Les obstacles au développement de l’utilisation des renouvelables
Stephen KAREKEZI, John KIMANI, Ayago WAMBILE
04 / 2007
Lire les deux premières parties de cette fiche : La situation des filières durables en Afrique et Les succès et les limites des filières renouvelables en Afrique
Les obstacles au développement de l’utilisation des renouvelables en Afrique
Même s’il est admis que les renouvelables ne peuvent résoudre tous les problèmes énergétiques de l’Afrique, il semble néanmoins qu’elles présentent un important potentiel pour couvrir les besoins énergétiques croissants dans la région. Toutefois, le succès des renouvelables a été limité par une combinaison de facteurs, parmi lesquels : un cadre institutionnel et des infrastructures déficientes ; une planification inadaptée ; un manque de coordination et de liaison entre les programmes de renouvelables ; des distorsions de tarification qui désavantagent les énergies renouvelables ; des coûts d’investissements initiaux élevés ; des stratégies de diffusion peu efficaces ; un manque de main-d’œuvre qualifiée ; des informations de référence de mauvaise qualité; une faible capacité de maintenance. Nous allons analyser certains d’entre eux.
Les obstacles politiques
L’expérience montre qu’en Afrique, l’introduction et le succès des énergies renouvelables, quelles qu’elles soient, dépendent en grande partie du cadre politique existant.
Les politiques gouvernementales sont importantes par leur capacité à créer un environnement favorable pour mobiliser les ressources et encourager les investissements du secteur privé. La plupart des premières initiatives politiques sur les renouvelables dans la région ont été motivées par les crises pétrolières des années 1970. Pour y répondre, les gouvernements ont mis en place un ministère de l’énergie autonome ou un département spécialisé dans la promotion de politiques énergétiques rationnelles, notamment par le développement des renouvelables. Malheureusement, dès que la crise pétrolière s’est apaisée, l’aide gouvernementale aux renouvelables a diminué. La plus grande partie du soutien actuel se résume à des grands discours.
La plupart des gouvernements africains n’ont pas de politique bien définie sur les renouvelables. De ce fait, leur développement suit son propre cours, sans beaucoup tenir compte des programmes énergétiques nationaux qui n’existent que rarement ou sont dépassés et inadaptés. Les carences du soutien aux renouvelables sont aussi illustrées par les faibles dotations budgétaires que l’on peut voir dans la plupart des pays. L’accent est mis sur le secteur du pétrole et de l’électricité, qui ne desservent qu’une petite partie de la population, aux dépens des renouvelables qui peuvent aider à atteindre un plus grand nombre de gens. En Éthiopie par exemple, les investissements dans le secteur pétrolier ont quadruplé et les investissements dans l’électricité ont pratiquement triplé entre 1990 et 2000. En revanche, les dépenses en faveur des énergies traditionnelles et alternatives ont constamment diminué, passant d’environ 1 % du total des investissements en 1990, à 0,1 % en 2000. C’est également vrai pour le Kenya, l’Ouganda et la Zambie.
Il est tout à fait improbable que les programmes de renouvelables en Afrique puissent connaître un développement et une diffusion significatifs sans mesures politiques gouvernementales de soutien accompagnées des moyens budgétaires suffisants.
Les obstacles financiers
Le financement joue un rôle essentiel dans la réussite du développement des renouvelables. Des études ont montré que le principal obstacle à la mise en œuvre des projets ne tient le plus souvent pas à leur faisabilité technique, mais à l’absence de financement à long terme et peu coûteux. Ce problème est aggravé par la concurrence que se livrent les projets pour accéder à des moyens financiers limités et par des conditions macroéconomiques défavorables. Les gouvernements et les entreprises privées doivent rechercher des moyens novateurs pour financer des projets renouvelables. Le défi à relever pour le financement des projets de renouvelables est d’élaborer des modèles qui peuvent apporter ces technologies aux consommateurs (y compris aux plus pauvres) à des prix abordables, tout en veillant à ce que le secteur africain naissant des énergies renouvelables continue de se développer et reste viable. L’environnement politique défavorable, avec un soutien minimal aux renouvelables au niveau des agences publiques, fait supporter au secteur privé la responsabilité d’assurer le financement de ces énergies.
