04 / 2007
Jusqu’à l’année 2000, les activités du Comité d’Action pour le Développement Intégral (CADI), fondé à Uvira en 1982, se divisaient en quatre branches : l’assistance judiciaire aux victimes de violations des droits humains ; le monitoring et la dénonciation des cas de violations des droits humains ; la formation des parajuristes (1) et l’accompagnement des comités villageois, relais communautaires ayant pour vocation de diffuser le plus largement possible les enseignements du CADI (voir fiche Les Comités Villageois de Développement : des espaces d’organisation des paysans pour la revendication de leurs droits).
Depuis quelques années, la promotion de la femme est devenue une préoccupation essentielle de l’équipe du CADI, qui intègre une dimension « genre » dans la quasi-totalité de ses interventions auprès des communautés de base.
En 1999, on était en pleine guerre ; le pays était divisé, et la partie orientale du pays, dont le Sud-Kivu, était occupée par les rebelles du RCD contrôlés par l’armée patriotique rwandaise. En même temps, les milices locales, sous prétexte de résister à l’occupation étrangère, bafouaient à leur tour les droits humains dans leurs fiefs respectifs. Le conflit a donné lieu à une situation dramatique pour les femmes : viols massifs par les militaires, grossesses issues de ces viols, mépris et marginalisation des femmes violées, augmentation du nombre de femmes atteintes par le VIH-SIDA et augmentation du nombre de femmes devant assumer seules les charges de famille.
Face à cette situation, aucune action spécifique n’était véritablement entreprise à cette époque. Il faut dire que le champ d’action des organisations de la société civile était extrêmement réduit, en raison des menaces et des tracasseries dont leurs membres faisaient l’objet de la part des autorités, tant militaires que civiles. Les libertés d’expression, de circulation et de réunion étaient particulièrement restreintes. Le contexte de guerre était en définitive profondément nuisible aux dynamiques de la société civile, en particulier celles portées par les hommes, toujours soupçonnés d’être partisans. Fort de ce constat, le CADI a alors élaboré un projet visant à contribuer à la paix en s’appuyant sur la condition féminine pour initier le processus de pacification. Pour le CADI, «la promotion des droits de la femme reste le seul domaine encore accessible aux activistes des droits humains, vu la situation actuelle de guerre et de conflits armés dans les territoires d’Uvira et de Fizi ».
Le CADI a choisi d’attribuer à ce programme des objectifs prudents : il s’agira de promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes, de permettre à ces dernières de défendre leurs droits, et de promouvoir leur participation dans la vie publique. En effet, formuler des objectifs plus audacieux, faisant par exemple clairement référence au rôle que peuvent jouer les femmes en faveur de la cessation des hostilités, aurait exposé le CADI au risque de voir qualifiée son action de subversive par les nouveaux détenteurs de l’autorité.
Dans un contexte régional globalement apaisé mais qui connaissait encore des situations locales très tendues, les objectifs du projet mené par le CADI se déclinaient comme suit :
Amener tout d’abord les femmes à prendre conscience de leurs responsabilités face à la détérioration de la paix qui affecte les territoires d’Uvira et de Fizi.
Promouvoir ensuite une grande participation des femmes aux rencontres intercommunautaires sur la paix.
Faciliter enfin l’implication des femmes dans les structures de la société civile locale pour la résolution des conflits.
La stratégie utilisée par le CADI pour parvenir à ses fins, une fois réalisé le travail indispensable de sensibilisation de la population et de dialogue transparent avec les autorités, s’articulait alors autour de 8 axes principaux d’intervention :
Structuration du mouvement de femmes à partir des quartiers et des villages.
Renforcement des capacités d’action des femmes à travers des formations et des appuis-conseils sur des thèmes spécifiques à l’auto-promotion des femmes (droits humains, résolution pacifique des conflits, non-violence, leadership…).
Accompagnement des femmes en justice et auprès des autorités administratives et militaires en cas de violations des droits humains.
Instauration d’une communication transparente entre les dépositaires de l’autorité (souvent auteurs des exactions) et les femmes des communautés de base (principales victimes des violations des droits humains).
Éducation civique et politique des femmes.
Implication des autorités militaires et civiles dans les activités de formation.
Implication des acteurs masculins dans toutes les activités organisées à destination des femmes.
Mobilisation des femmes autour d’actions communes.
Cette stratégie a constitué le facteur de réussite le plus déterminant. En effet, elle dénote de la part du CADI une importante maîtrise des techniques de mobilisation des groupes sociaux, conciliant les trois dimensions essentielles de l’approche conscientisante : éveil des consciences, mobilisation et organisation. Par ailleurs, le CADI a su agir sur l’environnement humain des femmes, de manière à réduire les obstacles à l’émergence du leadership féminin. C’est à ce titre qu’il a toujours favorisé l’implication des autorités, des acteurs masculins, ainsi que l’utilisation des médias et des meetings populaires, afin de sensibiliser une grande partie de la population. Enfin, les thèmes des formations et les méthodes de diffusion choisies (approche participative) sont de nature à rassurer et à mobiliser les différentes composantes de la société.
