Maintenant que la réalité du changement climatique s’impose même aux plus sceptiques, on se précipite pour trouver des remèdes. La mode actuelle c’est de remplacer les carburants fossiles générateurs de gaz à effet de serre par des biocarburants, donc produits à partir de plantes. Malheureusement la façon donc nous sommes en train de mettre en Ĺ“uvre cette bonne idée ne va peut-être pas améliorer les choses mais au contraire nous faire tomber de la poêle à frire directement dans le feu.
Dans les biocarburants, il y a deux principales filières : l’éthanol, extrait de la canne à sucre ou du maïs, et le biodiesel, issu d’oléagineux. Soucieuse de préserver son climat, l’Europe a été la première à promouvoir les biocarburants, qui devront représenter 6 % de la consommation des automobiles à l’horizon 2010 et 10 % en 2020. La majeure partie du biodiesel provient de tournesol produit localement ; mais pour couvrir des besoins croissants, l’Europe envisage d’importer du carburant issu de soja brésilien ou argentin, d’huile de palme d’Indonésie et de Malaisie.
Pour réduire la dépendance des Etats-Unis vis-à-vis des importations de carburant, George Bush a demandé à son pays de produire 132 milliards de litres de biocarburants à l’horizon 2020. Les Etats-Unis préfèrent l’éthanol produit à partir de l’amidon de maïs. Le Brésil, plus important producteur mondial d’éthanol, utilise la canne à sucre. Dans quelques années, aux Etats-Unis, on estime que les fabriques d’éthanol consommeront la moitié de la production domestique de maïs ; et les industriels utiliseront aussi le soja et d’autres cultures pour donner à boire à un parc automobile toujours plus assoiffé.
Les répercussions de cette tendance se font déjà sentir. L’année dernière, le Mexique a connu une sorte de guerre de la tortilla parce que le prix de cet aliment de base avait doublé. Cette hausse était le résultat de la nouvelle vocation du maïs et du contrôle de sa production et de son utilisation par les grandes firmes américaines. Archer Daniels Midlands Co. occupe une place prépondérante sur le marché du maïs et du blé et est en même temps le plus gros producteur d’éthanol dans cette région du monde. Ce groupe possède aussi des intérêts financiers dans une société mexicaine qui produit des farines de blé et fabrique des tortillas. Il profite donc à la fois du renchérissement du maïs et de la nouvelle clientèle qui se porte sur le blé. Quand la matière première sert à faire du carburant plutôt qu’un produit alimentaire, il est également gagnant. Cargill, autre multinationale de l’agro-alimentaire, est devenu incontournable sur le marché des biocarburants. Dans ce contexte, les cours d’autres denrées alimentaires (blé, soja, huile de palme) grimpent également. Et tout cela a des répercussions à l’échelle mondiale surtout pour les consommateurs les plus démunis. A cause de cette évolution dans la destination de la production, on prévoit un renchérissement de 20 à 40 pour cent du coût de l’alimentation dans la prochaine décennie.
Autre aspect gênant de la situation : ce nouvel usage n’aura pas grande influence dans la lutte contre le changement climatique. Il est évident que tous les biocarburants de la planète n’auront qu’un impact fugace sur la consommation mondiale de carburants fossiles. Aux Etats-Unis, par exemple, il est admis que, si toute la production de maïs était consacrée à la fabrication d’éthanol, cela ne représenterait que 12 % de la consommation nationale actuelle d’essence. Dans un article paru récemment dans la revue américaine Foreign Affairs, on lit que, pour remplir un réservoir de 95 litres avec de l’éthanol pur, il faut environ 200 kilos de maïs, ce qui représente assez de calories pour nourrir une personne pendant un an.
Si on prend en compte le carburant nécessaire à la transformation de la biomasse en énergie (le diesel pour le tracteur, le gaz naturel pour faire de l’engrais, le carburant pour faire tourner les raffineries), les biocarburants ne sont pas vraiment un modèle d’efficacité énergétique. On considère que 20 % seulement de l’éthanol produit à partir du maïs est de l’énergie « nouvelle ». Et il faut ajouter au tableau l’eau indispensable pour faire pousser les plantes. Et on fera aussi sans doute disparaître des forêts pour étendre les superficies consacrées au soja, à la canne à sucre, à l’huile de palme, ce qui ne sera évidemment pas bon pour le changement climatique. Ne dites pas que je suis contre les biocarburants : je suis pour. Mais comment faire pour qu’ils contribuent à la réduction des gaz à effet de serre ? Actuellement, ce sont les grosses entreprises qui cherchent à tirer un maximum de profits de la situation, et on croit naïvement qu’on sert des objectifs sociaux.
Premièrement, il est évident que les biocarburants ne peuvent pas se substituer aux carburants fossiles ; mais si nous commençons à limiter notre consommation de carburants fossiles, ça peut faire une différence. Dans ce cas, les gouvernements ne doivent pas subventionner des cultures destinées à la fabrication de biocarburants, comme cela se fait aux Etats-Unis et en Europe, mais plutôt prendre des mesures pour limiter la consommation en réduisant le nombre de véhicules sur les routes. Alors, les biocarburants, qui sont une énergie renouvelable et qui émettent moins de gaz à effet de serre, auront un impact significatif. Sinon, nous restons dans nos illusions.
Deuxièmement, où faut-il utiliser les biocarburants ? Ce n’est pas dans les villes des pays riches, pour faire avancer des voitures, que doit se produire la grande révolution des biocarburants mais dans les villages de l’Inde et de l’Afrique, loin des réseaux de distribution d’énergie. C’est là surtout qu’on manque d’électricité pour les habitations, pour cuire les aliments, pour les générateurs qui actionneront des pompes, pour les véhicules aussi. Dans ces endroits, la consommation de carburant fossile va augmenter parce qu’il n’y a pas le choix. Au lieu de transporter sur de longues distances du carburant fossile jusque dans ces endroits, il serait plus judicieux de faire sur place un grand bond en avant : auparavant pas de carburant, bientôt du carburant à la pointe du progrès, qui pourrait venir par exemple du fruit non comestible du jatropha, cet arbuste qui pousse sur des sols arides et pourrait donner de l’emploi.
Ce nouveau marché des carburants devra fonctionner dans un esprit différent, différemment de ce qu’on appelle « le marché libre », lequel se fonde sur des économies d’échelle, exige l’intégration des opérations et donne lieu à des pratiques anticoncurrentielles. Dans le système actuel, des entreprises vont se charger des cultures, extraire l’huile, la transporter à la raffinerie et la faire parvenir enfin aux consommateurs. Dans la nouvelle façon de faire, il faut qu’il y ait des millions de producteurs, des millions de distributeurs, des millions de consommateurs. Les biocarburants sont une partie des solutions d’avenir. Mais ne perdons pas de vue que le changement climatique n’est pas une simple question technologique mais aussi et surtout un problème de volonté politique.
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Le problème, c’est la voiture en ville (Notre Terre n°22, juin 2007)
Traduction en français : Gildas Le Bihan (CRISLA)
CRISLA, Notre Terre n° 22, juin 2007. Sélection d’articles de Down To Earth, revue indienne écologiste et scientifique, publiée par CSE à New Delhi.
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