Avec des taux de pauvreté de 50 à 70 % au niveau national, les énergies renouvelables les plus sophistiquées ne sont pas abordables pour la majorité de la population africaine. C’est particulièrement vrai pour les renouvelables qui dépendent de composants importés nécessitant des dispositifs financiers et/ou un subventionnement important. Et l’on sait bien que les subventions ne sont pas viables à long terme. Dans les cas où des mécanismes de financement sont appliqués, le plus grand soin doit être apporté à leur conception, de façon à atteindre les plus pauvres. Ainsi, le projet photovoltaïque du PNUD/FEM au Zimbabwe a profité essentiellement aux ménages ruraux les plus aisés, dans la mesure où plus de 80 % de la population rurale ne pouvait se permettre d’acquérir le système photovoltaïque le plus petit, même à des tarifs subventionnés. La rigueur des exigences pour les demandes de prêt a exclu la majorité de la population rurale. Une autre étude sur la viabilité du photovoltaïque au Manicaland, au Zimbabwe, montre que 65 % de la population rurale n’avait pas les moyens de payer les frais de service, qui représentaient le coût le plus bas possible pour fournir de l’électricité photovoltaïque, et 91,5 % n’étaient pas en mesure de payer le crédit correspondant.
La production et/ou le montage au niveau local ont souvent été proposés comme une voie intéressante pour abaisser le coût des renouvelables. Leur viabilité, toutefois, n’a jamais été démontrée, même si des succès embryonnaires ont été enregistrés pour certaines technologies renouvelables non avancées. Dans le cadre des conditions macroéconomiques actuelles en Afrique, les coûts d’investissement pour la fabrication d’équipements renouvelables sophistiqués peuvent être prohibitifs. Les planificateurs du secteur énergétique, les investisseurs et les responsables politiques doivent donc développer des moyens innovants pour attirer les capitaux ou réduire au minimum le coût total par unité produite.
Les obstacles au niveau des moyens humains
L’introduction de technologies inconnues jusqu’ici, comme les renouvelables, nécessite de développer des compétences techniques. L’importance d’un savoir-faire technique a été reconnue dans la région, mais il continue d’y avoir une pénurie de personnel qualifié. Les connaissances techniques sont nécessaires pour constituer une masse critique d’analystes politiques, de responsables économiques et d’ingénieurs qui seront capables de gérer tous les aspects du développement des renouvelables. La formation d’une main-d’œuvre capable de mettre au point et de fabriquer des équipements pour les énergies renouvelables constitue un préalable au succès de leur diffusion.
Les gouvernements et les ministères africains souffrent d’une pénurie de personnel qualifié dans les renouvelables. Ce déficit est en grande partie responsable de l’état de sous-développement général de la recherche et des moyens technologiques, ainsi que des carences de la gestion des programmes d’énergies renouvelables.
Étant donné les limites de l’expertise technique dans le secteur formel, la situation dans le secteur informel impose un défi encore plus important. Les compétences techniques dans le domaine de la mécanique et de l’électricité sont encore plus difficiles à maîtriser pour les artisans du secteur informel. Ceci peut expliquer le faible taux d’adoption des renouvelables électriques comme le photovoltaïque ou les aérogénérateurs. Les utilisateurs de ces technologies doivent compter sur des expatriés ou des techniciens installés dans les zones urbaines. Le départ de ces experts peut conduire à la fin de ces projets renouvelables.
Quelles priorités à court et moyen terme ?
On peut parvenir au développement à grande échelle des renouvelables en Afrique si l’on réussit à surmonter les principaux obstacles en termes de politiques, de finances et de compétences. Avec une approche adéquate, le secteur africain des énergies renouvelables peut devenir un acteur important du secteur énergétique et couvrir les besoins d’une partie importante de la population.
Les technologies renouvelables peuvent jouer un rôle significatif dans le développement national en termes de création d’emplois ou de création de revenus et fournir des services énergétiques sans danger pour l’environnement.
Un lobbying dynamique en faveur des renouvelables est nécessaire au niveau des États, de la région et des sous-régions. En Afrique, les renouvelables peuvent être complémentaires des technologies énergétiques conventionnelles.
L’expérience empirique ainsi que les évaluations de projets renouvelables réalisés par l’AFREPREN/FWD au cours des vingt dernières années nous amènent à suggérer les priorités suivantes pour les 5 à 7 ans qui viennent :
– Pour les grands projets énergétiques (au-dessus de 50 MW), privilégier les énergies renouvelables qui sont pleinement compétitives avec les options conventionnelles, comme la géothermie, la cogénération, la petite et moyenne hydraulique et, dans quelques pays, notamment sur le littoral africain au nord et au sud, le grand éolien.
– Pour les applications énergétiques de taille moyenne (capacité équivalant à moins de 50 MW), promouvoir des renouvelables destinées à des activités créatrices de revenus dans le secteur industriel agroalimentaire/ forestier comme la cogénération ou la petite hydraulique.
