Les dénonciations de biopiraterie sont l’expression d’une exaspération des pays du Sud, qui dénoncent le manque de reconnaissance et de rétribution que les États et les communautés autochtones ou locales tirent de leurs ressources biologiques et de leurs savoirs, alors que des chercheurs et des industriels des pays du Nord déposent des brevets à partir de ces ressources et savoirs. Apparue dans les années 1980, elle est définie par les pays et les ONG qui la dénoncent comme une situation où l’accès et l’acquisition de ressources biologiques et du savoir traditionnel associé s’effectuent sans recueil préalable du consentement informé de la part de ceux qui se reconnaissent comme détenteurs de ces ressources et de ces savoirs. Le scénario de base est simple : des chercheurs d’université apparaissent complices d’entreprises multinationales pharmaceutiques, qui exploitent un ou des brevets sur du matériel biologique prélevé dans un pays du Sud. Dans chacun des cas connus, c’est l’appropriation illégitime d’une ressource et souvent d’un savoir ancestral qui est dénoncé.
La bioprospection, elle, est définie comme l’exploitation, l’extraction et le criblage ou le tri de la diversité biologique et des connaissances indigènes pour découvrir des ressources génétiques ou biochimiques ayant une valeur commerciale. Elle accompagne le développement des biotechnologies depuis la fin des années 1980. Avec les progrès du génie moléculaire et le développement d’une économie du vivant promouvant et protégeant les innovations utilisant des ressources biologiques par des droits de propriété intellectuelle, la garantie de l’accès aux ressources génétiques - aux informations génétiques - est devenue une priorité pour les pays industrialisés.
Parallèlement se forment, essentiellement en Amérique latine, de forts mouvements identitaires issus des luttes des communautés rurales menacées par la modernisation capitaliste. Parmi les plus médiatisés, on peut citer les seringueiros de l’état de l’Acre du Brésil s’opposant à l’avancée du front de déforestation qui, derrière Chico Mendes, trouveront la satisfaction de leurs revendications foncières grâce aux mouvements écologistes internationaux.
Des scientifiques requalifient les savoirs naturalistes locaux comme outils de conservation de la biodiversité. Par ailleurs, la notion d’autochtonie est fortement soutenue par les organisations des Nations Unies et la Banque Mondiale. De nombreuses fédérations de peuples indigènes sont renforcées ou créées.
La défense de la biodiversité se confond alors avec la défense des modes de vie des populations “autochtones et traditionnelles”. Ces luttes dénoncent la biopiraterie, c’est-à-dire le pillage des ressources et des savoirs des “communautés” du Sud par les pays industrialisés. Les ONG internationales qui soutiennent ces mouvements ont tendance à adopter des positions extrêmes et mêlent le refus de toute marchandisation du vivant et des savoirs avec des campagnes qui insistent sur la richesse considérable des ressources génétiques et des savoirs détenus par les populations.
On peut alors lire la CDB comme un cadre permettant à la fois d’assurer aux industries des biotechnologies l’accès aux ressources génétiques tout en associant les populations locales à leur exploitation commerciale. En effet, la CDB fait la promotion des marchés et des contrats de bioprospection, dont les industriels comme les populations locales tireraient des bénéfices considérables.
Pour que les pays du Sud touchent des redevances sur les découvertes issues de la prospection de leurs richesses naturelles, il leur faut reconnaître des droits de propriété intellectuelle (dont les brevets) sur le vivant d’une part et, d’autre part, il leur faut mettre en place un système juridique qui garantisse leurs droits sur l’accès et l’utilisation de ces richesses. À la spoliation par la biopiraterie, la CDB oppose un partage des avantages tirés de la biodiversité, grâce à la mise en place de droits de propriété intellectuelle.
