Catastrophe écologique ou composante majeure du développement durable de son milieu rural ?
04 / 2007
Le Cambodge reste très largement dépendant de sa ressource biomasse-énergie pour ses besoins thermiques (cuisson domestique, restauration, petites entreprises,…). 90 % des ménages utilisent le bois et ses dérivés pour la cuisson domestique (National Institute of Statistics, 2005), 4,5 millions de tonnes de bois étant consommées par an pour ce seul usage.
En l’absence de gestion durable des forêts, les besoins énergétiques sont largement responsables de la déforestation ; sur les vingt dernières années, celle-ci est estimée à 1 427 000 ha.
Le plus sérieux problème qui se pose en termes d’environnement est la production de « charbon illégal » (1) pour la cuisson domestique qui représente 90 000 tonnes par an pour la seule capitale (IGES CCCO, 2006).
Environ 60 % du charbon consommé à Phnom Penh provient de la chaîne des Cardamones, une forêt primaire abritant un des derniers sanctuaires faunistiques et floristiques des pays du Mékong.
Sous le feu des critiques des institutions internationales, le gouvernement cambodgien est en attente de solutions éprouvées en adéquation avec le contexte social, économique, structurel de son pays.
Les premières années du programme : une large diffusion de foyers économes à charbon de bois
Depuis 1997, le programme Bois-Énergie au Cambodge, financé en grande partie par la Commission Européenne, sous la responsabilité du GERES, s’est attaché à valider une série d’approches et d’équipements à plus faible consommation de bois.
Les voies classiques, soit de substitution (subvention du gaz en bouteille, kérosène, etc.), soit d’interdiction du charbonnage « non renouvelable » (2) n’apportent aucune réponse pérenne (pas de viabilité économique à moyen terme, absence de structures forestière ou de contrôle adaptées) et sont généralement un échec ou présentent un avenir fragile dans la plupart des pays en développement qui les ont suivis.
L’enjeu était donc de valider une approche pragmatique alliant gestion durable de la ressource biomasse et utilisation d’équipements énergétiques performants.
Le premier poste de consommation étant la cuisson domestique, c’était donc la priorité en termes d’intervention.
Les premières années ont donc été consacrées à accompagner la filière traditionnelle de production et distribution de foyers de cuisson domestique. C’était la seule approche qui nous a semblé viable plutôt que d’essayer de créer une filière parallèle de commercialisation de foyers améliorés. Plusieurs modèles de foyers économes ont été testés et parfois validés à l’étape pré-diffusion (jusqu’à 5 000 exemplaires) mais, in fine, seul un modèle a passé le test d’une large diffusion (notamment du fait de sa facilité de transport par les grossistes).
Il s’agit du modèle NLS (« New Lao Stove ») qui permet une économie de l’ordre de 25 % (3) de charbon de bois par rapport au modèle traditionnel actuellement produit à 100 000 exemplaires par an.
Il est plus cher (1 euro pour le modèle traditionnel contre 2,5 euros pour le nouveau) : les différents acteurs de la filière gagnent ainsi plus d’argent par foyer mais l’utilisateur final aussi, avec un temps de retour de deux à trois mois, compte tenu du coût du charbon de bois, qui plus est, sa durée de vie se situe autour de 2 ans et demi contre un an pour l’ancien modèle.
Les producteurs ont intégré des outils de gestion et de contrôle/qualité leur permettant au sein d’un groupement d’intérêt économique de définir une stratégie commerciale solide. Cette filière de production est en cours de procédure de certification (normalisation qualitative du secteur industriel au Cambodge).
Ce succès a été récompensé par le « Ashden Award », un prix international dédié aux meilleures initiatives énergétiques.
Une première bataille de gagnée… mais le combat doit continuer
Durant ces dernières années, le projet a donc poursuivi ses efforts de validation de solutions alternatives et dispose maintenant d’un arsenal complet :
– Un mode de production de charbon durable économiquement compétitif.
– Des modèles rentables d’unités de valorisation de déchets de biomasse ou de bois-énergie.
– Une nouvelle gamme de foyers capables de brûler efficacement un large choix de déchets de biomasse.
Production de « charbon renouvelable »
Basé sur une technologie japonaise, un modèle de four de carbonisation fixe à faible coût (500 $US) a été introduit au sein des communautés forestières à la recherche d’un mode d’exploitation de leur forêt alliant rentabilité et durabilité.
Cette technologie possède deux avantages par rapport à la pratique traditionnelle : un charbon de meilleure qualité et un sous-produit obtenu par condensation des gaz de pyrolyse, l’acide pyroligneux.
Un meilleur rendement de conversion à partir d’une masse identique de bois et un pouvoir calorifique plus élevé du charbon obtenu permettent un gain énergétique de 35 % par rapport au procédé traditionnel. C’est cependant économiquement insuffisant pour rendre le procédé réellement attractif.
Calquée sur des approches identiques en Thaïlande et en Indonésie, la rentabilité de cette nouvelle activité rurale est assurée par la commercialisation de l’acide pyroligneux communément dénommé vinaigre de bois.
Ce produit possède une large palette d’utilisations encore sous-exploitée à l’échelle nationale et internationale : en agronomie comme stimulateur de croissance, répulsif face aux insectes, en agroalimentaire comme fumée liquide, fongicide…
L’expérience en cours dans la province de Takeo a validé cette approche. Il reste donc à passer à l’étape d’extension de cette action pilote.
Une commercialisation efficace de cet acide pyroligneux associée à une certification de gestion forestière durable en cours d’élaboration nous semble une alternative majeure pour redonner au charbonnage ses lettres de noblesse (forte création d’emplois, préservation de la forêt et des sols, lutte contre le réchauffement climatique, valeur ajoutée en milieu rural, etc.).
