Toshi Yuki DOI, Maeda KEIKO, Nakai ITSUKO, Terakawa SEIJI
1999
Le contexte
La zone dont il est question ici se trouve à l’Ouest du Japon, partie touchée par le tremblement de terre de Hanshin-Awaji du 17 janvier 1995. L’épicentre se trouvait dans la ville de Kobé, une zone de forte densité de population.
Au moment de rédiger ce rapport, trois ans se sont écoulés depuis cette catastrophe, et près de 40 000 personnes (20 000 familles) continuent de vivre dans des logements provisoires. Elles n’ont pas pour le moment d’autres options.
À différents niveaux du gouvernement, on assure qu’il y aura suffisamment de logements pour tout le monde, mais il est clair qu’ils ne seront pas construits près de la ville, où la majorité des gens habitaient avant le tremblement de terre. À court terme, la construction des logements sera effectuée selon le plan gouvernemental de réhabilitation. Cela signifie que le gouvernement aura rempli ses objectifs, mais pour les survivants du tremblement de terre, ce sera le commencement d’un relogement non souhaité. Ils ont survécu au tremblement de terre, ce n’est pas sûr qu’ils puissent « survivre » aux politiques gouvernementales.
La raison qui empêcha les survivants de se réinstaller pendant si longtemps fut l’absence de ressources financières. De fait, aucun survivant n’a reçu des indemnités. Le gouvernement central a dit qu’un régime capitaliste ne peut pas indemniser des pertes personnelles. Dans cet esprit, le gouvernement de la ville a lancé un plan de reconstruction qui implique des projets d’urbanisation à grande échelle, sans que les résidents de la ville puissent intervenir.
Beaucoup de ceux qui occupent les logements provisoires sont issus de couches sociales spécifiques, c’est-à-dire, les plus pauvres parmi les pauvres, ou les plus faibles parmi les faibles, y compris les personnes du troisième âge. Ces gens vivaient antérieurement dans des conditions assez précaires, car beaucoup d’entre elles occupaient seulement une chambre dans une vieille maison. Après le tremblement de terre, elles ont perdu leur emploi, ce qui signifie que leur paupérisation et leur précarisation ont encore augmenté.
Institutionnellement, il y a peu de législation, normes et systèmes qui puissent garantir aux survivants de récupérer, le plus rapidement possible, leur mode de vie antérieur. De la même manière, il y a peu de canaux qui leur permette d’exprimer leur opinion sur les Plans de réhabilitation.
Description du processus
La menace d’expulsion violente qui pèse sur la tête des survivants du tremblement de terre de Kobé est le produit d’un long processus qui commença justement avec le mouvement tellurique. Cependant, c’est aussi une conséquence directe de leur manque de ressources économiques et du Plan de réurbanisation peu pertinent du gouvernement de la ville.
La nature du gouvernement s’est révélée lorsque fut abrogée la Loi pour l’aide en cas de désastres (Disaster Rescue Act) au mois d’octobre 1995. Certains survivants occupaient encore leur logement provisoire.
L’attitude du gouvernement vers la population a été, depuis lors, très contestable car la totalité des survivants relogés dans un camp d’urgence (approximativement 320 000) fut, à un moment donné, sur le point d’être expulsée.
Aujourd’hui, près de 40 000 personnes continuent de vivre dans des logements provisoires, et jour après jour, la menace d’expulsion s’accroit.
Pour les auteurs de ces lignes, les demandes des survivants ne sont en rien irrationnelles ni éloignées de la réalité. Ils ont besoin de recevoir de l’argent qui puisse compenser ce qu’ils ont perdu. Ils espèrent aussi revenir dans leur communauté et vivre dans une maison qu’ils puissent payer. Ils aimeraient aussi participer au processus de réhabilitation de la zone détruite par le tremblement de terre et qui maintenant est sous la tutelle du gouvernement de la ville.
Les survivants du tremblement de terre ne se sont pas assis pour ruminer leur peine en attendant passivement les dons du gouvernement. Au contraire, ils ont utilisé divers moyens pour affirmer leur droit au logement et pour continuer à vivre dans la même communauté. Ils ont même accepté de vivre dans des conditions misérables en restant dans un parc. Quelques survivants ont formé des organisations communautaires de base (OCB) afin de négocier avec le gouvernement à différents niveaux et sur différents points. Certaines organisations de base ont fait pression sur les membres du Parlement (Diet), afin de les convaincre de l’importance d’une indemnisation personnelle. Ils ont essayé de faire approuver une nouvelle législation par cette instance, tandis que d’autres organisations ont fait pression sur les fonctionnaires de la ville pour qu’ils déclarent officiellement que les survivants ne soient pas expulsés.
