La pollution de l’eau due à la dégradation des installations sanitaires et au manque de stations d’épuration : un problème de santé publique
10 / 2006
Octobre est un mois très favorable pour les Indiens. Du Cachemire jusqu’au Kerala, il ne manque pas de festivités en tout genre. C’est aussi le mois où tout citoyen indien se souvient (espérons-le) d’un homme exceptionnel : Mohandas Karamchand Gandhi, né le 2 octobre 1869. Ici pas de spectacles hauts en couleurs, juste le souvenir d’un monsieur à lunettes vêtu d’un pagne traditionnel, le dhoti. Le mahatma, qui fuyait les feux de la rampe, pensait que notre nation ne pouvait faire de grandes choses tant qu’elle n’aurait pas résolu des problèmes fondamentaux. Il proclamait notamment que « la propreté est plus importante que l’Indépendance ».
Attardons-nous un peu sur cette question, même si chez le Père de la Nation on pourrait trouver d’autres citations intéressantes, et sur des sujets plus attirants. A un haut fonctionnaire de l’Administration coloniale britannique qui semblait ne pas prendre assez au sérieux ses suggestions en matière d’assainissement, il disait : « Dans une société comme la nôtre, la propreté nécessite un effort spirituel collectif. La plus petite faute en matière d’hygiène est signe de médiocrité spirituelle. C’est un manque d’attention, un manquement au devoir ». Un peu poussé ? Notre Prophète de la Paix employait des termes encore plus vigoureux pour stigmatiser certaines fâcheuses habitudes de ses compatriotes en matière d’hygiène : « L’hygiène publique n’est pas vraiment une vertu chez nous… Je considère que c’est là une grande faute morale, qui a pour conséquence l’état lamentable de nos villages et de nos fleuves sacrés, et les maladies qui se propagent en raison de ce manque d’hygiène ».
En matière d’environnement, Gandhi avait une vision remarquablement claire des choses. Il savait bien que les cabinets peuvent faire la différence entre un environnement sain et un environnement malsain. Ne peut-on pas dans une certaine mesure juger du degré d’avancement d’une société par l’état de ses cabinets ? Jetons un regard en arrière et examinons les performances de notre pays dans ce domaine. Au début nous avions de l’avance sur les autres. Dans la vallée de l’Indus, les ruines d’anciennes civilisations font apparaître ce qui devrait être le plus ancien système d’assainissement urbain connu. Dans la ville de Lothal (située à quelques kilomètres d’Ahmedabad, la capitale actuelle du Gujarat), il y avait des cabinets dans chaque habitation et ils étaient connectés à des caniveaux couverts construits le long des rues. Cette glorieuse époque prit fin avec le déclin de la Civilisation de l’Indus (vers 1 800 avant J-C). A partir de là, les cabinets restent des installations primitives et faire ses besoins en plein air est pratique courante.
De 500 après J-C jusqu’au XVIème siècle, du point de vue de l’hygiène personnelle, c’est une sombre période, en Inde mais aussi à travers le monde. Sur les châteaux des seigneurs, tout en haut des murailles, étaient accrochées des guérites qui laissaient tomber les matières fécales dans les douves en dessous. Pour les riches, il y avait aussi des chaises percées, et le pauvre allait faire ses besoins dans la nature, le long d’une route, dans un ruisseau. Cette habitude de déféquer n’importe où a perduré : « J’ai vu des milliers d’hommes et de femmes salir les berges du Gange à Hardwar », note Gandhi en 1929.
Encore de nos jours, l’assainissement est un secteur très négligé dans notre pays. Les matières fécales constituent un sérieux problème pour les fleuves, les rivières, lacs, étangs et mares : elles constituent 80 % de la pollution de ces plans d’eau. Chaque cours d’eau qui ose traverser une ville se transforme illico en égout. Les effluents domestiques contaminent aussi les nappes phréatiques et, à cause du mauvais état des canalisations, l’eau courante peut être souillée. Les conséquences sur la santé publique sont catastrophiques. La malnutrition constitue la première cause de mortalité en Inde, la seconde étant la mauvaise qualité de l’eau et de l’assainissement. Lorsque les égouts se déversent directement dans un plan d’eau, ils finissent par détruire l’écosystème. Les micro-organismes présents dans les matières fécales consomment rapidement l’oxygène, qui va manquer aux poissons et aux plantes. Nous sommes en train de tuer nos cours d’eau, en train de ruiner notre propre santé, parce que nous ne savons pas gérer notre caca.
Voyons tout d’abord comment une installation classique (cuvette + chasse d’eau + tuyaux) procède pour évacuer les selles. En principe ça marche comme suit : on tire la chasse, ce qui libère une grande quantité d’eau, ce qui évacue le bol fécal et dilue l’urine. Ces « eaux noires » se mêlent aux « eaux grises » (provenant des douches, baignoires, lavabos, éviers) et quittent la maison par un tuyau relié à un autre tuyau plus gros qui aboutit dans un gros collecteur. Ces conduites reçoivent de grandes quantités d’eau afin d’éviter les engorgements. Le tout parvient dans une station d’épuration au sortir de laquelle l’eau est rejetée dans un cours d’eau proche ou dans la mer. Ça c’est la théorie. En réalité, les choses ne marchent pas aussi bien. Tout d’abord, le système consomme énormément d’eau : plus de 10 litres chaque fois que la chasse est tirée, plus toute l’eau ajoutée afin de faire avancer les matières solides. Pour faire voyager ainsi 250 litres d’effluents, une famille de cinq personnes contamine plus de 150 000 litres d’eau.
Ce n’est pas tout. Les villes indiennes équipées de stations d’épuration sont peu nombreuses. Selon la Commission centrale de lutte antipollution, moins de 3 % des effluents urbains font l’objet d’un traitement avant de passer dans un cours d’eau ou dans la mer. Dans les très grandes agglomérations, les capacités des stations d’épuration sont loin de suffire pour faire face aux arrivages. Les pouvoirs publics dépensent de plus en plus d’argent pour renforcer les installations, mais les infrastructures sont toujours en retard par rapport à la croissance démographique et économique. Et il y a également le problème des fuites, des ruptures dans les canalisations. L’entretien coûte cher pour des municipalités toujours à cours d’argent. Alors le réseau continue à se dégrader et la tuyauterie continue à fuir. Une bonne partie des eaux usées ne parviendra jamais à la station d’épuration. Des monceaux de matières fécales contenant des micro-organismes pathogènes entrent dans toutes sortes de plans d’eau, d’où l’on extrait en même temps l’eau de boisson des habitants.
Ne soyons pas obnubilés par la chasse d’eau : ouvrons les volets et pensons à ces trois vérités :
L’eau est une denrée précieuse : ne la gaspillons pas pour faire voyager le caca ;
La question du caca doit être résolue le plus près possible de la source. D’un point de vue économique et écologique, il n’est pas raisonnable de le faire circuler à travers toute la ville ;
Considérons le bol fécal et le pipi non pas comme un déchet mais comme une ressource. En laissant de côté cet aspect, les systèmes d’assainissement classiques détruisent les cycles naturels. Ce qui vient de la terre doit retourner à la terre.
saneamiento del agua, contaminación del agua, calidad del agua, salud pública
, India
« Économie politique de la défécation » (Notre Terre n°23, sept. 2007)
Traduction en français : Gildas Le Bihan (CRISLA)
CRISLA, Notre Terre n° 23, septembre 2007. Sélection d’articles de Down To Earth, revue indienne écologiste et scientifique, publiée par CSE à New Delhi.
extrait de Gobar Times, supplément de Down To Earth pour les scolaires
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