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Des recherches non conclusives sur la gestion des déchets radioactifs

09 / 2005

Les recherches menées sur les trois axes définis par la loi de 1991 n’apportent pas de résultats suffisants pour engager rapidement des décisions de gestion : l’entreposage de longue durée apparaît réalisable, mais on ne dispose que de résultats préliminaires sur le stockage géologique, et d’aucun élément tangible sur la faisabilité industrielle de la séparation-transmutation. En parallèle, l’apport indispensable des sciences humaines sur des dimensions sociales ou éthiques a été totalement négligé. La connaissance économique reste également insuffisante, privant la réflexion d’une analyse sur les coûts et bénéfices comparés des options.

L’année 2006 marque l’échéance de quinze années d’efforts (et bien d’autres auparavant) menées dans le cadre de la loi n° 91-1381 du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs. Une nouvelle loi, portant non plus sur la recherche mais sur la gestion de ces déchets, doit être examinée dans le courant de l’année 2006.

La loi de 1991 fixait trois axes de recherche, portant respectivement sur le tri des matières contenues dans les déchets et la réduction sélective de leur nocivité (axe 1, séparation-transmutation), l’enfouissement en profondeur des déchets, réversible ou irréversible (axe 2, stockage géologique), et le conditionnement et la surveillance dans des installations de surface (axe 3, entreposage de longue durée).

Les avancées obtenues dans ces différentes voies sont de nature inégale. La réflexion a par ailleurs évolué sur leur articulation, depuis leur compétition vers leur complémentarité.

  • L’entreposage de longue durée est, de très loin, la voie la plus avancée en terme de faisabilité. On estime aujourd’hui que des entreposages à l’échelle d’un siècle, éventuellement renouvelables sont réalisables et peuvent être opérationnels à court terme. Le peu d’intérêt des industriels pour cette solution, perçue comme un intermédiaire évitable vers les solutions définitives, a cependant entraîné des retards dans les recherches de cet axe, ne permettant pas la validation définitive de cette option.

  • Les recherches sur le stockage géologique sont restées très en deçà du programme initial. Elles ont en particulier failli sur un point essentiel, politique et non scientifique : alors que la loi de 1991 prévoyait « plusieurs laboratoires », théoriquement destinés à tester des milieux géologiques différents (argile et granit), un seul a finalement été implanté, dans l’argile de Bure.

Les travaux de creusement du laboratoire ont eux-mêmes pris du retard – au point que le laboratoire en lui-même n’est pas terminé, même si les galeries creusées ont déjà permis la mise en place d’expérimen-tations – et la recherche mise en œuvre reste donc extrêmement préliminaire.

Si aucun élément rédhibitoire n’est apparu à ce stade, ce que l’ANDRA traduit par une « faisabilité de principe », de nombreuses recherches restent nécessaires pour qualifier cette solution. Ainsi, la qualification détaillée du secteur de Bure, après caractérisation de la couche hôte et de ses propriétés de confinement, doit être précisée dans la durée par les expérimentations prévues in situ. L’analyse des perturbations par les travaux et le stockage, et l’ingénierie déployée pour limiter ces perturbations, reste trop limitée. Les éléments techniques sur le contenu prévisible d’un stockage ou les critères établissant sa sûreté, garantissant son niveau d’impact sur l’environnement ou encore définissant sa réversibilité, restent beaucoup trop imprécis pour optimiser la conception d’un dépôt.