Ces OCB ont développé aussi une série de mobilisations avec une forte participation, telles que les protestations, manifestations et meetings. D’autres ont travaillé sur des recherches en sciences sociales, réalisées avec des organisations non gouvernementales (ONG). Parmi elles, on peut citer celle réalisée par Habitat International Coalition (HIC) en automne 1995, à travers une Mission de vérification des faits (Fact finding mission) dans la ville de Kobé et ses environs. L’ardeur et les aspirations que l’équipe de recherche de HIC réussit à transmettre chez certains survivants du tremblement de terre furent telles, qu’ils décidèrent d’assister à la Conférence Habitat II à Istambul où, de nouveau, au lieu de s’asseoir et écouter, ils réalisèrent une série de mobilisations afin de faire connaître leur situation devant la communauté internationale. De nombreuses OCB ont participé de manière active à la création de réseaux entre elles et avec d’autres organisations japonaises et/ou internationales qui ont des préoccupations et des intérêts similaires.
Cependant, ces efforts n’ont pas encore apporté leurs fruits. Ils n’ont pas obtenu que le gouvernement abandonne sa politique d’urbanisation centrée sur l’économie de marché pour une autre axée sur les êtres humains. Cela se reflète dans le fait que la participation des gens aux prises de décision dans le processus de plan de réhabilitation, est très peu institutionnalisée. Il n’y a pas de signes qui indiquent que cette situation va changer dans un proche avenir.
Les OCB ne sont pas exemptes de faiblesse. Malgré le succès atteint au niveau de l’amélioration des conditions de vie des survivants du tremblement de terre (grâce entre autres à la participation des ONG), on n’a pas réussit à communiquer ou à faire partager la signification politique à tous les membres de l’organisation.
Dans les conditions actuelles, les survivants du tremblement de terre, en particulier ceux qui habitent dans des logements temporaires, ont les options suivantes :
1) Ils peuvent emménager dans un logement construit par le gouvernement, surtout ceux localisés loin du centre de la ville, en sachant parfaitement les difficultés qui pourront advenir.
2) Ils peuvent continuer d’habiter dans les logements provisoires, en sachant que, quiconque décide de partir, pourra le faire lorsqu’il aura trouvé les moyens économiques pour le faire.
3) S’ils sont plus vieux, ils peuvent renoncer à leur liberté et leur indépendance pour aller emménager dans une institution d’assistance sociale, où ils devront vivre avec certaines restrictions.
Les acteurs impliqués dans le processus et leurs rôles
Les ONG et les groupes religieux ont participé activement en informant la communauté internationale (y compris les instances des Nations-Unies) en ce qui concerne la zone touchée par le tremblement de terre. De même, elles ont été très efficaces au niveau de l’échange d’information et d’expériences avec d’autres organisations japonaises qui affrontent des situations et qui ont des préoccupations similaires, telles que l’expulsion par exemple. Ce secteur de la société a aussi mis en oeuvre une série de mobilisations sur une grande échelle afin de protester contre le relogement involontaire, en se concentrant sur les minorités sociales, telles que les handicapés, les résidents étrangers et les sans-abri. Les ONG et les groupes religieux ont eu beaucoup de succès en ce qui concerne le développement de réseaux parmi les survivants des tremblements de terre.
Les OCB ont lancé des protestations sur une grande échelle, particulièrement contre les plans de réurbanisation et leurs conséquences négatives, et contre la fermeture de certains lieux de logements provisoires. De même, elles ont dialogué avec le gouvernement à différents niveaux, particulièrement avec ceux qui ont accepté leurs demandes. Ce secteur a utilisé aussi la création de réseaux pour que les survivants s’unissent et pour établir un système d’entraide.
Experts et professionnels dans des domaines divers, tels que l’architecture, l’écologie, la sociologie et la législation internationale, ont informé les OCB qui se trouvent dans des situations identiques, aussi bien localement qu’au niveau international. De même, elles ont travaillé avec les standards internationaux pour les droits humains dans le but de construire une nouvelle compétence chez les OCB.