– Pour les applications de petite taille (capacité équivalant à moins de
5 kW), se concentrer sur la promotion des chauffe-eau solaires, des pompes éoliennes et du solaire photovoltaïque pour une utilisation dans des institutions rurales isolées comme des dispensaires, des missions, des hôpitaux et des écoles rurales ainsi que des équipements liés au tourisme sur le littoral ou dans les zones naturelles.
– Au niveau domestique (capacité équivalant à moins de 1 kW), privilégier les renouvelables non électriques comme les cuisinières à biocombustible améliorées qui entraînent d’importantes économies (dans les pays où le charbon de bois est un combustible important) et des avantages en termes de réduction de la pollution de l’air intérieur.
– Des mesures simples et relativement bon marché (en partie sur le modèle de certains aspects de la loi allemande sur le rachat d’électricité) pourraient fournir une plateforme politique/réglementaire pour la promotion des renouvelables. L’île Maurice, par exemple, a réussi à mettre en oeuvre une forme adaptée de la mesure de rachat d’électricité pour assurer la promotion de son secteur de cogénération.
– Pour l’Afrique, où d’importantes populations pauvres dépendent de l’agriculture, une priorité devrait être accordée à l’utilisation efficace des déchets agricoles existants pour la production d’énergie. C’est l’option qui présente le moins d’inconvénients pour les pauvres et pourrait apporter des revenus complémentaires aux communautés rurales pauvres. Elle nécessite, toutefois, de mettre en place des mécanismes de répartition des revenus garantissant que les revenus plus élevés retirés de l’exploitation des déchets agricoles sont partagés d’une façon équitable et arrivent à l’ensemble des parties prenantes, y compris aux agriculteurs à faibles revenus. Elle exige en outre de mettre en place un cadre légal et réglementaire permettant le développement d’une exploitation énergétique moderne de la biomasse à partir des résidus agricoles et fournissant, entre autres avantages, un accès au réseau électrique et au marché du carburant routier. Dans certains cas, il sera nécessaire de mettre en place des mécanismes de centralisation efficace des déchets agricoles.
Conclusion
Un certain nombre de renouvelables affichent un bilan positif impressionnant en Afrique, notamment dans la réduction du profil de risque des secteurs électriques et dans la couverture des besoins énergétiques de communautés rurales isolées. Toutefois, le potentiel et les arguments en faveur de la promotion des renouvelables ne sont pas bien exposés dans les documents sur les politiques énergétiques. De ce fait, le financement consacré au développement des renouvelables est minuscule comparé à celui des énergies conventionnelles. En outre, au niveau international, l’intérêt pour les renouvelables est motivé par le changement climatique et des préoccupations environnementales qui sont souvent inapplicables en Afrique.
Pour privilégier le développement des énergies renouvelables en Afrique, il serait donc possible de partir des arguments suivants :
– Un renforcement de la sécurité énergétique découlant d’une réduction de l’exposition au risque de flambée des prix du pétrole à l’importation et des fréquentes pénuries d’électricité hydraulique liées à la sécheresse.
– La disponibilité de ressources renouvelables abondantes et compétitives comme la petite hydraulique, la géothermie et la cogénération.
– La possibilité de fournir des services énergétiques à des coûts compétitifs à des populations rurales isolées, à l’écart du réseau électrique.
– Un potentiel significatif de créations d’emplois et d’entreprises lié aux renouvelables et aux initiatives d’efficacité énergétique.
energía renovable, producción de energía
, Africa
Traduction de Jean-Luc Thierry
Stephen Karekezi : Directeur du Réseau de recherche sur la politique énergétique en Afrique (AFREPREN : www.afrepen.org) ainsi que Secrétaire exécutif de la Fondation pour la dissémination des fours à bois (FWD), à Nairobi.
John Kimani : Gestionnaire supérieur de programme et spécialiste du secteur de l’énergie au secrétariat du AFREPREN/FWD à Nairobi. Il s’intéresse à la recherche en politique énergétique (énergies renouvelables et applications électriques) et connaît à fond le secteur de l’énergie de plusieurs pays de l’est et du sud de l’Afrique.
Ayago Wambile : Chargé de projet du programme de recherche au secrétariat du AFREPREN/FWD à Nairobi. Il collabore actuellement à la gestion et au compte rendu des projets, et prépare les rapports nationaux et régionaux. De plus, il vérifie par recoupement les données traitant des enjeux de la réforme du secteur de l’énergie en Afrique.