Avec la fin du conflit et le lancement du dialogue intercongolais dont la première phase a été suivie par le retrait des troupes étrangères du pays, l’évolution de l’ordre politique national présentait moins d’entraves aux travaux des organisations de la société civile. Le CADI a ainsi décidé de poursuivre son action dans le registre de la promotion des droits de la femme. La première phase du programme avait donné lieu à une amélioration sensible des conditions de vie des femmes dans les territoires d’Uvira et de Fizi, notamment grâce à la mise en place de 11 comités de défense des droits des femmes, à chacun desquels étaient associés à plusieurs sous-comités. Ces structures qui favorisaient les échanges entre les femmes ont permis que s’expriment des revendications collectives, la dénonciation des viols et autres violences subies par les femmes, ainsi que la reconnaissance par les autorités locales des comités de femmes comme des centres de pouvoir.
Aujourd’hui, l’action du CADI a largement contribué à l’émergence d’un leadership féminin à la base. En effet, de nombreuses femmes issues des comités dont il a suscité la création sont devenues des animatrices principales des Commissions Diocésaines de Justice et de Paix, d’autres ont été admises à siéger dans les conseils de sages de leurs quartiers respectifs, et de façon générale, on note une augmentation sensible des initiatives venant des femmes pour dénoncer les situations d’injustice ou d’incivisme auprès des autorités militaires et civiles. De plus, la plupart des comités de femmes font désormais office de tribunaux de quartiers en matière de résolution pacifique des conflits, et l’on a assisté à la création d’une plate-forme rassemblant les femmes issues de toutes les catégories sociales, chargée de traiter les questions relatives à la paix. Les capacités de mobilisation des femmes ont enfin été démontrées à de nombreuses reprises, comme l’ont illustré les marches de protestation organisées par l’Union des Mamans de Kiliba (voir fiche Umoja wa Mama wa Kiliba : la mobilisation des femmes paysannes pour la défense de leurs droits), qui ont rassemblé des milliers de femmes bien décidées à faire cesser la destruction systématique de leurs champs par les militaires, ainsi que les nombreux cas de violations des droits humains dont elles faisaient l’objet. Notons que chaque marche était clôturée par un dialogue avec les autorités politico-militaires et administratives et par la remise d’un mémorandum à ces dernières.
Le CADI s’est cependant heurté à certaines difficultés. Tout d’abord, la condition féminine telle qu’elle est vécue et perçue en RDC entraîne bien souvent une forte indisponibilité des femmes. La surcharge de travaux ménagers laisse peu de temps libre aux femmes, tandis que le peu de temps restant est souvent accaparé par les nombreuses responsabilités que leur confient les groupes religieux. On peut ensuite relever le faible degré d’instruction des femmes, qui les rend particulièrement vulnérables et ne les prédispose pas à assumer le rôle de leaders. La multiplication des ONG locales et internationales présentes dans la région a également des conséquences néfastes sur l’émergence d’un leadership féminin : à la recherche de femmes disposant d’une forte capacité de mobilisation ainsi que d’un degré élevé d’engagement, ces organisations choisissent bien souvent des femmes formées par le CADI pour assumer des responsabilités en leur sein. Conséquence, le leadership féminin s’étiole avant même de se consolider. En effet, les femmes qui parviennent à assumer un rôle de leader dans les comités appuyés par le CADI sont fréquemment débauchées par d’autres organismes au sein desquels leur fonction se limite bien souvent à exécuter le mandat qui leur est confié. Cela donne ainsi lieu à une certaine démobilisation de ces femmes par rapport à leur dynamique de leadership initial.
promoción de las mujeres, defensa de los derechos fundamentales, fortalecimiento de los grupos de base, participación de las mujeres, sensibilización al derecho, derechos de las mujeres
, República Democrática del Congo
Renseignements : CADI - Comité d’Action pour le Développement Intégral
Adresse : B.P. 119 Uvira (RDC) - cadidh AT yahoo.fr, contact : M. Majaliwa Kanazi (Coordinateur), Benjamin Migabo Muderwha
Entretien réalisé avec l’équipe du CADI, au siège du CADI, le 17 novembre 2006.
Visites de terrain réalisées dans les territoires d’Uvira et de Fizi les 16 et 17 novembre 2006.
Rapports d’activités 2000-2005 du CADI.
Juristes Solidarités - Espace Comme vous Emoi, 5 rue de la Révolution, 93100 Montreuil, FRANCE - Tél. : 33 (0)1 48 51 39 91 - Francia - www.agirledroit.org/fr - jur-sol (@) globenet.org