Fondamentalement, le gouvernement de la ville et sa préfecture ont agi contre les gens. En abrogeant trop tôt la Loi de l’Aide en cas de désastres, le gouvernement de la ville a violé le droit qu’ont les personnes à posséder une propriété et à être logées. La loi fut abrogée lorsque beaucoup de gens occupaient des logements provisoires dans des parcs. Avec cette action, les victimes du tremblement de terre ont perdu leur droit à rester dans un emplacement provisoire. En même temps, à travers différents moyens (y compris la menace), le gouvernement de la ville à fait pression sur les survivants pour qu’ils abandonnent leurs lieux transitoires et qu’ils viennent s’installer dans d’autres logements (en général des logements provisoires dans les lieux éloignés).
Le gouvernement central a fait le silence sur ce type d’action, acceptant ainsi que le gouvernement local viole les droits humains reconnus internationalement. De même, le gouvernement japonais a négligé ses obligations, comme celles qui sont spécifiées dans la Convention internationale sur les droits économiques, sociaux et culturels. Cette Convention signale qu’un pays doit présenter des rapports sur la base de ce document.
Les moyens de communications tels que la presse écrite et la télévision on joué un rôle central dans la diffusion de l’information, actualisant et augmentant la préoccupation de l’opinion publique en relation à la zone affectée par le tremblement de terre. Cependant, la description ou l’analyse faite de cette situation sur les victimes du mouvement tellurique, n’est pas toujours exacte, consistante et/ou bien dirigée, à cause de l’étroitesse de son point de vue qui n’est pas nécessairement en accord avec les principes internationaux de la législation sur les droits humains.
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, Japón, Kobe
Tous les niveaux du gouvernement japonais ont montré leur manque total de flexibilité face à un désastre de l’ampleur du tremblement de terre de la ville de Kobé.
Le système mis au point est si rigide et si complexe qu’il est incapable d’affronter des situations inédites, c’est un système qui ne fonctionne pas et qui s’avère inhumain.
Le gouvernement de la ville de Kobé, non seulement ne s’occupe plus des besoins des victimes du tremblement de terre (qui ont affronté un désastre qui va bien au-delà de leur imagination et de leur capacité de réponse) mais en plus, il n’a pas intégré leurs demandes au moment de lancer son plan de réhabilitation urbaine.
Les gens qui luttent pour actualiser les normes internationales pour les droits humains ont essayé d’élargir la portée du concept d’expulsion, pour qu’il puisse inclure les cas des personnes qui sont obligées d’accepter un relogement forcé, involontaire. Le cas de la ville de Kobé semble justifier ici cette redéfinition. En effet, le gouvernement s’est appuyé sur tous les moyens possibles, depuis les tanks, les tracteurs et les forces armées, pour que les gens aillent vivre ailleurs contre leur propre volonté. Le gouvernement envoya même des représentants chez chacun des survivants afin de leur communiquer une information différente, dans le but d’isoler les individus du reste de la communauté, rendant difficile l’unité des survivants. Lorsque finalement, un ou une survivante céda aux exigences du gouvernement, ce dernier put (et de fait il le fit) affirmer que la personne avait pris la décision par elle-même.
Beaucoup de résidents de Kobé (survivants et ceux qui les aident) ont appris, à travers leur lutte pour réhabiliter la zone affectée par le tremblement de terre, que le logement est un droit humain. De leur côté, les fonctionnaires du gouvernement n’ont pas même manifesté un simple sentiment de compréhension purement humain, et jusqu’à un mépris pour les normes du droit international.
Avant le tremblement de terre, l’état d’esprit général de la population de Kobé était une apathie politique envers le gouvernement de la ville, en lui laissant prendre des décisions sans consulter personne. Résultat, le gouvernement a centralisé tout le pouvoir. En contrepartie, des instruments démocratiques pour que les gens puissent participer ne furent pas créés. Les survivants du tremblement de terre s’en rendirent compte lorsqu’ils tentèrent de participer au plan de réhabilitation engagé par le gouvernement. Tandis que le gouvernement décourage la participation politique de ses citoyens, ces derniers manquent de capacité et de stratégie pour former des mouvements politiques plus solides.
Ainsi, certains habitants de Kobé ont une protection sociale réduite, c’est-à-dire que dans des circonstances normales, ils vivent bien, mais ils sont incapables d’affronter des difficultés financières dues à une urgence comme un désastre naturel. Les nombreuses aides d’urgence reçues au niveau international ont permis à la communauté de tenir financièrement malgré ce désastre tellurique. L’importance de la communauté a d’ailleurs été mise en valeur, pour ces personnes particulièrement vulnérables, lorsque la politique du gouvernement provoqua sa rupture.
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