Les communautés forestières peuvent ainsi bénéficier de modèles de gestion à rotation courte pour tirer un bénéfice constant et rapide de leur forêt (technique du taillis, essences forestières spécifiques associées à des essences nobles), qui constituent une nouvelle motivation pour conserver leur couverture forestière.
Des modèles rentables d’unités de valorisation de déchets de biomasse ou de bois-énergie durable
Au Cambodge, mis à part la balle de riz utilisée dans les briqueteries, les gisements de déchets combustibles d’origine agricole non valorisés sont conséquents (rafle de maïs, coque d’arachide, écorce de noix de coco, bagasse) en quantité suffisante pour remplacer le bois et le charbon de bois non durables pour la cuisson domestique.
La principale difficulté est de pouvoir collecter ces déchets et d’utiliser des procédés de valorisation à faible plus-value pour pouvoir être compétitif sur le marché local (en 2006, le charbon de bois s’achetait 14 cts $US/kg et le bois 7 cts $US/kg).
Nous avons pu valider trois approches du point de vue technique et économique :
– La production de briquettes de charbon
À condition de disposer de fines de charbon de biomasse à faible coût, il est économiquement opportun de développer une activité de production de briquettes de charbon pour la cuisson domestique.
Le type de technologie de densification dépend du rythme de production visé. Une unité de petite taille est opérationnelle à Battambang (utilisation de résidus de gazogènes), une autre est en préparation à Phnom Penh (utilisation de résidus de séchoir à biomasse).
– La production de bois-énergie durable
La nature fait bien les choses, notamment avec deux essences forestières à forte croissance, Gliricidia sepium et Leucæna leucæna, qui tirent profit du climat et des types de sol du Cambodge sans les appauvrir, et qui sont adaptées à une coupe en taillis. Une action pilote est en cours dans la province de Takeo ; d’autres suivront dans les provinces autour de Phnom Penh. Le ratio temps de travail et profit généré par la vente comme bois de feu est favorable pour inciter des agriculteurs à se lancer dans cette nouvelle activité économique.
Une régulation des flux de bois-énergie favorisant celui identifié comme renouvelable (différents niveaux de taxes) est en cours de préparation avec le gouvernement cambodgien. Une antenne du projet est d’ailleurs directement intégrée au MIME (Ministère de l’Industrie des Mines et de l’Énergie) pour mettre sur pied une base de donnée nationale sur la production et la consommation de bois-énergie et définir une stratégie durable.
– Le reconditionnement de déchets de biomasse pour les équipements de combustion
Avec des technologies de broyage et séchage de taille artisanale, il est possible de viabiliser des unités de reconditionnement de déchets de biomasse en milieu urbain en parallèle avec la diffusion d’équipements de combustion capables de brûler de manière efficace ce type de combustibles. Une expérience pilote est en cours de mise en place à Phnom Penh. Il s’agit de produire un combustible conditionné (granulométrie et teneur en eau) pour les besoins énergétiques domestiques et industriels.
Ce concept novateur se rapproche de celui des centres de remplissage de gaz liquéfié : seul le combustible change, le système de distribution est identique, avec des consignes qui seront remplies de nouveau après usage.
Une nouvelle gamme d’équipements de combustion du bois pour les pays du Sud
Suite à l’édiction de nouvelles normes sur les fumées de combustion du bois, une nouvelle génération d’équipements est apparue ces dernières années sur le marché des pays du Nord. Par une utilisation judicieuse des matériaux locaux à faible coût, il est possible de proposer à des prix abordables ces équipements pour des marchés moins solvables, ceux de la cuisson domestique et du petit artisanat dans les pays du Sud. Il s’agit de véritables brûleurs à gaz de bois, la combustion des gaz de pyrolyse du bois étant séparée de l’étape de production de ces gaz. La combustion est alors sensiblement améliorée, à une température élevée entre 900 et 1 000 °C et une quantité d’oxygène légèrement en excès.
Au Cambodge, avec l’appui de Planète Bois (4) et d’autres experts internationaux, nous nous attachons à assurer une large diffusion d’un modèle à bas coût à haute performance pour les cuissons de grande capacité (sucre de palme, cuisine collective, etc.) et pour la cuisson domestique à partir de copeaux de déchets de biomasse.
Quel futur pour la biomasse-énergie au Cambodge ?
Comme nous l’avons vu, la biomasse-énergie représente une chance extraordinaire de développement durable pour le Cambodge, pour peu que des approches pragmatiques en lien avec la réalité sociale et économique soient mises en oeuvre.
Actuellement montré du doigt pour son absence de gestion pérenne de sa richesse forestière, le Cambodge peut devenir dans les années à venir un modèle en matière de gestion de sa biomasse-énergie.
Notre volonté est d’accompagner au mieux les efforts entrepris en ce domaine en partenariat, notamment avec le MIME. La biomasse-énergie n’est plus oubliée comme par le passé dans les stratégies énergétiques et vu son impact en termes de cohésion sociale, de création de richesse, de lutte contre le réchauffement climatique, elle retrouve peu à peu sa place de première énergie primaire du pays.
Prenons donc rendez-vous dans dix ans pour voir si en particulier les actions pilotes en matière d’alternatives au charbon illégal ont pu être largement diffusées.
producción de energía, energía de la biomasa
, Camboya
Jean-François Rozis est Ingénieur énergéticien, Consultant indépendant. Coordinateur depuis 10 ans pour le compte du GERES du programme sur la stratégie nationale en matière de biomasse-énergie au Cambodge. Missions de suivi et d’expertises dans plusieurs pays.