Le processus est donc beaucoup moins avancé que ne le prévoyait le législateur en 1991. Il pourrait de plus, malgré la confiance affichée, buter sur un certain nombre d’obstacles. En parallèle des expérimentations, très peu a été fait sur l’élaboration de critères d’acceptabilité d’un futur stockage éventuel (par exemple, la limitation de l’impact à démontrer), ou de critères plus opérationnels comme la définition de son éventuelle réversibilité. Des points importants d’incertitude demeurent, qui nécessiteront plusieurs années d’études et dont la conclusion reste ouverte : il s’agit par exemple du degré de migration de radionucléides clés (diffusion, réactions géochimiques, etc.) et de l’estimation de leur temps de transfert jusqu’aux exutoires naturels, du comportement hydro-thermo-mécanique de la roche, du suivi de la « zone endommagée de creusement » (EDZ) et de son évolution, des perturbations géochimiques apportées par le béton et les structures métalliques, ou encore du comportement des gaz et notamment du problème de génération d’hydrogène par corrosion des aciers.

  • La séparation-transmutation, dont certains font l’objectif ultime de la gestion des déchets, reste extrêmement hypothètique. Si des avancées importantes ont été obtenues sur la séparation, on reste toutefois loin d’une démonstration de faisabilité industrielle globale pour l’ensemble des matières concernées.

Mais c’est la transmutation qui pose le plus problème. Les recherches dans cette voie, en France comme à l’étranger, ont seulement démontré la faisabilité d’expériences de transmutation, à l’échelle de petites « cibles » correctement placées dans des réacteurs. La faisabilité industrielle suppose le passage de deux sauts qualitatifs dont rien ne permet de préjuger aujourd’hui : celui d’une cible à un cœur de réacteur, et celui d’un réacteur à un parc optimisé de multiples réacteurs dont on sait maîtriser les flux dans la montée en puissance, l’équilibre puis la phase d’arrêt.

L’attrait pour cette solution se fonde essentiellement sur des « démonstrations » de son efficacité qui, dans une forme tautologique, font en réalité l’impasse sur sa faisabilité : des scénarios mettant en œuvre des machines capables, par hypothèse, de réduire les déchets par transmutation… aboutissent effectivement à une réduction.

La Commission nationale d’évaluation a d’ailleurs pointé dans son dernier rapport ces carences, concluant clairement « qu’il n’y aura pas en 2006 d’arguments décisifs pour prendre une décision de nature scientifique, technique ou industrielle sur la transmutation ». La CNE affirme notamment que « la transmutation est un espoir qui repose sur des machines qui n’existent pas à ce jour » et que « le CEA fonde de grands espoirs sur le RNR-gaz (…) mais ce réacteur n’est qu’à l’état de concept. La CNE ne dispose d’aucun élément d’appréciation quant à sa faisabilité et à ses performances de transmutation. »

Dans ces conditions, c’est la pertinence même du maintien de cette option dans un panel de solutions réalistes qui doit être posée.

Les résultats des recherches menées à ce jour restent largement insuffisants pour conclure et engager des décisions en 2006 sur la gestion finale des déchets. Et si les voies de recherche ouvertes doivent être poursuivies, des objectifs précis doivent leur être fixés par rapport à la question prioritaire de démonstration de faisabilité.

Il faut de plus regretter la faiblesse des recherches développées dans le domaine des sciences humaines : absentes du programme initial de la loi, elles le sont encore du bilan final, alors même que leur contribution est essentielle pour sortir du débat technique d’experts et prendre en compte les dimensions sociales ou éthiques du problème. Aucune réflexion de cet ordre ne figurait par exemple dans le colloque-bilan sur les « Recherches sur les déchets nucléaires – Acquis et perspectives à l’échéance de 2006 » organisé le 30 juin 2005 à Paris par le Ministère délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche.

De même, la dimension économique n’est absolument pas développée. Il est à peu près admis que des solutions plus complexes, comme la séparation-transmutation, représentent un surcoût par rapport à des stratégies d’entreposage longue durée et même de stockage géologique – surcoût théoriquement associé au bénéfice de réduction de l’inventaire des déchets. Toutefois, aucun élément de certitude ou presque n’existe aujourd’hui sur les coûts réels attendus (voir fiche L’aspect économique), empêchant tout développement sérieux d’analyses de type coûts/bénéfices des différentes gestions.

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