’encontre de l’impératif de croissance était écartée car entendu comme un synonyme de stagnation et de décadence. Il est cependant devenu clair ces dernières années que la véritable croissance doit être à la fois durable et inclusive. Le défi est de parvenir à une culture industrielle et commerciale qui répondraient aux besoins fondamentaux de tous en préservant voire en restaurant l’équilibre écologique [Wealth Beyond Measure, p.182].
Cela implique de dresser la carte de l’interface complexe entre la croissance économique et la durabilité environnementale, notamment en intégrant comptabilités environnementale et économique (par exemple, en reliant l’économie du changement climatique avec la taxation environnementale).
Pour une juste évaluation du secteur des ménages
Même dans les pays industriels, la production des ménages a été évaluée à 25-40 % du PIB. Mais l’analyse économique conventionnelle ignore cette richesse dans la comptabilité nationale, et les femmes qui représentent la majeure partie de ces producteurs sont classées comme « inactives ». Le pourcentage de la production des ménages est encore plus important dans les pays moins industrialisés.
Ainsi que l’écrit Ekins :
« Si le secteur des ménages est important, celui des bénévoles, groupes, organisations et mouvements communautaires, qui créent de la richesse non-monétaire, ne l’est pas moins. […] Les groupes de défense des droits de l’Homme protègent nos libertés fondamentales ; les groupes de paix s’opposent à la course aux armements ; les groupes environnementaux travaillent pour un avenir stable ; les groupes de femmes apportent la solidarité entre hommes et femmes et sont la colonne vertébrale de la vie de la communauté dans de nombreux pays. » [Wealth Beyond Measure, p.68]
Il est clair pour la plupart des avant-gardistes dans ce domaine qu’une économie verte ne peut pas être décidée d’en-haut pas plus que les alternatives économiques ne peuvent être construites dans les universités. Les gouvernements peuvent, au mieux, ôter les obstacles et permettre la consolidation des bonnes pratiques.
Mais l’énergie principale doit venir de nous : « Il y a beaucoup de choses que chacun peut faire ici et maintenant dans sa vie quotidienne pour participer à la solution que représente l’économie verte, en tant que producteur, consommateur, investisseur, parent, compagnon, ami et voisin. Dans la construction de l’économie verte, la motivation, l’information et l’engagement moral sont plus importants que l’argent. » [Wealth Beyond Measure]
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Une Economie du bien-être: regards sur les alternatives économiques
Traduit de l’anglais par Valérie FERNANDO
Cette fiche est également disponible en anglais : The road to wealth beyond measure
Quelques lectures:
P. Ekins, M. Hillman, R. Hutchinson, Wealth Beyond Measure : An Atlas of New Economics, Gaia, London, 1992.
Thomas H. GRECO Jr., MONEY: Understanding and Creating Alternatives to Legal Tender, Chelsea Green, 2001
Libro
Rajni BAKSHI, An Economics for Well-Being, Centre for Education and Documentation, Mumbai & Bangalore, 2007
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