La valse des pavillons
Padmaparna GHOSH, Archi RASTOGI
02 / 2006
Beaucoup de navires en provenance de pays de l’OCDE finissent leurs jours à Alang. Pourquoi tant de projecteurs braqués sur Le Clemenceau ? « D’un point de vue juridique, la situation est claire : il s’agit d’un transfert effectué par le gouvernement d’un pays OCDE vers un autre gouvernement non OCDE », dit Ravi Agarwal, directeur de Toxics Link, une Ong de Delhi qui milite sur les questions de déchets toxiques. Dans tous les autres cas, la solution est simple : le pavillon de complaisance. Les registres d’Alang sont révélateurs. Entre janvier 2004 et novembre 2005, il est arrivé 40 navires sous pavillon du Panama (population : 3 millions) et 37 de St-Vincent et Grenadines (117 000 habitants) : pas vraiment des hauts lieux du commerce international. Il y en avait même qui arboraient le drapeau du Vanuatu (202 000 habitants), de Tuvalu (11 600 habitants), de Mongolie (pays sans façade maritime). Ces pays n’apparaissent pas dans l’annexe VII de la Convention de Bâle. Il s’agit bien évidemment dans tous ces cas de pavillons de complaisance.
Contributions au budget 2006 de l’OMI
Aucun bateau sous pavillon d’un pays OCDE (Japon, France, Royaume-Uni, Allemagne…). Comment procèdent donc leurs armateurs ? C’est bien simple : une société française, par exemple, peut immatriculer un navire sous une société bidon au Honduras, et les officiers seront Sud-Africains, les membres d’équipage Jamaïcains, il transportera des marchandises entre la France et les Etats-Unis… Tout cela est parfaitement légal, de la routine. C’est pour cela qu’il est bien difficile de mettre en Ĺ“uvre des mesures internationales de protection de l’environnement.
La Convention de Bâle n’interdit pas le commerce des déchets entre pays en développement. Un pays non membre de l’OCDE peut fort bien envoyer un bateau à Alang sans procéder à une décontamination préalable. L’armateur vend le bateau avant de déclarer son intention de le démanteler : dans la Convention de Bâle, un navire est considéré comme déchet à partir du moment où il est « destiné à » la casse. Un navire déchet peut facilement faire l’objet de transactions diverses.
Les compagnies maritimes ont des règles particulières. L’armateur d’un pays donné peut faire immatriculer un navire dans n’importe quel pays. Une compagnie indienne, par exemple, immatriculera un bateau à Singapour, en Grèce, au Panama. Il sera alors sous pavillon de complaisance, ce qui lui permettra de mondialiser ses opérations, de contourner la fiscalité, d’éviter des responsabilités. C’est la recette la plus facile, et parfaitement légale, pour échapper à la réglementation mondiale relative au commerce des déchets. Rien de plus aisé que d’immatriculer un navire dans un pays non OCDE et de s’en débarrasser dans un autre pays non OCDE.
Pour de nombreux critiques, tout cela est rendu possible parce que l’OMI est à la remorque des compagnies. Les Etats du pavillon contribuent au financement de cet organisme suivant l’importance du tonnage total des navires immatriculés chez eux. Et les plus gros tonnages tiennent la barre. L’analyse du budget de l’OMI fait apparaître le rôle croissant des Etats du pavillon, et des pavillons de complaisance, dans le secteur de la navigation maritime. Lorsque l’OMI a été créée en 1948, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Norvège contrôlaient plus de 60 % de ce secteur, et ils en ont établi les règles. Actuellement le Panama possède, sur le papier, la flotte la plus importante du monde, et c’est le Panama qui mène le bal.
Il est pratiquement impossible de savoir qui est le véritable propriétaire d’un navire. Il arrive aussi que des navires sortis de flotte changent illégalement de pavillon de complaisance. Des prête-noms contrôlent et dirigent l’OMI. Il n’est pas surprenant que les vieux navires destinés à la casse, et gérés par des directeurs fantômes, finissent leurs jours dans des chantiers comme ceux d’Alang.
Navires entrés à Alang en 2004-2005
* Lire la première partie : La Convention de Bâle
* Lire la suite : Les affaires sont les affaires, L’Inde poubelle du monde
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, India
L’Inde, le Clemenceau et le commerce des déchets (Notre Terre n°18, juillet 2006)
Voir aussi le rapport FIDH Où finissent les bateaux poubelles – Les droits des travailleurs dans les chantiers de démolition de navires en Asie du Sud. Situation à Chittagong (Bangladesh) et à Alang (Inde). 90 pages, décembre 2002
Traduction en français : Gildas Le Bihan (CRISLA)
Notre Terre est une sélection trimestrielle d’articles (effectuée par le CRISLA, et traduite en français par Gildas Le Bihan), de la revue indienne écologiste et scientifique Down to Earth, publiée par le CSE, Centre for Science and Environment.Pour en savoir plus
CRISLA, Notre Terre n° 18, juillet 2006. Sélection d’articles de Down To Earth, revue indienne écologiste et scientifique, publiée par CSE à New Delhi.
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