Depuis le Sommet pour le développement durable de Johannesburg (2002), une des principales revendications des pays du Sud dans les négociations sur la biodiversité est l’établissement d’un “régime international d’accès et de partage des avantages”. Cette position suppose une remise en question du cadre institué par la CDB, qui prônait un règlement bilatéral, sous la responsabilité directe des États concernés, du commerce des ressources génétiques. On peut penser que ce retour proposé au multilatéralisme traduit la difficulté des pays du Sud à définir des législations d’accès à la fois réalistes au regard des règles du commerce international et conformes à leurs intérêts. L’exemple le plus révélateur est le Brésil où le projet de loi est bloqué depuis 1995. Dans les pays qui ont mis en place une législation sur l’accès aux ressources et aux savoirs, les complications, les suspicions et les incertitudes entourant le montage des contrats ont un rôle dissuasif vis-à-vis des industriels candidats à la bioprospection.
Le débat est désormais porté sur d’autres scènes que celle de la CDB. A l’OMPI, l’office mondial de la propriété intellectuelle et à l’OMC, l’organisation mondiale du commerce, les 17 pays mégadivers s’organisent pour exiger que les demandes de brevet s’assortissent d’un certificat d’origine des ressources biologiques prouvant l’obtention du consentement préalable en connaissance de cause des populations concernées et la signature d’un contrat de partage de bénéfices.
Depuis la signature de la Convention, le marché des ressources génétiques n’a guère vu le jour. La demande est incertaine. Les collections déjà constituées, les banques de données bioinformatiques, les progrès de la biologie moléculaire couplés à ceux de la chimie combinatoire dispensent en grande partie les industriels d’aller chercher de nouvelles molécules dans les profondeurs des forêts tropicales. Du côté de l’offre, la situation ne s’est pas révélée meilleure. Les populations ne gèrent pas de ressources génétiques à proprement parler, mais mettent en jeu des relations sociales, des savoirs, des savoir-faire en interaction avec des ressources biologiques. De grands efforts d’innovation sont nécessaires pour imaginer des législations adaptées à des situations où le savoir est le plus généralement collectif, accumulé sur des générations, etc.
Dans le climat de grande expectative ouvert par la Convention, la faiblesse de la demande et le manque de définition de l’offre d’“or vert”, ne pouvait qu’engendrer de graves déceptions et l’exaspération des pays dits “mégadivers”, des États du Sud, des mouvements indigénistes, des ONG, des scientifiques militants… On peut déceler ici la source principale des procès en biopiraterie.
Dans le cadre de la CDB, la biopiraterie est présentée comme le résultat d’un déficit de législation des pays fournisseurs et d’un mauvais fonctionnement du marché des ressources génétiques. Pour les pays du Sud, la biopiraterie est une forme de poursuite du pillage du Tiers-monde qui nie la contribution des populations du Sud à la préservation et à l’enrichissement de la biodiversité. Pour les uns, la biopiraterie n’a pas de base juridique ; pour les autres, il s’agit de stigmatiser l’indécence des valeurs commerciales des pays industrialisés face aux valeurs morales des sociétés traditionnelles. Dans ce jeu d’acteurs, tout le monde est à sa place, et il est toujours aussi difficile d’objectiver la biopiraterie.
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Idées, expériences et propositions sur les sciences et la démocratie
Dans cet article, Catherine Aubertin tente de caractériser les symptômes que révèle le terme de biopiraterie, utilisé par les pays du Sud pour dénoncer l’appropriation de ressources biologiques et du savoir traditionnel associé par des intérêts privés. Elle traduit souvent à la fois une idéalisation des modes de vie indigène, et la frustration d’un partage des ressources génétiques n’ayant pas donné les résultats escomptés. Si la Convention sur la Diversité Biologique promet un cadre de partage de l’exploitation commerciale des droits sur les ressources génétiques, l’organisation et la dynamique du marché des biotechnologies n’ont pas donné les résultats espérés.
Catherine AUBERTIN est directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Économiste, elle dirige le groupe “Politiques de l’environnement” de l’UR 168 et coordonne plusieurs groupes de recherche sur les questions du développement durable et de la biodiversité. Elle a coordonné l’ouvrage Représenter la nature ? ONG et biodiversité (Ed.de l’IRD, 2005) et publié, avec F-D.Vivien, Le développement durable, enjeux politiques économiques et sociaux (La Documentation française, Ed de l’IRD, 2006). Elle est membre du comité de rédaction de la revue Natures, Sciences, Sociétés.
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